dimanche 12 décembre 2021

Un film sur Gustave Eiffel


Mon bonheur serait complet si Eric Zemmour gagnait la prochaine présidentielle. En attendant, je suis allé voir le film de Martin Bourboulon consacré à Gustave Eiffel, le fameux ingénieur français (né à Dijon en 1832, mort à Paris en 1923), auteur du viaduc du Garabit (Cantal), de la statue de la Liberté de Nouyork (1) avec Bartholdi et, bien sûr, de la tour immortelle de 300 mètres qui ne devait servir à rien d'autre qu'à augmenter l'attractivité et le prestige de la capitale à l'occasion du centenaire de 1789. 

Tout ça est représenté dans le film: la partie politique (Philippe Hérisson joue le ministre Lockroy de l'Industrie et du Commerce) avec en arrière-plan, le désir de revanche depuis Sedan, la réputation de l'ingénieur (le film commence avec l'achèvement en 1886 de la statue de la Liberté), le désir de surpasser l'obélisque de Washington (de 169 m.) et donc d'égaler la nouvelle nation industrielle américaine, les problèmes techniques du moment... L'Exposition universelle de 1889, décidée par Jules Ferry, devait être la vitrine du savoir-faire français; la tour, en métal, fut ébauchée dès 1884 par des collaborateurs d'Eiffel.

C'était l'époque lointaine où la République triomphante s'enorgueillissait d'industrie; le film sort à une autre époque dans laquelle l'industrie française a été ravagée par "l'élite de la gauche française... (qui) avaient pour nom Lamy, Camdessus, Peyrelevade, Lagayette... (et qui) avaient une approche religieuse du libre-échange", sensé "apporter la richesse et le bonheur aux déshérités, sans oublier la paix." "Ils estimeront que les millions d'esclaves dans les pays pauvres et le développement massif du chômage et de la précarité dans les pays riches n'en étaient que des effets collatéraux, inévitables et négligeables." (2) Le film sort donc à contresens ou même vient annoncer une reprise en main de type populiste des Etats-nations européens désindustrialisés.

Cet effet-là est grand, est joyeux, comme dirait Nietzsche: j'ai vu, sur grand écran, ce qu'on ne voit jamais dans les milliers de films bobos subventionnés: le génie de l'industrie française centré sur un homme au profil ô combien paternaliste et autoritaire, le monde ouvrier en action (3), l'interaction même des deux lorsqu'Eiffel promet qu'il n'y aurait pas de mort sur le chantier ou reprend en main un début de grève: on est là très loin des théories marxistes et marxisantes de l'opposition irréductible des classes et de la mythologie pseudo-ouvriériste diffusée par la bourgeoisie militante. Le bourgeois Eiffel était au contact quotidien de ses ouvriers et comme le note admirablement d'ailleurs P. Gaxotte: "Au milieu du XIXe siècle, les concentrations prolétariennes, avec leurs uniformités collectives, sont encore limitées aux régions minières et aux centres textiles du Nord et du Haut-Rhin. Dans son immense majorité, l'ouvrier français reste un compagnon, un artisan ou un travailleur en chambre... Il existait aussi un très grand nombre d'associations de secours mutuels qui groupaient, dans diverses villes, les orfèvres, les mécaniciens, les boulangers, les gantiers, les tisseurs, les ouvriers du bâtiment... Les nouveaux ouvriers n'arrivent pas dans les villes ni assez vite, ni en assez grand nombre à la fois pour faire tout de suite masse et s'enfermer sans appel dans la lourde compagnie de leurs semblables. S'ils forment une classe, c'est une classe ouverte, aérée, d'où l'on sort. Ils ont des relations personnelles d'amitié ou de bon voisinage avec les artisans et avec les petits bourgeois qui déteignent sur eux." (4) 

Horreur pour les rebellocrates multiculturels ou les critiques demi-professionnels du cinéma pullulant sur Allo-ciné: non seulement voilà-t'y qu'un film français glorifie un ingénieur français et sa tour métallique, glorifie l'industrie française mais en plus, le monde ouvrier y est représenté comme coopérant à l'édification de cette tour, coopérant avec fierté à la gloire technique française! C'en est trop! Sans trop de surprise, toute la presse lue par les "employés de bureau hermaphrodites" (5) et les hommes-soja bouffeurs de tofu, n'aima pas le film: Télérama, Marianne, les Inrockuptibles, les Cahiers du Cinéma, le Nouvel Observateur, le Monde, le Figaro... Les criticologues-nés et leur prose sensément alléchante sur Allo-ciné s'obnubilèrent d'une peccadille: le film était raté parce qu'on parlait trop de cette romance sur le retour entre l'ingénieur et un amour bordelais de jeunesse.

"Malheureusement nos attentes s'effondrent lorsqu'on se rend compte que "Eiffel" se concentre essentiellement sur la relation de l'ingénieur avec Adrienne Bourgès..." - "Une romance sur un vague fond de construction de la Tour Eiffel quand il eut fallu que ce fût l'inverse..." - "Eiffel" nous promettait de nous raconter la construction de la Tour..." - "Cependant, on regrette de n'avoir pas plus appris sur  l'ouvrage..."

Mais bande de nazes, jamais le cinéma bobo subventionné ne parle d'industrie, de France qui gagne, d'ingénieur français ou d'ouvriers fiers de leur travail! Jamais! Dans quel film auriez-vous déjà vu les deux scènes suivantes, purement techniques: celle de la stabilisation des piles de la tour en sous-sol par l'effet de la pression de l'air chassant l'eau du fleuve et celle de la rencontre millimétrée de ces piles au niveau du premier étage, toujours par un système de forces et contre-forces, utilisant le sable et l'air comprimé? Et puis, si vous n'êtes pas content, il y a sûrement un documentaire passionnant rempli d'images d'époque sur Youtoube!

Bien sûr, le film présente des défauts ou plutôt un défaut de taille: la fin de non-recevoir brutale des Bourgès à Gustave au mariage qu'il voyait déjà noué avec la bordelaise éprise au prétexte que chez les Bourgès, on ne fréquente pas de "type". Mais les deux familles sont des bourgeois affairés représentant typiquement le siècle et Bourgès fournit le bois dont Gustave a besoin pour sa passerelle sur la Garonne; Eiffel est dès cette époque reconnu comme un excellent et inventif ingénieur. Cet arrêt soudain de leur alliance n'a aucune explication sérieuse.

Peut-être le film eût-il dû insister sur la sottise et l'étroitesse d'esprit de ces artistes, écrivains et journalistes opposés à l'édification de la tour; on retrouve ces idiots pérorant à toutes les époques.

Le film est encore intéressant et même rare par l'évocation en filigrane de la vilenie de la presse, qui se retourne facilement contre le projet d'Eiffel ou encore du soutien de l'Etat (6) dans un pays qui n'aime pas l'industrie (excepté l'automobile), comme le dit Zemmour, là aussi: "ils ont associé l'usine à un monde de souffrance, d'exploitation, de saleté et de bruit; l'usine, pour les Français, c'est Germinal." (2)

Les acteurs sont très bien, Romain Duris est exceptionnel.


(1) ou de la Nouvelle-York pour faire puriste.

(2) E. Zemmourle Suicide français (2014)

(3) qui n'est jamais que théorique chez les gens de gauche.

(4) P. GaxotteHistoire des Français, 1957

(5) A. Soral

(6) Le soutien de l'Etat fut cependant plus politique que financier, Eiffel prenant à ses frais la majeure partie des travaux. Ultime trahison du cinéma français qui rend hommage à un capitaine d'industrie entreprenant, travailleur, pas marxiste pour un sou et responsable.

Plusieurs plans du film montrent, au-delà de la tour en construction,  l'extravagant et magnifique palais du Trocadéro sur la colline de Chaillot, une sorte de gare aux relents d'embarcadère avec une façade concave à double portique antique côté Seine. Inauguré pour l'Exposition universelle de 1878, il ne devait pas rester, comme la tour mais resta jusqu'en 1935.