samedi 24 décembre 2022

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (2)

    

Image du Mandylion, censé être l'image miraculeuse du visage du Christ sur un linge, probablement le suaire de Turin (icône du Xe siècle, monastère sainte-Catherine, Sinaï)

    M. Onfray est un libérateur: autant dire un imposteur. "Mais nous ne confondons pas non plus l'idée d'intérêt privé avec celle de bonheur: c'est là un autre point de vue qu'on rencontre fréquemment; les femmes de harem ne sont-elles pas plus heureuses qu'une électrice? La ménagère n'est-elle pas plus heureuse que l'ouvrière? (...) Il n'y a aucune possibilité de mesurer le bonheur d'autrui et il est toujours facile de lui déclarer heureuse la situation que l'on veut lui imposer." Divine Simone de Beauvoir, qui écrivait là, dans le Deuxième Sexe (1949), quelque chose de vrai et profond qu'elle n'a jamais respecté! Tous les libérateurs, inspirés du libéralisme et des idées générales, de Voltaire et Rousseau à A. Soral voire le piteux Jean Robin, ont voulu imposer aux autres une situation qu'ils imaginaient parfaite dans sa généralité, dans son abstraction. (1) Tous les libérateurs s'inspirant des "immortels principes" de 1789 et plus loin, des idées philosophiques en vogue dans ce siècle, sont des imposteurs. (2)

    Un certain nombre de lecteurs ont bien vu que ce livre n'était aucunement un traité positif mais un pamphlet, encore une fois. M. Onfray est incapable de sortir de sa négativité et de proposer, comme il dit, quelque chose. Son dada féroce est l'anti-christianisme: il n'en sort pas. "Déjà coupables de croire en un Jésus mythique, d'écouter un apôtre névrosé, d'être antisémites, d'avoir éclipsé la philosophie et de détester la vie, les chrétiens de l'Antiquité, toujours pris en bloc, sans la moindre nuance, sont aussi accusés d'avoir, tels les Vandales, usé de violence partout où ils passaient", comme le résume Jean-Marie Salamito, professeur d'histoire du christianisme antique à la Sorbonne, qui répondit ainsi au vert pamphlet Décadence d'Onfray par un manuel vif et succint. (3) Les faiblesses, ficelles et procédés douteux voire grossiers d'Onfray y sont exposés méthodiquement: bibliographie dépassée, contournement du sujet (évangiles apocryphes contre Evangiles canoniques), conception délirante: l'art chrétien comme soi-disant paravent à l'inexistence de Jésus(4) superficialité et trivialité de la démarche, particulièrement en ce qui concerne les corporalité et matérialité de Jésus, (5) négation de personnage (Marie, Jean-Baptiste, différentes sectes juives), invention de personnage (saint Athanase Memorandum), spéculation gratuite (Miltiade le Sophiste et Apollinaire de Hiérapolis dont Eusèbe cite seulement le titre d'un ouvrage, le même, qu'on peut traduire par Aux Juifs ou Contre les Juifs, seraient évidemment, de purs cornichons antisémites), confusion entretenue entre antijudaïsme et antisémitisme, connaissances dépassées ou confuses (Nazareth serait le village natal de Jésus; Paul aurait inventé l'eucharistie!)... le chapitre sur Paul est particulièrement gratiné et: "Si notre auteur s'évertue à décrire Paul comme un être physiquement et psychologiquement disgracié,  c'est pour mieux le désigner comme le grand responsable de tout ce qui, à ses yeux, rend le christianisme détestable"; (6) on pourra trouver encore des considérations de médicastre vaseux, (7) de psychologue en pantoufles (Paul le névrosé névrose le monde),  mais aussi des mathématiques théologales débiloïdes (8) etc... à n'en plus finir. Celui qui veut contrer Onfray se voit forcé de faire une liste interminable à la Michel Onfray!

    Bref, tout le catalogue des attaques d'Onfray contre le christianisme constitue le vade-mecum du militant "gaucho-progressiste" contemporain, (9) avec le systématisme, la hargne et la pointe d'hystérie qui conviennent: toute l'histoire est alors revue à l'aune des féminisme, sémitophilie, pacifisme et anti-autoritarisme débridés et exaltés propres à la gauche.  Dans ce livre, Décadence, que je lus d'abord, Onfray promettait à rebours qu'il avait dans un traité d'athéologie, "précisé les détails (...) sur l'invention de Jésus." Mais il ne se donna pas la peine de démontrer quoi que ce soit: il n'a que des affirmations, assertions péremptoires basées sur des concepts assez vaseux ou inopérants tels que la "pulsion de mort", la "haine", la "névrose", "l'hystérie cristallisée": ce jargon pseudo-psychanalysant situe M. Onfray au niveau d'une banalité militante assez affligeante. Dans le chapitre "La construction de Jésus", après avoir nié en deux paragraphes tout ce qui peut concerner le passage terrestre de Jésus-Christ, (10) il déroule en fait ce qu'il déroulera en plus grand dans Décadence, à savoir le nouveau catéchisme anti-chrétien façon M. Onfray. Le présupposé emporte tout:  le christianisme est une association de malfaiteurs. "On comprend dès lors que les documents existants relèvent la plupart de faux habilement exécutés." Des copistes, "sectateurs zélés du Christ", à la suite du remplacement du papyrus par le parchemin, auraient ainsi fait "des choix entre les documents à sauver et ceux qu'on renvoie au néant" et établi "des éditions d'auteurs antiques dans lesquels on ajoute ce qui fait défaut, en regard de la considération rétrospective des vainqueurs..."

    Soit, ceci est probablement vrai par exemple pour le texte de Flavius Josèphe (Antiquités juives, années 90) citant Jésus ("A cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel/sage..."). Mais ça n'est là qu'une considération formelle. Aussi bien JM. Salamito que JC. Petitfils donnent le texte dans une version exégétique, dans laquelle on reconnaît des passages ajoutés. Une fois retranchés, ces passages donnent un texte plus clair qui ne perd rien de sa qualité historique, au contraire: Jésus est nommé, c'est un homme exceptionnel et "quand Pilate, sur une accusation des hommes les plus hauts placés parmi nous (ou: de nos premiers citoyens), l'eut condamné à la croix..." Il y a donc trois personnages nommés: Jésus, Pilate et le Sanhédrin, naturellement connus par le seul historien juif du Ier siècle. Voilà: on peut être copiste au IIIe siècle, faire des ajouts tout en gardant le texte initial... De plus, sM. Onfray avait lu un historien solide comme JC. Petitfils, il eût appris alors que la version initiale de Flavius Josèphe se retrouvait, à peu de choses près, dans le texte d'un historien arabe et chrétien du Xe siècle. N'importe, M. Onfray ira jusqu'à prétendre, de façon apriorique là aussi, que des copistes de bonne foi ont alors inféré l'existence de Jésus dans les textes de Tacite ou de Suétone! Rien n'arrête ce furieux dans le mode hypothétique...


(1) "Le bonheur est une idée neuve en Europe", déclarait pour sa part à la tribune de la Convention Saint-Just, le 3 mars 1794, quelques mois, lui aussi, avant de passer sur la planche... "rendre le peuple heureux", "pour l'avantage de l'humanité", "Que l'Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français", "que cet exemple (...) y propage l'amour des vertus et le bonheur": ce bouillant jeune homme de 26 ans n'avait qu'une rhétorique vertueuse à la bouche tout en animant la tyrannie comitarde la plus implacable.

(2) On a fait des livres plaisants citant pour les moquer de nombreuses prévisions infondées de râleurs, pleurnicheurs et autres conservateurs catastrophistes devant le progrès; à la crise écologique cependant qui dure depuis les années 1970, devenue évidente et même angoissante dans les jeunes générations, bilan de 240 ans environ de "révolution industrielle" a succédé la crise politique du régime moderne, depuis notamment l'assassinat de Kennedy (1963), dans laquelle perce de plus en plus la critique des idées abstraites et celle du système représentatif, qui lui, s'étire sur près de 250 ans.

(3) Monsieur Onfray au pays des mythes, parut juste après Décadence, en 2017.

(4) "Mais aucun croyant ne fonde l'historicité de Jésus sur des fresques médiévales ou des statues baroques", réplique Salamito.

(5) Deux sommets drolatiques de Décadence sont atteints lorsque d'une part, M. Onfray estime que Jésus n'ayant dans la littérature qui le concerne, ni uriné ni déféqué une seule fois, il ne faut pas croire à son passage terrestre; d'autre part, en vient à considérer que puisque les Evangiles ne se lisent pas comme un guide gastronomique palestinien, il faut là encore nier l'existence du "symbole", de la "fiction".

(6) Onfray eut pu critiquer l'aspect universaliste que donna Paul au christianisme et y voir une forme d'abus sémantique du message christique mais ça n'est pas ce qu'il fait.

(7) "Comment le docteur Onfray parvient-il à diagnostiquer chez l'apôtre "une impuissance sexuelle avec turgescence impossible?" 

(8) "L'Eglise est pour lui le corps qu'il n'a pas eu; c'est aussi le corps que Jésus n'eût pas (...) Un faux corps plus un corps débile, cela donne un corps mystique, celui de l'Eglise qui est communauté. L'Eucharistie est le lieu de cette transmutation des corps épars en un corps mystique." M. Onfray s'avère incapable de comprendre la religion (chrétienne) autrement qu'avec un jargonnage pseudo-psychanalysant sans patient...

(9) Expression savoureuse de Jean Messiha.

(10) "L'existence de Jésus n'est aucunement avérée historiquement": par une douzaine de textes quasi contemporains (années 50 et 60), si, compilés dans le Nouveau Testament. M. Onfray veut négliger l'apport historique de ces textes mais ne construit en contrepartie aucune thèse solide. "Une pièce de tissu dont la datation au carbone XIV témoigne qu'il date du XIIIe siècle de notre ère et dont seul un miracle aurait pu faire qu'il enveloppe le corps du Christ plus de mille ans avant le cadavre putatif!" Tu l'as dit, bouffi! Comment le linceul de Turin, une image plane anatomiquement exacte, relatant de face et de dos exactement le supplice d'un crucifié, sur laquelle on n'a trouvé ni contour, ni trace de pinceau, ni pigment coloré, pas d'effet directionnel, serait-elle une simple copie? "L'image - à peu près tous les chercheurs sont d'accord sur ce point - s'est produite par émanation à distance, par projection orthogonale, faisant disparaître tout aspect latéral", dit Jean-Christian Petitfils (Jésus, 2011), qui a lu les exégètes sur le sujet, au contraire d'Onfray. Les tests au carbone XIV, de 1988, ont été dépassés depuis.

Le Mandylion offert au roi Abgar V d'Edesse, censé être l'impression miraculeuse du visage du Christ vivant sur un linge; icône du Xe siècle, monastère sainte-Catherine, Sinaï. Le Mandylion était probablement le suaire de Turin, transporté dès le Ier siècle à Edesse, caché dans une niche de la porte de l'Ouest puis vénéré dans l'église Hagia sophia comme icône. Il fut transporté à Constantinople en 944.

dimanche 11 décembre 2022

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (1)

  


    Michel Onfray est partout, se répand partout; Amazon fait sa publicité sur le nombre de traductions dont il bénéficie, sur une ouèbe télé mise en place par l'auteur qui, il est vrai, n'a jamais écrit sur le silence, la discrétion, l'oubli, la lecture, la méditation, des choses qui me semblent aller comme un gant au philosophe. Mais il eut écrit sur ces choses qu'il ne les aurait pas pratiquées. Ses lectures personnelles sont publiques; à chaque livre ou presque, il ajoute une bibliographie commentée, poursuivant de fait le livre, généralement (trop) long. Il y a encore sa revue. M. Onfray écrit comme il parle, parle comme il écrit; c'est un robinet, un puits, une onde permanente, un train fou. Il veut être présent dans la philosophie, dans les médias, la presse, lors les campagnes électorales. Il donne désormais son avis sur tout, sur rien. A t-il même du temps pour lui, pour réellement penser et pratiquer ce qu'il dit choisir et aimer? Comment être cynique aujourd'hui, au sens antique, d'ailleurs? M. Onfray vit-il en épicurien, cherchant le plaisir limité? La gloire, l'influence n'étaient-elles pas rejetées par l'école du Jardin? Dans Sagesse, il n'a répondu à rien, par rapport à lui-même, par rapport aux autres pensées qu'il a défiées. (1) Tout est toujours en chantier avec lui. Il est devenu une fantasmagorie politico-médiatique à travers laquelle se lit l'insatisfaction fondamentale du soi-disant philosophe hédoniste. Alors, heureux de vivre en molécule (envahissante) parmi les molécules?

    J'aime lire M. Onfray mais je m'aperçois qu'il est creux parfois, qu'il ne creuse pas son sujet, qu'il suit une ligne schématisée (dans l'histoire, particulièrement), qu'il revient sans arrêt aux mêmes rengaines (l'anti-christianisme), qu'il commet des erreurs grossières, qu'il refuse la contextualisation, partant qu'il en reste à la littéralité textuelle, qu'il ne philosophe pas, qu'il est malhonnête quant à ses propres défis... Sa mauvaise foi, particulièrement à l'endroit du christianisme, sa superficialité, sa prétention universaliste, son rationalisme anachronique, son schématisme idéologique, son vain désir de gloire populaire campent le personnage autant que sa curiosité illimitée, sa capacité pédagogique, ses éclats de lucidité (sur la philosophie contemporaine particulièrement). Il y a un (autre) sujet qui a échappé encore à M. Onfray, lui qui voudrait tout dire et tout embrasser, c'est celui de son propre phénomène, intellectuel, éditorial, médiatique. Il ne le maîtrise pas, lui qui croit qu'avec la raison, on atteint à la maîtrise de la vie ou de la société...

    En lisant le Traité d'athéologie (2005), je me rendis compte d'une chose simple: M. Onfray est un rationaliste dans le genre bête et méchant comme on n'en fait plus. Exactement comme ces bourgeois libéraux du XVIIIe siècle, ces "philosophes", il croit à l'avènement de l'âge de raison, à la supériorité de la raison sur le reste (sans démonstration, en pure affirmation) et se met dans la poche, en toute affirmation là aussi, l'intelligence, le réel, l'attrait des livres, l'amour du prochain et des femmes, la tolérance et tutti quanti contre la méchanceté et l'obscurantisme purs et simples: le monothéisme. D'un côté le matérialisme hédoniste: le bonheur pour tous (pour soi?); de l'autre, l'idéalisme (platonicien, judéo-chrétien, kantien) qui suppose un au-delà de la physique: attention, danger de retomber en enfance, de croire à des fables! donc de ne pas affronter la mort avec le seul sens tragique qui convienne...

    Certes, le sens tragique manquait à tous ces benêts libéraux illuminés ou à leurs exécutants: ce n'est pas le moindre mérite de la Révolution de le leur avoir rappelé: Condorcet, ce "niais cultivé", poursuivi par ses pairs, dut se résoudre au suicide en prison au lieu de périr par l'échafaud (1794). (2) M. Onfray ne met-il pas pour autant ses pas dans ceux de ces illuminés, complètement fascinés par la seule raison, tant du point de vue individuel que collectif? "La crédulité des hommes dépasse ce qu'on imagine... Plutôt des fables, des fictions, des mythes, des histoires pour enfants, que d'assister au dévoilement de la cruauté du réel qui contraint à supporter l'évidence tragique du monde (...) Car de l'angoisse existentielle personnelle à la gestion du corps et de l'âme d'autrui, il existe un monde dans lequel s'activent, embusqués, les profiteurs de cette misère spirituelle et mentale. Détourner la pulsion de mort qui les travaille sur la totalité du monde ne sauve pas le tourmenté et ne change rien à sa misère, mais contamine l'univers... L'empire pathologique de la pulsion de mort ne se soigne pas avec un épandage chaotique et magique, mais par un travail philosophique sur soi (...) Non pas la foi, la croyance, les fables mais la raison, la réflexion correctement conduite. L'obscurantisme, cet humus des religions, se combat avec la tradition rationaliste occidentale." Et plus loin, de façon plus claire: "D'où un retour à l'esprit des Lumières qui donnent leur nom au XVIIIe siècle." En quelques phrases, nous ne trouvons que des affirmations orgueilleuses qui étaient celles des Lumières, abâtardies lointainement chez le jeune gauchiste à barbichette: 

-la raison (ou la science) s'oppose supérieurement à la croyance (autrefois: la superstition); celle-ci est fatalement une aliénation personnelle ainsi qu'une institution injuste et rétrograde; il faut s'affranchir du passé et de la tradition. (3) 

    Nouveauté onfrayenne post-freudienne: le sentiment religieux serait issu d'une "pulsion de mort"... là aussi devenue depuis longtemps une idée gauchiste toute faite: "le croyant a peur de la mort". (4) "Tant que les hommes auront à mourir, une partie d'entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges", dit de façon plus élégante par Onfray. "La terreur devant le néant, l'incapacité à intégrer la mort comme un processus naturel, avec lequel il faut composer (...), mais également le déni, l'absence de sens en dehors de celui qu'on donne, l'absurdité a priori, voilà les faisceaux généalogiques du divin." La terreur devant le néant n'a, à ma connaissance, pas habité l'homme avant le XIXe siècle; à l'inverse, toutes les sociétés d'avant l'ère industrielle "intégraient la mort comme un processus naturel" (voir la mortalité infantile élevée, par exemple). On peut évidemment faire comme Onfray ou les philosophes du XVIIIe et postuler un homme pur, nu, le bon sauvage, non contaminé par la civilisation...

    Je souligne que M. Onfray qui ne croit pas à la "fable" de l'existence de Jésus, gobe par contre sans sourciller la version officielle des attentats du 11 septembre; il évoque cet évènement à plusieurs reprises pour souligner, lui, l'hétérogénéité incohérente de l'islam. (5) Et la fable de la balle magique, traversant Kennedy et lui remontant par la gorge avant de toucher encore deux, trois fois le sénateur installé par devant, y croit-il?

    Le raisonneur n'est pas plus raisonnant que les autres. Ca fait un moment qu'on le sait ou qu'on s'en doute. Qui pourrait se prévaloir de la seule raison, qui pourrait nier, négliger les élans du coeur depuis Rousseau, Hugo ou Lamartine, l'imagination, l'intuition, les instincts comme composant l'humanité? Qui pourrait nier depuis cette époque "naïve et niaise" l'apport de l'inconscient, l'insuffisance dramatique et même la fausseté de la raison comme boussole collective, la contradiction factuelle de tous les plans sur la comète de la raison? M. Onfray peut-être pour qui seul le croyant est "naïf et niais" et qui voudrait recommencer le plan des Lumières tracé par Kant: "On peut et l'on doit souscrire au projet, toujours d'actualité: sortir les hommes de leur minorité; donc vouloir les moyens de réaliser leur majorité... avoir le courage de se servir de son entendement; se donner et donner aux autres, les moyens d'accéder à la maîtrise de soi; faire un usage public et communautaire de sa raison dans tous les domaines..."; (6) majorité, raison, maîtrise de soi: de belles chimères au même titre qu'autrefois: la science, les lumières, la liberté, l'égalité, la souveraineté, tout de suite démenties dans le sang des passions révolutionnaires, l'intérêt des Etats et des nations, la croissance terrifiante des moyens de destruction, l'accaparement de la "démocratie" et de la chose publique par des factions, des comités, la technocratie, la médiacratie, l'anonymat terrible du citoyen à la merci du développement bureaucratique de l'Etat qui donna la société totalitaire... Mais, pour Onfray, chose bien commode, le nazisme, obsession immature chez lui, procède quasi directement du catholicisme et même de saint Jean! Le lien n'est donc probablement pas très clair chez le nouvel agité du bocal entre les proclamations prométhéennes des Lumières et ses différentes étapes pratiques, toutes au service d'un nouvel homme pourtant, enfin libéré de toutes les traditions du passé... (7)


(1) Il est vrai que, dans cet ouvrage, Epicure en prend pour son grade, tant M. Onfray, criticologue-né et anti-tout, ne peut s'empêcher de frapper cette soi-disant idole.

(2) "Voici Condorcet, qui voit l'esprit humain s'avançant, d'un pas ferme, dans la route de la vérité, de la vertu, du bonheur, vers une époque, où il n'y aura plus, sous le soleil, que des hommes libres ne reconnaissant pour maître que leur raison." André Tardieu, Le Souverain captif (1936)

(3) On croirait presqu'entendre Voltaire: "La domination des prêtres de la religion chrétienne, qui osent faire parler Dieu et sont un composé de fanatisme et de fourberie, est le plus humiliant des despotismes."

(4) Alors que dans les situations à risque, ce sont les plutôt les socialistes et féministes parisiens, les relativistes et autres nihilistes qui détalent comme des lapins, qui reviennent avec des ballons et des fleurs. Ensuite, M. Onfray dirait que dans le nihilisme actuel, il n'y a pas assez d'athéisme.

(5) "il existe autant de textes dans ce même livre pour donner raison au combattant armé ceint du bandeau vert des sacrifiés à la cause (...), aux kamikazes précipitant des avions civils sur les tours de Manhattan..." Un avion commercial de 186 tonnes maximum aurait-il suffi à chaque fois à faire tomber à la vitesse de la chute libre une tour d'acier (135 000 tonnes) et de béton (90 000 t.), qui n'était pas en flammes, près d'une heure plus tard au minimum? La tour n°7 dans le secteur tomba elle aussi à la même vitesse, sans même avoir été percutée. Quant au scénario relatif à l'avion commercial percutant soi-disant le Pentagone, il est encore plus grotesque.

(6) Cerise sur le gâteau: "ne pas tenir pour vérité révélée ce qui provient de la puissance publique"!

(7) "Bon par nature, perfectible par destination, l'homme raisonnable sera doté des attributs qui définiront son caractère: liberté, égalité, souveraineté." André Tardieu. M. Onfray n'affirme pas l'homme bon par nature, à ma connaissance mais gâté par la religion, ce qui revient au même; il postule un état de perfection naturelle à partir duquel la raison, simple fonction matérielle, se développerait harmonieusement. Seule l'intervention d'hommes méchants explique alors la perversion de l'état naturel: "Dès lors je ressens ce qui monte toujours du plus profond de moi quand j'assiste à l'évidence d'une aliénation: une compassion pour l'abusé doublée d'une violente colère contre ceux qui les trompent avec constance. Pas de haine pour l'agenouillé mais une certitude de ne jamais pactiser avec ceux qui les invitent à cette position humiliante et les y entretiennent."

Caricature traditionnelle du "siècle des Lumières": la religion, bedonnante, y est en bonne place dans la représentation de "l'oppression". "Il faut espérer que (le) jeu là finira bientôt", eau-forte de 1789.

vendredi 10 juin 2022

L'art bobo-plouc existe

 


Brassy, dans le Morvan, n'est pas un village très beau. Son église est même plutôt moche; le choeur est enflé par rapport à la nef. Il y a quelques jolies maisons... ne parlons pas de la salle polyvalente. 

Mais la préoccupation principale du maire, c'est de faire du bruit, d'animer, de faire venir du monde, du bobo, du parisien, de l'étranger et les ploucs alentour, fascinés sans doute par l'énergie du maire et "l'animation" des lieux. A l'image du fluide et superficiel Président, le maire de Brassy voudrait faire venir tout le monde dans son village afin de réaliser le "vivre-ensemble" dont il rabâche l'importance dans son bulletin municipal. Des ploucs motorisés, des travestis et des militants de l'indifférenciation au même moment, le même week-end: pourquoi pas! Le bruit et la connerie ambiante en même temps, comme dirait l'autre; après tout, vont bien ensemble.

La gauche voulait élever et instruire l'homme autrefois. Qui songe à élever et instruire désormais? Qui songe à l'homme d'ailleurs quand se multiplient les professeureuhs et les autriceuhs et quand pullulent les ajouts en -e et -s à des mots devenus illisibles et imprononçables? A la campagne, on ne vient pas se reposer, contrairement à ce que vantent encore les dépliants touristiques: la campagne est devenu le terrain de jeu des citadins. Un maire digne de ce nom et digne de la culture ambiante, c'est-à-dire de pas grand chose, se doit d'être à la remorque des désidératas des citadins mondialistes, cosmopolites, déconstruits, asexués, théoriquement déchaînés contre le terroir et l'enracinement, pratiquement avides de tout envahir, contrôler, expérimenter, changer en "bien", comme dirait Ruquier. "Le bien des gens", telle est la boussole théorique et politique des bobos et des gogos. Là où les citadins sont, du reste, le changement est. Va pour Brassy, village non pas incendié par les Allemands en 1944 mais ravagé périodiquement par une foule d'imbéciles communiant dans un bruit indistinct, l'horizon indépassable de l'animation, les théories les plus absurdes.  Il y a aussi le bruit très localisé des sans-gêne qui prennent la campagne pour une boîte de nuit; la campagne n'appartient plus à personne sauf à ceux qui s'y déplacent ponctuellement. On anime aujourd'hui, quand on est un politicien quelconque: et pour tous les goûts, tous les secteurs et tous les segments électoraux.

Le maire garde un petit cachet plouc tout de même: ah, on a sa sensibilité rurale! Dans le village, qui se concentre en une place, on a tendu une corde à linge de l'église à une des maisons et devinez quoi: du linge pend dessus depuis déjà belle lurette. De l'art plouc en somme. Lors de la "Mad Jacques", course cycliste qui, au mois de juin, partie de Dijon vient précisément se finir à Brassy, on fait les choses en grand; et tout le village est parsemé de bouts de ferraille de vélo accrochés les uns aux autres pour former pyramide ou chose encore plus laide. C'est le maire de Brassy, il est comme ça! Il a presque inventé l'art bobo plouc à lui seul, un genre rural dans la catégorie sérieusement citadine de l'animation contemporaine.

Gageons que les nouveaux instituteurs du monde rural, travestis et autres théoriciens du sexe à la manque vivifieront les faces rougeaudes de nos édiles; de nouvelles formes d'art bobo-plouques sont à prévoir!