dimanche 24 février 2019

La Mule (Eastwood)



Dans cet article, des éléments importants du film sont dévoilés.

Earl Stone a l’âge d’Eastwood, fatalement. A 88 ans, Eastwood réalise encore deux films et j’ai vu la Mule. Peut-être qu’il ferait bien de sarrêter, qu’il a tourné assez de chefs-d’oeuvre comme ça; j’ai trouvé que la Mule était un petit chef-d’oeuvre de plus.

Lhistoire est simple: un papy horticulteur qui ne sest jamais vraiment occupé de sa famille est abordé par un quidam, sorte de Mexicain alors quil quittait la famille justement, poussé par son ex-femme vindicative (Dianne Wiest, que jai vue plusieurs fois dans des films dAllen). La propre fille dEastwood joue la fille dEarl qui ne peut plus le voir en peinture, même à ses fiançailles. La petite-fille est plus conciliante.

Le pauvre vieux navait pas dargent pour garder sa maison et son entreprise; elles ont été hypothéquées. Earl qui a été bavard à cette partie a attiré lattention du péon; il lui laisse un numéro, lui propose un boulot simple de conducteur privé, des hauts revenus. Earl a un vieux piqueupe Ford, large et spacieux. Il na jamais eu d’accident, pas eu de contravention.
Earl ne met sans doute pas longtemps à comprendre quil met les pieds dans la mafia, dans la drogue. Le premier contact avec les Mexicains se passe à lintérieur dun garage: il est reçu avec son piqueupe par trois gaillards tatoués et surarmés. Plus jeunes, ils se moquent du vieux en lui tendant un portable. Earl se fout dinternet et du portable doù viennent d’ailleurs quelques répliques savoureuses.

Le film est assez voltairien, ce qui n’était pas forcément le cas du type dont lhistoire sinspire. Earl est un homme de devoir: il est parti à la guerre il y a longtemps, il sest consacré au travail. Il a délaissé sa famille. On a là les deux valeurs phares de la société américaine; Eastwood montre avec brio quelles sont difficilement compatibles. Au long du chemin, il y a forcément de la casse.

Plaisir de conduire ou plaisir de gagner de largent, Earl retrouve la santé. Il peut ravoir sa maison, payer les études de cosmétologie de sa petite-fille, sauver le local des vétérans de la guerre de Corée. Dhabitude, il est charmeur, séducteur, distrait, en fait passionné par ses plantes. Face aux truands, il prend la vie du bon côté, traîne en route, s’arrête pour changer la roue d’un naze qui n’a qu’un portable et pas de réseau et même lorsqu’il est surveillé par une voiture à l’arrière, mis sur écoute, il chante de vieux tubes à tue-tête. 

Earl est finalement une bonne mule: le travail est fait et par sa désinvolture, il n’attire pas l’attention. Le patron (Andy Garcia) l’invite au Mexique; s’ensuit une fiesta nocturne où les filles, les princesses Incas comme dirait Fante abondent autour de la piscine, se déhanchant, tournicotant et Eastwood avec. Le silicone abonde aussi on dirait. Earl le vieillard tombe dans un lit bordé par deux prostituées délurées. Manque peut-être une scène où les propres filles du caïd parfumeraient la barbe de Candide!

Le film balance ainsi entre le roman d’un caractère qui visiblement fait plaisir à Eastwood et le sens du devoir à l’américaine, partagé là aussi entre travail et famille. De toutes les façons, Earl est coincé: par sa famille et sa femme mourante, par les problèmes d’argent, par la mafia puis la police. C’est la vie: on ne s’en sort pas. Avec légèreté, à l’approche de la mort, Eastwood incarne un personnage qui tire le meilleur parti de toutes les situations, qui a fait strictement son devoir et n’est devenu ni égoïste, ni important. Un homme en paix avec sa conscience et avec l’extérieur qui l’envoie certes en prison où il retrouve néanmoins... ses fleurs chéries. Revoici Candide.