samedi 23 mai 2015

Un sacré coquin (3)


Il y a quelque chose de Georges Clemenceau dans Jean-Marie Le Pen. Clemenceau ne pouvait s'empêcher d'être méchant pour rire, pour faire rire, d'être masculin vis-à-vis d'un Briand trop contorsionné, trop louvoyant, trop féminin. Une fois Président du Conseil, il ne peut s'empêcher de pousser son ministre de l'Instruction qu'il n'aime pas en fait, dans les cordes, lors d'une séance du mois de janvier 1907. "Moi, j'étais au gouvernement, j'étais ministre de l'Intérieur, il fallait appliquer la loi qui avait tout prévu hormis ce qui est arrivé. (...) Nous sommes dans l'incohérence parce que l'on nous y a mis. J'y suis, j'y reste!" Aristide Briand, également le ministre des Cultes se sent visé et quitte le banc des ministres. Le sujet porte sur l'exercice du culte et la dévolution des biens de l'Eglise, protégés pendant un an par la loi de Séparation, le temps que le gouvernement trouve justement le régime juridique approprié au culte. Clemenceau reconnaîtra sa faute et ira chercher lui-même son collègue dans la salle des Quatre-colonnes.

Michel Winock remarque d'autre part que Clemenceau, finalement, n'a pas fait grand chose. Avant de mourir, Jaurès lui-même accusait son adversaire non-socialiste de "néant des résultats législatifs". Aussi bien les lois sur la retraite ouvrière et sur l'impôt sur le revenu, pourtant en discussion à la Chambre, ne furent pas votées sous les magistères Clemenceau. L'histoire est ironie: Clemenceau qui avait ferraillé durant toute sa vie de député contre l'absence de préoccupation sociale de gouvernements bourgeois mais républicains, affronta lui-même, une fois ministre de l'Intérieur, des grèves sans précédent dans les années 1906-1909.


Le 15 janvier 2011, Marine Le Pen est le nouveau "chef" du parti de Jean-Marie Le Pen. Un journaliste est éconduit prestement en soirée, alors qu'il ne devait pas se trouver là. Le lendemain, devant d'autres journalistes, Le Pen père sort une de ces blagues caractéristiques et pas si mauvaise: "Cela ne se voyait ni sur sa carte d'identité, ni, si j'ose dire, sur son nez", qu'il était juif, Michaël Szames. C'est une façon comme une autre de mettre des bâtons dans les roues du char de sa fille mais cela ne l'a pas empêché de suivre son chemin... Il a déjà donné une intervioue à Rivarol (2005) peu apprécié par sa rejetone, il a plusieurs fois réitéré son opinion particulière sur les chambres à gaz...

J'entends ou je lis des expressions assez stupides concernant le couple Le Pen, père et fille. Ca fait depuis belle lurette que Marine Le Pen est une grande fille; elle n'a nul besoin de "tuer le père", par exemple ou de "couper le cordon", expressions mélangées ici, dont la première ne s'applique pas aux filles. Depuis des années voire plus d'une décennie, Marine Le Pen fait tout pour à la fois s'émanciper politiquement du vieux parti de son père, peut-être de manière confuse ou cosmétique cependant, et d'autre part rester aussi indéfectiblement proche et solidaire de lui, d'une manière privée ou publique. "Le Pen est à la fois son salut et sa prison" dixit les deux journalistes déjà cités. Elle ne tranche pas et le dernier épisode de cette saga familiale le montre; contrairement à la langue de bois des "lieutenants" de celle-ci qui la voient déjà en "chef d'Etat" suite à ce petit épisode, Nicolas Bay et autres Fl. Philippot, Le Pen père n'a ni été exclu, ni perdu son titre honorifique et a commis pourtant bien des impairs par rapport à la nouvelle doctrine mariniste. Cela pose un problème d'ordre général car Marine Le Pen ne se révèle, à mon sens, pas plus décisionnaire que N. Sarkozy ou Fr. Hollande en exercice.

Selon FOG., N. Sarkozy préférait toujours humilier plutôt que sanctionner; en effet, le directeur de la police judiciaire de Toulouse n'a pas été sanctionné par exemple, alors que Mohamed Merah avait pu tranquillement sortir de son immeuble d'habitation par derrière et que la police surveillait seulement la rue (mars 2012), la nuit même de la fusillade finale... Même phénomène dans le Var quelques mois après et après une élection présidentielle; à Collobrières deux gendarmettes allaient trouver la mort en frappant chez un dingue qui se servit de leurs armes; sous l'ère nouvelle qui n'était qu'ancienne, on ne remettait pas en question la féminisation rampante des principaux ministères; il ne servait donc à rien de frapper leur supérieur puisqu'on ne lui reprochait pas d'avoir envoyé deux "hommes" en mission de routine.


Par rapport à ces événements, Marine Le Pen ne semble pas annoncer de rupture particulière. D'ailleurs, on l'a déjà eu le petit cinéma de la rupture en 2007... L'ANPE a été renommée ainsi que le RMI: quel vent de libéralisme en socialie française! Mais on peut toujours passer des années au chômage en France, des années en arrêt-maladie... La gauchisation du Fn qui remonte à l'élection présidentielle de 2007 au moins, donc au père, le désir latent de Marine Le Pen de faire partie de la république maçonnico-socialiste qu'est la France finissante, au fond, le féminisme médiatique et mental avec sa psychologie de bazar que représente tout de même Marine Le Pen en s'entourant d'une coterie homosexuelle, tout cela ne gage d'aucune rupture essentielle...

Soirée de gala pour Marine Le Pen en tenue douteuse, à New York, invitée par Time le 21 avril. Elle serait parmi les personnalités les plus influentes au monde, "parmi les plus puissantes" ai-je entendu à la radio française. Le journalisme inculte à la française se porte bien.

samedi 16 mai 2015

Un sacré coquin (2)



La réaction terrible et même un peu stupide de Le Pen père paraît incompréhensible: s'il en a après Philippot, pourquoi attaque t-il sa fille? Pourquoi si tard? Il connaît probablement l'entrisme que pratique Philippot, qui est vice-président depuis 2012. Jean-Marie Le Pen est retiré doublement de la tête du mouvement et de la course à la présidence, depuis 2010-11. Pourquoi publiquement a t-il voulu humilier sa fille alors qu'il ne fait, dans le fond, que contester une mainmise étrangère, voire un changement de ligne vers la gauche étatique qu'il a pourtant assumé, en son temps? Est-ce plutôt une grosse colère cabotine et vite retombée, la dernière lubie d'un président de parti seulement qui voit s'effacer sa carrière, sa vie, l'emprise constante qu'il avait sur ce parti-accordéon...? Je le crois.

Jean-Marie est double. Ses réactions se choquent elles-mêmes et s'annulent. Les journalistes cités précédemment se demandaient perplexes, si Jean-Marie Le Pen avait jamais eu un but politique réel et même réaliste. "Il est le résultat d'un parcours erratique qui lui a en grande partie échappé." C'est à ce titre que j'aime Le Pen: c'est un raté, un raté vivant, fabuleux, comme on en voit dans les films de Kusturica. A la stratégie froide, la carrière, les honneurs finalement venus, il préfère la vie peinarde, les grasses mâtinées et les joutes télévisées, il préfère jouir et exploser plutôt que construire et atteindre patiemment un but. A lui-même, il est un monde, un univers; il a trop de personnalité, elle doit sortir, se répandre, quoi qu'il arrive. Il aime provoquer et brouiller les cartes. Il a suscité la détestation de générations souvent incultes mais son commerce est agréable; tout le monde reconnaît sa culture. "...un homme devenu pessimiste sur la société, fasciné par le miroir de sa propre existence et qui tendrait presque à en faire une oeuvre d'art baroque" disent Pierre Péan et Ph. Cohen.

Comme un sale gosse, "Le Pen révèle aussi une incroyable propension à tout détruire, y compris la grosse PME qu'il a mis vingt-cinq ans à installer sur le marché de la politique...", et c'est bien ce qui s'est passé dernièrement, exactement comme la journée de décembre 1998 à la Mutualité; le parti s'est déchiré et les mégrétistes, les plus nombreux et les plus qualifiés, partirent. Bien sûr, c'est le mystère de ces personnages explosifs, il était qualifié au second tour de la présidentielle près de trois ans après. C'est presque un miracle. Le Pen sait, ce soir-là qu'il est coincé, qu'il n'obtiendra pas un suffrage de plus.

Ainsi, Le Pen s'est répandu, jouissant de la vie mais ne construisant rien, à proprement parler. Il est proche de sa nature comme je l'avais écrit jadis de Mesrine; il essaie moins que les autres de participer au mensonge social. "Il évite une carrière de politicien classique par son côté caractériel"; "Il a toujours préféré être chef de pas grand-chose que de participer à une grande oeuvre." En ce sens, il est même l'anti-Philippot par excellence ou plutôt c'est Philippot le propre-sur-lui qui s'éloigne le plus possible de cette personnalité éruptive. Philippot était jusque-là un technocrate d'un ennui considérable; peut-être va t-il prendre plus de relief depuis que Le Pen lui-même l'a révélé comme son tombeur...

Le vieux politicien Le Pen: à moitié joueur, à moitié prophète. A suivre...

jeudi 14 mai 2015

Un sacré coquin (1)


Ce Philippot... la pipelette insupportable se révèle avoir les dents longues, bien longues! Il est normal que la jeunesse chasse la vieillesse cependant... Mais commençons par le commencement..

Il y a trois histoires: celle de la fille pour commencer. "J'ai honte que la présidente du FN porte mon nom et je souhaiterais d'ailleurs qu'elle le perde le plus rapidement possible. Elle peut le faire soit en se mariant avec son concubin soit, peut-être avec M. Philippot..."; "...je ne reconnais pas de lien avec quelqu'un qui me trahit d'une manière aussi scandaleuse"; "elle est entourée par un certain nombre de gens qui sont des socialo-gaullistes..."; "elle en a disposé (de l'avenir du Fn) d'une manière scandaleuse."; "J'espère surtout qu'elle sera une femme droite, loyale... (à propos de Marion MLP)". Qui a dit ne plus souhaiter la victoire de Marine Le Pen aux futures élections présidentielles "parce que si de tels principes moraux devaient présider à l'Etat français, ça serait scandaleux (5 mai, Europe 1)"?

Quelle est la fille de France qui n'aurait pas chialé en entendant son père la dézinguer de cette manière à la radio, la renier, la piétiner? La fille Le Pen ne pouvait pas s'attendre de la part de son père, un curieux bonhomme qui fonctionne encore à l'âge patriarcal, à des paroles moins sévères. Elle les entendra encore dans sa tête longtemps. Mais notez: le Menhir n'est pas officiellement exclu depuis le 5 mai; il est "suspendu de son statut d'adhérent" ce qui est une formule stupide et transitoire qui, peut-être ne donnera rien. "Dans trois mois, nous verrons bien!" lâche Le Pen, goguenard.

Trois jours après, Marine Le Pen accepte une intervioue à Radio-classique par PPDA. Prisonnière de son image justement, de ses passages répétés à la radio (où vous êtes filmé désormais) et à la télévision, elle ne pouvait pas trop reculer cet instant. Son visage est défait, la mine est cadavérique. Sans délicatesse aucune, après quelques notes de musique, le journaliste vieillissant attaque tout de go par "son père". Entre-temps, l'ambitieuse pipelette ambulante était déjà passée quatre fois dans les médias: quatre fois en trois jours! Une fois le cinq mai (LCI), deux fois le six (France 5 et RFI) et une fois le sept (l'Opinion.fr). Philippot porte le coup et explique la méthode: derrière son bavardage insane qui lui assure le suffrage des temps, un politicien cynique de la trempe de Chirac est en train d'apparaître.

Elle n'est pas réapparue depuis. Dignement, elle essayait de ne pas vraiment parler de son père, ce jour-là. Marine Le Pen eût pu s'y attendre. Dans l'histoire Le Pen, où il y a trois filles, les colères du pater sont lourdes de conséquences. "Le Pen est un autocrate-né", écrivaient les journalistes Philippe Cohen et Pierre Péan, "qui ne conçoit guère de partager le pouvoir, ni même d'en discuter les modalités d'exercice."

En 1997 ou 1998, sa fille aînée Marie-Caroline fit l'erreur, un, d'avoir été mariée à Philippe Olivier, un mégrétiste et deux, de contester la décision prise par son père de placer sa deuxième femme, Jany, en tête de liste aux européennes qui viennent alors qu'elle s'y voyait et était, bien entendu poussée par son mari. Le Pen est un procédurier: il attaque même sa fille en l'accusant d'avoir vandalisé la maison familiale de Montretout; à l'époque du livre (Une histoire française, 2012), le procès était toujours devant la Cour de Cassation et Le Pen père et fille, toujours pas réconciliés.

Le visage trop maquillé de MLP le 8 mai à Radio-classique. A suivre...

lundi 11 mai 2015

La vie génialement castrée de Will (2)



La scène de rupture est ô combien caractéristique de la mentalité féministe profondément intégrée par les uns et par les autres aux Etats-Unis: de fait, l'homme est la femme et la femme est l'homme. Skylar est une Américaine tout ce qu'il y a de plus mâle, c'est-à-dire une Américaine: elle parle haut et fort, elle a toujours quelque chose à répliquer, sûre d'elle-même, elle prend des initiatives, elle sait où elle va, elle définit l'avenir; c'est l'homme d'autrefois. C'est elle qui, revenue vers lui, laisse à Will un numéro de téléphone; il a beau se vanter auprès du chevelu par la suite, il n'a pas fait grand chose pour le lui arracher. Dans une autre scène, Will est apparemment séduit de voir manger sa petite chérie comme une dégueue. La féminité américaine est quelque chose de grossier et masculin: faut aimer...

Harvard n'étant pas assez bien pour elle sans doute, elle a décidé de partir en Californie. Le pouvoir psychologisant des femmes prend alors tout son sens dans les quelques répliques suivantes, prononcées dans une chambre... laquelle? Celle de la fille-mec, évidemment:
-J'ai juste envie que tu viennes en Californie avec moi.
-Je ne peux pas partir.
-Mais pourquoi?
-Mais enfin, j'ai un boulot et aussi, je vis ici.
...Ecoute, si tu ne m'aimes pas, tu devrais me le dire parce que... De quoi as-tu si peur?

Dans Le Lauréat, film américain des années 60 qui montre l'éducation sentimentale et sexuelle d'un brillant étudiant amerloque soixante-huitard joué par le jeune Dustin Hoffman, c'est l'homme tel qu'on l'on conçu pendant des siècles qui apparaît encore. Il agit, il change les choses. Il est agi certes par la vampiresse Madame Robinson mais elle ne fait que remplir un office d'éducatrice, pas de castratrice; elle n'exige pas d'amour de lui. Benjamin se battra pour séparer la mère et la fille et enlever la superbe Elaine (Katherine Ross). Il y avait une rivalité normale entre les deux femmes; l'homme était encore le centre du monde.

Dans Will Hunting, le jeune prolo, qui est à l'aise dans son quartier n'est rien socialement mais même physiquement en dehors; pour devenir un soi-disant génie, il doit passer sous les fourches caudines du fémininement correct. Dommage que le film n'ait pas tourné autour de cette opposition, n'ait pas plongé dans ce qui reste de poches patriarcales ou machistes dans ce pays. Ce sont deux jeunes hommes de la classe moyenne qui ont écrit ce scénario hyper-féminisé dans lequel ils se projetaient apparemment sans problème en tant qu'acteurs... Parents divorcés pour l'un et pour l'autre, comme de bien entendu; la mère de Ben était institutrice, la mère de Matt est, lit-on, "spécialiste en éducation de l'enfant": l'horreur intégrale!

Will se récrie: tu as voulu te taper un petit prolo musclé avant de partir, c'est ça? Et de fait, Matt Damon se lève du lit et montre ses pectoraux enflammés. Mais c'est une gonzesse qui parle... Il ne contrôle pas la situation, il la subit. S'il était homme, il dirait: Tu veux te barrer, barre-toi. Moi, je reste ici. Il la réduirait à ce qu'elle est, à son caprice, à sa bêtise. Mais comme il s'attache pour la première fois (sortez la guitare sèche), toute l'enfance malheureuse lui remonte au nez, vous comprenez? Dans la psychologie féminine contemporaine, on s'aime à trois: les deux amants plus le thérapeute car l'homme finalement, n'est pas assez couillu pour imposer sa vision des choses.

Ce départ absurde de Skylar peut se lire aussi comme une métaphore matérielle à peine voilée: le jeune et talentueux Matt Damon, natif de Cambridge, Massachusetts, rejoint Hollywood, ses films juteux et ses sirènes mariées dix fois. Ce départ encore une fois correspond aux nouveaux stéréotypes féministes: en partant seule, elle surmonte virilement sa souffrance par le désir de réussir, tel Louis XIV obligé d'oublier son amour de jeunesse pour le bien de l'Etat. Matt, l'homme, s'il reste seul, est déchu, comme une femme d'autrefois.

Au début du film, en tous cas, il n'était pas question de son enfance malheureuse, on ne voyait pas Will malheureux, se droguant ou buvant comme un trou. Il avait l'air parfaitement normal. Il n'est pas timide (double scène de bar); il rentre se coucher tôt parce qu'il est fatigué. Il n'a, à vrai dire, pas de profondeur psychologique. Il apprend frénétiquement, s'intéresse à tout. Au tribunal, il se défend bec et ongles car il connaît, semble-t-il, là aussi, le droit du Massachusetts! On décèle un automatisme de défense, certes, et après? Il se défend contre un monde qui n'est pas le sien. Le sujet du film, intéressant, eût pu être la vie d'un vaurien, ou le génie d'un prolo dans un monde frelaté. Le sujet est l'amour, tel que le conçoit la classe moyenne "éduquée" aux Etats-Unis. Les deux copains dans la vie Matt Damon et Ben Affleck, ont projeté leur propre éducation materno-féministe dans le script et ce faisant, conçu un "drame" comme ils disent là-bas, d'une convenance exemplaire. Tant pis, ils étaient pourtant bien partis pour se foutre de la tronche des psy...

Le père de substitution de Will; en fait: sa mère. Tu aimeras et suivras la fille qui ressemble à Minnie, mon fils: la psychologie débile et l'amouuuuur incarnés par une anglo-américaine qui étudie partout et nulle part.

samedi 2 mai 2015

La vie génialement castrée de Will (1)



J'ai revu ce film sur Youtube: Good Will Hunting, de Gus Van Sant, sorti en 1997. Ca fait déjà une paye. En fait, je l'ai déjà vu plusieurs fois mais je n'avais pas fait attention à un truc important. Et pour cause...

Les Québécois ont traduit par Le destin de Will Hunting. Pourquoi pas? Mais déjà, le nom Hunting (chasse) a quelque chose d'étrange. C'est bizarre de s'appeler chassant... Bref, deux des acteurs principaux sont aussi les scénaristes: Matt Damon (Will) et Ben Affleck alias Chuck ou Chuckie. Ce sont deux copains du même quartier pauvre de Boston (South Boston). Les premières images montrent un jeune homme assis en train de lire dans une chambre: c'est Will. Puis une vieille guimbarde se traînasse mollement dans une rue défoncée et s'arrête devant un pavillon et son petit jardin entouré d'une grille et envahi de meubles ou d'objets divers: Chuckie, habillé sportivement, en sort pour aller frapper à la porte. Il emmène son pote au boulot, probablement d'abord à la station de métro la plus proche. Les images suivantes en effet montrent une salle de cours: le professeur Lambeau (nom français!), professeur de mathématiques, badine avec ses élèves, tous plus mondialisés les uns que les autres, à propos d'un problème ardu qu'il a inscrit au tableau et aussi en dehors de la salle, dans un couloir. Celui de ses brillants étudiants, qui payent tous très cher leurs études, qui le résoudra aura certainement un avenir doré devant lui. Puis l'on voit le couloir, deux étudiants devant le problème recopié sur un tableau et un mec en uniforme avec son balai-serpillère et un sceau roulant. Will travaille au M.I.T. en tant qu'agent de nettoyage, on dirait en France, voire homme de ménage.

En France, on ne voit jamais les classes sociales représentées au cinéma et pas tellement dans le cinéma américain non plus; la plupart des films tournent autour de la seule classe moyenne. Le célèbre Institut est séparé de Boston par la rivière Charles, que l'on voit à un moment, alors que le soir tombe, autant que le non moins réputé Fenway park illuminé où s'entraînent les Red Socks.

Pendant quarante minutes, Matt Damon et Ben Affleck, vingt-cinq, vingt-sept ans à l'époque, ont écrit un bon film. Will travaille chez les rupins, on dirait puis traîne avec ses potes dans son vieux quartier. Où est le problème? C'est un auto-didacte qui lit beaucoup, une tête et un mec baraqué; tout ça n'est pas trop invraisemblable. C'est lui qui résout successivement, sans se déclarer, les deux problèmes ardus du professeur de mathématiques affichés dans le couloir de l'université. Mais avec ses copains, ils boivent des coups, partagent les mêmes filles, se battent ensemble. Ils aiment le bèsebol. Ses copains sont des ouvriers manuels. Le quartier est ouvrier, à côté du port. Où est le problème? Il faut tous les psychanalyser? Pendant quarante minutes, on ne sait pas que Will est orphelin, est complexé, buté, susceptible et autres conneries psychologisantes. On ne sait pas qu'il a été un enfant maltraité (qui deviennent rarement des génies, du reste).

La scène du bar est une étape. Ca n'est qu'une soirée banale dans un bar d'étudiants. Cette fois, les quatre de South Boston décident de faire une virée du côté des richards et des têtes d'oeuf (Bow street à Cambridge). La scène entre l'étudiant prétentieux à la queue de cheval et Will est d'une grande violence sociale, rarement exprimée au cinéma ou même dans la vie:
-Le triste avec toi, c'est que dans cinquante ans, tu te mettras à penser par toi-même. Tu réaliseras deux choses dans la vie: un, arrête de la ramener, tu n'es pas à la hauteur. Deux: tu as dépensé 150 000 dollars pour tes études à la con alors que pour un dollar cinquante d'amende de retard, tu pouvais apprendre la même chose à la bibliothèque municipale.
-Oui mais moi, je serai diplômé. Et toi, tu serviras des frites à mes gosses sur l'autoroute lorsqu'on partira en vacances de Noël.
Will se marre: C'est possible! Mais au moins, j'aurai de la personnalité. Et puis, si tu as un problème, on peut régler ça dehors, hein?
L'autre recule: Non, il n'y a pas de problème... C'est coule.
-C'est coule? Coule.

Pourquoi, dés lors, Will n'est-il pas resté "original", un type avec de la personnalité, attaché aussi bien à ses copains d'enfance qu'à ses bouquins empruntés à la bibliothèque? Pourquoi ne sort t-il pas avec une nana de son quartier? Ah, je sais, la vie n'est pas simple. Tout change. On voudrait garder ses copains et ce sont les copains qui se barrent. On voudrait baiser à tour de bras et on s'en dégoûte; on voudrait être marié et stable et on n'arrête pas de se disputer. On projette sans arrêt des entreprises; l'une chasse l'autre.

Le reste du film n'est qu'une entreprise de rachat du génie de Will qui doit pour ce faire, devenir un Américain comme les autres, c'est à dire en gros, se féminiser. Avec l'aide d'un "psy" pas ordinaire (Robin Williams), Will doit comprendre qu'il n'est pas fait pour cette vie ordinaire qui pourtant n'apparaissait pas comme si désagréable. Nous étions partis avec une histoire à connotation sociale bien menée, pas banale, entre les pontes d'un côté, les petits de l'autre (scène du garage); la ville de Boston mais aussi la vie apparaissait comme complexe. Puis le film bascule dans la mentalité moyenne américaine, autant dire féminisée; terminés les classes sociales, il n'y a plus qu'Amour et Narcisse qui comptent. Le pivot du changement, c'est le professeur, si l'on peut dire: il sort Will de prison à la suite d'une bagarre pour en faire un émule en mathématiques mais la condition, c'est que Will doit se faire psychanalyser, en tout et pour tout. Il doit exprimer ses émotions et tout le blabla, d'autant plus qu'une fille plus délurée que les autres (Minnie Driver) lui a tapé dans l'oeil la soirée du bar. Au cours du film surviendra une scène de déchirure entre les deux amants puis tout rentrera dans l'ordre: Will deviendra un génie et rejoindra sa copine partie en Californie. Au début, il n'était pas ouvert à l'amour, il était fermé, ce que je n'avais pas compris personnellement; à la fin, ça y est: il est bien féminisé, tamponné Américain pur porc et il court après une banale étudiante masculinisée, elle (qui fait des blagues vicieuses).

Will et ses copains. Le génie se révèle sous les apparences d'un balayeur. A suivre...