vendredi 10 avril 2015

L'impossible meurtre du père de Marine Le Pen


Je n'aimerais pas être dans la peau de Marine Le Pen. Les féministes mais aussi les femmes en général vont pouvoir observer prochainement comment une femme qui est aussi une fille, ne trahit pas son père à moins de se perdre. Ce n'est pas la seule fille de Jean-Marie Le Pen qui n'a eu que des filles mais c'est la plus masculine, la moins rebelle à ce père impossible: figure patriarcale en décalage par rapport à une société de moins en moins patriarcale. Elle a endossé cet héritage et maintenant, elle le jetterait? Enfin, elle n'avait pas vraiment le choix. Après des études de droit, travailler comme avocate avec le nom de Le Pen était chose quasi impossible: le milieu parisien des magistrats ou des autres avocats lui était hostile. Elle a donc commencé par traiter les affaires de son père.

Une fille ne tue pas son père, pas symboliquement s'entend. La condition de son bonheur passe au contraire par l'amour accepté du père, quelle que soit sa personnalité. Ah dans l'entourage de Mar. Le Pen, ils ne veulent que ça, apparemment: le flinguer, le vieux, le bâillonner, le mettre au rencard! Mar. Le Pen s'est entourée progressivement d'anti-lepenistes; elle se trouve aujourd'hui au pied du mur bien qu'elle ne choisira pas de sacrifier son père.

Elle sait très bien la force symbolique de Jean-Marie Le Pen au sein du Fn dont elle ne saurait se débarrasser sans créer les conditions d'une tourmente préjudiciable au parti aussi bien qu'à elle-même: elle ne se pardonnerait pas d'avoir été une "mauvaise fille" après l'avoir tant suivi, tant copié, tant admiré. Son bonheur et la réussite de son parti sont liés; mais son bonheur, disais-je est encore plus lié à la figure paternelle. Elle ne peut le toucher superficiellement qu'en le touchant profondément car J.M. Le Pen est tout d'une pièce.

Elle est donc obligée de suivre une voie ambiguë, de colères froides en regrets sincères, dans laquelle se mélange l'idéologie et l'affectivité. Le message du 8 avril est explicite. "Son statut de Président d'honneur ne l'autorise pas à prendre le Front national en otage, de provocations aussi grossières dont l'objectif semble être de me nuire...", est suivi par "C'est avec une profonde tristesse que je suis contrainte de réunir rapidement un bureau exécutif..."

lundi 6 avril 2015

L'état réel du pays




Voici sur une carte l'état politique réel du pays au soir du premier tour; les départements en noir sont ceux dans lesquels le Fn était en tête: ça en fait quarante-trois, dont vingt-huit au nord. Le Fn est soit noir (pocketnews.tv) soit gris (lesechos.fr): on est habitué. On a aussi le caca d'oie, dans la presse régionale!

La deuxième double carte montre le changement des majorités des conseils généraux par rapport aux anciennes élections, dans la journée du 2 avril: le Fn ne dirige aucun département. Le Ps et compagnie, qui n'arrivait en tête que dans quinze départements, au soir du premier tour, contrôle néanmoins 29 exécutifs locaux, métropolitains et corse, à l'issue du scrutin de jeudi dernier, soit le double. Dans ces conditions, il est évident que le deuxième tour brutalise la dynamique démocratique en cours mais encore maintient debout ou fait renaître des partis ou formations décadents, sans souffle, usés: ainsi un système archaïque se perpétue, sans dynamique, sans idées, sans hommes nouveaux. Nous répondons presque à la définition de la démocratie populaire telle que l'ont connu les pays de l'Est.

D'ailleurs, en passant, ça ne dérangeait personne auparavant que deux départements étaient dirigés par le Pcf, le Val-de-Marne et l'Allier, avec l'allégeance historique qu'on lui connaît; par contre, que le Fn, rassemblement hétéroclite né en 1972, avec comme fréquentations honteuses de son fondateur, un ancien des Waffen S.S. et un autre de la division Charlemagne, trésorier du Front à ses débuts, devenu depuis un parti capable de bousculer le "système", avec l'astuce de Mitterrand, que ce parti qui n'a jamais commis d'attentat ou jamais essayé de renverser le gouvernement contrôle un département apparaît comme une catastrophe naturelle inimaginable. La même terreur stupide s'était emparée des bonnes âmes en 1995 pour quelques communes du Midi.

Mais, cette fois, c'est bien la moitié du pays qui vote Fn. Si la droite n'était pas traîtresse à ses origines et valeurs, elle contrôlerait aujourd'hui 80 départements et non 64 et la gauche serait ramenée à de justes proportions: 15 départements. Paris, ville-département, n'a pas voté. Par contre, je me demande pourquoi Lyon, non plus, enclave détachée du Rhône, n'a pas voté. Veut-on en faire aussi un département?

Je ne suis pas contre le système majoritaire et celui-ci a ses vertus; mais dans toutes les démocraties occidentales, on pratique le tour unique: la force dominante, celle qui crée la dynamique, est fatalement portée au pouvoir. En France, c'est bien le Fn. Mais celui-ci ne récolte absolument rien (un conseiller général sortant, une députée). "Les binômes Front de gauche et Pc (moins de 400 000 voix à eux deux) réussissent à conserver 165 élus..." souligne Br. Gollnish alors que le Fn a atteint 4,1 millions de voix mais n'engrange que 62 députés locaux. Le Ps, pour 500 000 voix de plus, obtient 886 députés. Il y a là un problème énorme de distorsion entre le vote et le résultat. Le Fn est le premier parti du Nord (38%), qui est échu à l'Ump, forcément aidée par les socialos.
Et on persiste à dire que le vote Fn est un vote protestataire, de colère, un vote nul en somme, qui ne compte pas. C'est le système du vote qui a habitué les gens à voter Fn puis un "parti de gouvernement" au second tour, en non l'inverse; c'est le système de vote en place qui pervertit la manière de voter, pas l'inverse. Le deuxième tour pervertit le premier; le troisième achève la défiguration du vote. Les Français voteraient allègrement Fn s'il n'y avait qu'un tour et feraient voler en éclats les vieilles formations tandis qu'actuellement, on parle toujours de scission, de rupture au sein des grands partis mais celle-ci n'advient pas: et pour cause, le système électoral les perpétue tels quels.

Dans cette perspective, messieurs et dames du Fn, la priorité réaliste n'est pas de renverser, une fois au pouvoir, le scrutin majoritaire pour le remplacer par la proportionnelle mais de supprimer bien le deuxième tour de façon à ce que le vote donne un résultat adéquat, correspondant à la première force exprimée dans les urnes. Vous parlez de proportionnelle tant que vous n'imaginez même pas accéder au pouvoir, en fait... et comme les partis d'extrême-gauche, du reste. Le discours du Fn est en effet ambigu: on ne sait pas bien si c'est un parti de droite ou de gauche. Depuis 2011, date de l'accession de Marine Le Pen à sa tête, il tend à se gauchiser (c'est une soixante-huitarde); il mise sur ses chances d'éliminer le candidat de la gauche aux présidentielles plutôt que celui de la droite qu'il devrait logiquement chercher à remplacer...