dimanche 31 mars 2019

Le nouvel Art Nouveau

Quantité d’illustrations d’un nouvel Art nouveau sont apparues ces dernières années, du moins en architecture: les plus récentes sont le Musée national du Quatar par Jean Nouvel qui s’inspire de la rose des sables et la Ruche ou le Vaisseau (Vessel) du designeur britannique Th. Heatherwick à New-York, dans un ensemble rénové, qui lui, s’inspire de la structure interne des ruches, faites d’alvéoles hexagonales.

Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est l’imbrication de la déconstruction architecturale, pratiquée et prisée depuis quelques décennies dans un sens post-moderniste, comme on dit, (1) avec l’éclosion depuis quelques années d’un style fondé sur la copie de la Nature: on a là, selon moi, une porte de sortie fatale car l’architecture post-moderne, qui est plus une philosophie qu’un style, n’a plus rien à dire. Déconstruire les bâtiments, rejeter la structure dans sa continuité, c’est bien beau mais ça ne mène à rien sinon au musée de Bilbao ou au Walt Disney Concert hall de Los Angeles (Frank Gehry). L’étape suivante ne peut être qu’une réévaluation et un redéploiement de la structure. Jean Nouvel, 73 ans, par exemple illustre à merveille mon propos, lui qui a livré ce mois-ci à la fois un immeuble d’habitation déconstruit à Lyon et le nouveau musée national du Quatar, inspiré d’une forme naturelle désertique.





La tour Ycone à Lyon

P. Mondrian (1920)


Dans le Deuxième arrondissement de Lyon, au sud de la presqu’île qui longtemps avait servi de gare de triage, de marché de gros et de berge à l’autoroute A7 et, qui à présent est gentrifié par le passage d’un tramway ou l’installation de l’hôtel de Région, (2) la tour Ycone est une tour d’habitat qui donne la curieuse impression de se volatiliser. Jean Nouvel utilise encore le vocabulaire de la déconstruction mais il n’a plus les moyens, la fantaisie ou l’envie, donc il n’invente rien. Son building est en fait faussé par un revêtement compliqué , une sorte de grille d’aluminium ponctuée de panneaux et de vitres, où joue la couleur et cette grille s’ouvre à partir des derniers étages. L’impression est complète avec deux grilles supplémentaires d’inégale surface, affrontées, sur le toit: on dirait alors que l’immeuble vibre naturellement et commence à s’ouvrir par le toit. Architecturalement, c’est une tour dont les murs sont cachés; plastiquement, c’est proche de Mondrian. Théoriquement, Jean Nouvel ne sait pas trop quoi faire d’autre avec sa tour déconstruite que d’imiter la Nature, soit l’éclosion d’une plante ou d’une fleur.

                                                                             


Inauguration le 27 mars

Le même architecte assume le passage au naturalisme à Doha, capitale du fameux Quatar, devenu (petit) pays des rêves et du capitalisme sauce arabique. Le gigantisme est à l’oeuvre pour cet architecte consacré aussi connu que Frank Gehry ou Ieoh Ming Pei. Toute la région attire les créateurs et entrepreneurs occidentaux. (3) Face au front de mer, le golfe Persique, le bâtiment s’étend sur 350 mètres du sud au nord autour d’un monument historique qui termine la Vieille ville (médina) à l’Est, un ancien palais cheikhien qui, de fait, est intégré à la visite. Une autoroute urbaine cerne le site puis un "lagon" avec jets d’eau, du français JM. Othoniel. L’ensemble du site est conçu comme un jardin par un autre français, Michel Desvigne, le bien-nommé.

La Rose des Sables (qui ne se mange pas) est elle-même décomposée; elle aurait reçu un sérieux coup et ses pétales pétrifiées se seraient dispersées. Ou alors est-elle enfoncée en partie dans un sable de béton imaginaire. Ce sont ces pétales qui forment le bâtiment proprement dit, en forme de disques de béton fixé sur ossature d’acier s’entrecoupant dans le désordre (115 000 m2 de béton). "C’est une volonté de créer des contrastes, des surprises", à l’extérieur comme à l’intérieur, comme dit Nouvel. "Vous pouvez passer ainsi d’une salle assez haute barrée par un disque en biais, à une autre avec une intersection beaucoup plus basse. Cela crée quelque chose de dynamique, une tension." (4) La déconstruction est achevée, jusque dans la structure mais elle n’a plus d’objet. "La dynamique, la tension" ne sont pas créatrices d’un ordre artistique inédit comme avec Mondrian mais sont soumises désormais à un nouveau naturalisme. La Rose des Sables commande tout.




J. Nouvel va jusqu’à donner une texture naturaliste à ses disques parcourus de nervures quoique la rose des sables ne présente pas ces nervures mais des lignes de déclinaison minérale et une patine rugueuse et constellée d’éclats. (5) N’empêche, de loin, l’impression minérale se renforce. Les antres que provoquent la coupure de ces disques deviennent des vitres, elles-mêmes animées de nervures. La couleur du béton, elle, est celle du sable.

Difficile du reste de se faire une idée de l’intérieur, par manque de photos adéquates. Mais les Quataris sont ravis!



Structure croissante et reflets cuivrés 


Le complexe organique du Poumon géant


Vue verticale: le haut semble alors plus étroit que le bas


Enfin, un dernier projet, à New-York, récemment dévoilé aussi, montre parmi d’autres la voie retrouvée du naturalisme. C’est tout un quartier dans ce que les new-yorkais appellent Midtown, à peu près au centre-ouest de Manhattan, sur les bords de l’Hudson; ce quartier est le plus grand projet immobilier jamais réalisé aux Etats-Unis, composé de gratte-ciels pour ne pas changer et surtout d’une structure originale de quinze étages seulement, située aux abords de la Onzième avenue et temporairement appelée le Vaisseau.

Cette construction est franchement déroutante. En fait de Vaisseau, on dirait plutôt un Poumon géant, un genre de structure organique constituée d’une armature régulière dont le rayon augmente à la verticale (46 mètres au sommet). C’est à l’intérieur en vérité que la forme d’alvéoles apparaît de même que la vue verticale laisse poindre le haut des gratte-ciels environnants. Curieusement, d’ailleurs, cette vue par le bas annule l’effet de croissance oblique de l’édifice.
Toute la structure est composée d’escaliers, c’est même son unique fonction; escaliers joints par des seuils formant les côtés horizontaux des alvéoles. C’est donc une pure fantaisie naturaliste. (6) On peut également monter rapidement par ascenseur, la vue en mouvement à travers les alvéoles étant probablement la plus excitante. Tout en haut, on évolue donc d’escalier à seuil même si la petitesse du bâtiment n’offre pas des vues aussi larges que le sommet des gratte-ciels. Celui de l’Empire State building avec sa flèche apparaît à l’est. Il n’y a que l’Hudson, vaste étendue morne qui apparaisse clairement à l’ouest ainsi que le triage immense de la gare de Pennsylvanie. Mais dans une phase ultérieure, si ce côté ouest est bouché par de nouveaux buildings, l’intérêt du Vaisseau serait moindre.

Enfin, le soir peut-être, les reflets du soleil couchant (sur l’Hudson) donnent à la ligne métallique cuivrée de cette oeuvre fantasque, la couleur du miel. Sorte de non-architecture ou de pur essai, ce serait comme un "meuble" reconnaît un des concepteurs, qui n’a pas encore trouvé sa fonction. La meilleure vue selon lui serait purement interne; mais ce petit jeu me semble limité...


(1) Exemple lointain: le centre Beaubourg par R. Piano et R. Rogers (1977) qui repose sur l’externalisation des conduites techniques, aussi des voies d’accès verticales; le mur, la structure portante est ainsi caché, nié, décomposé.
(2) Région double comme on sait: Auvergne et Rhône-Alpes. Mais l’Auvergne redeviendra autonome, foi de bougnat!
(3) Ieoh Ming Pei est l’auteur du Musée d’art islamique dans la même ville, à quelques encablures de là et Jean Nouvel a déjà réalisé l’année dernière le Louvre-Abou Dhabi dans l’Etat concurrent des Emirats, plus au sud du golfe.
(4) Connaissance des Arts, avril 2019.
(5) Le Moniteur avance le chiffre incroyable de 539 disques. N’y a t-il pas une erreur?
(6) A 150 millions de dollars.

dimanche 3 mars 2019

Un nouveau pavillon d’entrée pour le musée de Cluny


vue depuis le départ de la rue du Sommerard avec les thermes à gauche



entrée du pavillon et bâtiment XIXe rénové



la façade latérale en détail: claustras et plaques d’aluminium

Par hasard, je suis tombé sur la nouvelle, plus vraiment nouvelle, que le musée du Moyen-âge à Paris ou musée de Cluny, au croisement des boulevards Saint-Michel et Saint-Germain, était en travaux. De fait, les Thermes gallo-romains qui font en partie l’intérêt de ce lieu (Ier siècle de notre ère) ont été restaurés et un pavillon moderne construit, conduisant aussi bien à la visite des Thermes que du musée, sis dans le charmant hôtel de Cluny et sa décoration gothique flamboyant (fin XVe siècle), résidence autrefois des abbés de Cluny.

Pour autant que je m’en souvienne, l’entrée se faisait auparavant par la rue du Sommerard, à travers un porche médiéval aux angles arrondis donnant dans la cour. Un mur crénelé cache en effet cette petite cour qui donne toute la mesure de la décoration médiévale: voussures pincées des portes donnant sur un développement floral, colonnettes finement ouvragées, fenêtres à meneaux encadrées par d’étroites voussures droites se croisant aux angles, cernées encore au-dessus par une moulure en forme de grecque, balustrade à motif végétal ajouré, lucarnes à pignon et pinacles. Certes, au départ de la rue du Sommerard, il y avait les Thermes d’un côté, une cour reposant sur un soubassement antique et un bâtiment XIXe en briques imitant les thermes, pas terriblement engageant. Le pavillon est donc venu sur la cour provoquer l’intérêt du passant.

Inauguré en juillet dernier, le pavillon en effet ne semble pas évident. On se demande: Qu’est-ce que c’est? C’est une surface à deux pignons, brun métallique, sans cohérence symétrique, avec des ouvertures brutes verticales, toutes voilées et grillagées sauf une, près de la rue. Pas de séparation, pas de moulure, pas de corniche ni de volets. Au rez-de-chaussée, si lon veut, une grande vitrine suivie dune porte brute elle aussi donnent sur une rampe daccès aux Thermes par lextérieur mais à vue de piéton, lensemble également est voilé par lantique grille de la rue. On pourrait dire alors que la discrétion, le désordre apparent, la timidité des lieux attirent le passant.

L’architecte Bernard Desmoulin, dans la cinquantaine, ne semble pas très original; comme d’autres, il privilégie la lumière, la dématérialité et même la déconstruction esthétique, la matière brute. La matière recule pour mieux se faire voir comme les panneaux métalliques désordonnés qui composent la façade latérale. "Une sorte de patine" explique t-il. Lensemble est, cest vrai, étonnamment intégré à son environnement, en tous cas sur les photos et cest peut-être ça, la réussite de lentreprise: une architecture déstructurée mais qui ne choque plus, ne revendique rien, une architecture qui se voudrait presque comme la continuité sculptée ou esthétique de lensemble environnant. (1) Finalement, à force de déconstruction, larchitecture retrouverait son sens dans le pur décor architectural.

Il se pourrait aussi qu’il y ait des effets lumineux sur la surface, chose que j’apercevrais uniquement sur place. Lorsqu’on approche l’oeil, sur les photos en tous cas, le soi-disant grillage en aluminium est un claustra qui reprend le motif végétal de la balustrade de la cour. Leffet intérieur doit être saisissant. Le ton brun, la surface burinée des plaques métalliques poursuivent la décoration par paires dassises alternativement ocre et brune des vieux thermes, comme si dailleurs, ces plaques de taille et de forme diverses étaient la représentation grossie dune seule couche de briques. Le souci environnemental au sens architectural, invoqué depuis de nombreuses années, a donc ici été pleinement pris en compte.

La fameuse tenture de la Dame à la licorne (déb. XVIe s.) est présentée dans le pavillon en attendant la réouverture du musée lui-même dont on change laménagement. Enfin on réaménage aussi le jardin côté boulevard Saint-Germain pour une réouverture en 2020. Affaire à suivre.


(1) à l’inverse du musée du quai Branly, par exemple (Jean Nouvel, 2006).