jeudi 18 juillet 2019

La Conciergerie: une déception


Les tours de César et d’Argent sur le quai de l’Horloge (pers.)


La rue de Lutèce donnant sur le Palais de Justice (pers.)

J’ai redécouvert Paris ce mois-ci, pour quelques jours: Paris la crasse, Paris la pisse, Paris multiculturel et Paris mondialisé, Paris du tourisme de masse sur le Champ-de-Mars transformé en bunker mais aussi Paris magique, un certain Paris éternel qui survit. On a nettoyé pas mal de monuments, tels le dôme des Invalides ou la Conciergerie, du moins le quai de l’Horloge. Le quai est beau, avec ses tours médiévales, ses ailes néo-gothiques, aussi la rue de Lutèce si l’on ne tient pas compte de la file de clandestins qui tôt le matin va chercher des papiers à la Préfecture, la façade du Palais place Dauphine, plus longue qu’imposante pour la petite place. Voir le parvis de Notre-Dame bloqué, les squares côté rive gauche fermés et la cathédrale sans son toit et sa flèche fait mal. N’empêche, les ponts sont superbes dans la lumière matinale (surtout le pont Notre-Dame et le pont d’Arcole) comme le Tribunal de Commerce dont on n’a heureusement pas décidé le déménagement. L’Hôtel-Dieu, d’inspiration renaissance, serait un monument agréable à voir comme d’autres après un bon nettoyage. Depuis combien de temps renettoie t-on les bâtiments publics afin que la pollution se redépose dessus?

Je m’égare et reviens à la Conciergerie, que je n’avais jamais visitée. Je ne sais pas à quoi m’attendre. Par le boulevard du Palais dont les platanes cachent toute façade, on entre directement dans la vaste salle basse du XIVe siècle. Je sais que les préposés aux billets comme les gardiens ne savent jamais rien; j’ai quand même demandé à la billettiste si la visite de la Grant’chambre était prévue. Elle m’a envoyée vers la documentation. J’aurais dit: Première chambre du TGI, le résultat eût été le même. En somme, je resterai au niveau du sous-sol. Ni la salle haute dite salle des Pas-perdus ni cette fameuse salle à l’étage qui accueillait les audiences du Roi en son parlement puis le Tribunal révolutionnaire ne sont visibles alors même que le personnel judiciaire est parti vers les Batignolles...

La salle basse ou salle des Gens d’armes servait à l’Hôtel du Roi, de réfectoire au personnel royal tandis que la Grand’salle, celle d’en haut accueillait banquets officiels et fastueux; puis ce gigantesque sous-sol fut cloisonné. On visite encore les cuisines royales (v. 1353), pièce carrée superbe à quatre travées entrecroisées, cantonnée de cheminées dont le linteau porte un étrésillon vers le pilier le plus proche. Tout y est harmonieux. Je n’ai pas fait attention aux traces de fenêtres ogivales sur tous les murs; cette pièce n’était pas enfouie comme aujourd’hui, exceptée les deux ouvertures du quai. Elle supportait également des cuisines supérieures, chacune étant destinée à la salle qu’elle desservait. Pour aller à la salle des Gardes, il faut monter quelques marches vers la rue de Paris, soit la travée la plus occidentale de la salle basse, surélevée au niveau de la salle des Gardes. Une librairie s’y trouve, dans le passage vers le couloir des Prisonniers. Les quatre baies ogivales donnaient autrefois sur la cour des Hommes, lieu de détention masculin, à l’ouest.

Du temps de Philippe le Bel lui-même, mort en 1314, on construisit à des niveaux différents, en témoigne cette salle gothique plus proche de la Seine qui logiquement devrait débuter la visite. Mais là encore, on ne voit ni la petite cour qui donne sur le quai ni ne monte t-on dans l’une des deux tours, voire les deux qui sont d’époque philippienne; pourquoi ne se promène t-on pas de la tour d’Argent à la tour Bonbec, qu’édifia moins haute saint-Louis? C’était en sens inverse l’itinéraire des prisonniers de la Terreur, en route pour leur condamnation dans l’ancienne Grand’chambre. Fouquier-Tinville puis le Directeur de la prison au XIXe siècle, avaient chacun leur bureau dans la tour de César. Le prince Louis-Napoléon, après sa tentative de coup d’Etat manquée, fut incarcéré dans cette même tour en 1840. Il y a de quoi imaginer, reconstituer, rechercher...

Mais on ne reconstitue plus, on n’imagine plus rien. Passé la rue de Paris et sa librairie où tout est cher, fatalement, on accède au couloir des Prisonniers, aux salles révolutionnaires, la partie la plus infime de la Conciergerie mais la plus intense. Les trois petites pièces du couloir, fermées par des cloisons de bois, reconstituaient arbitrairement mais avec un certain piquant différentes étapes de la vie du prisonnier type de cette époque: la (petite) salle du Greffe, tout de suite à droite, se trouvait en réalité au-delà du couloir, à gauche, puisque les prisonniers entraient et sortaient par la cour du Mai. On n’y voit plus que quelques bibelots sur une table ou accrochés au mur, un costume, un registre, une corbeille remplie de mèches de cheveux par exemple dans la salle de la Toilette, un fusil ou deux pendu au mur. Où sont passés les mannequins?

Je suis allé au bout du couloir direction la cour du Mai avant de monter à l’étage où un second couloir se superpose au premier. Ultime déception: outre l’aveuglante "salle des Noms" qui ne présente guère d’intérêt au visiteur en goguette, le couloir proprement dit aligne trois cellules qui autrefois représentaient les inégales conditions des détenus, des pailleux à l’aristocrate en bas de soie, un livre en main, mangeant à table: mais il n’y a plus rien, ni paille, ni mobilier ni miséreux ou aristocrate! La rue de Paris, du nom plaisant du bourreau, recevait également des pailleux.



L’Appel des dernières victimes de la Terreur, par Ch. Müller (1850)

Reste la singulière oppression de ces murs épais, des lanternes coniques aux murs peut-être (je les retrouve dans un guide), le culot d’une tourelle médiévale externe à la Grand’salle, curieusement visible à la fois dans une cellule et de l’autre côté, dans la salle où aboutit le couloir d’en bas, une antichambre au Préau des hommes transformée en halte audiovisuelle. L’émotion ou l’histoire vous saisit enfin, en entrant dans la chapelle des Girondins que j’ai atteinte directement depuis le second niveau. Ancien oratoire du Roi, planté à l’arrière de son logis, la chapelle avait été refaite après un grand incendie en 1776, comme Paris en a connu tant. Face à l’afflux des prisonniers, la chapelle devint prison en 1793: c’est là que les idiots de Girondins ont été enfermés avant leur raccourcissement, le 31 octobre. Ils ont alors partagé un banquet funèbre et fameux, comme de coutume en la circonstance, avec la dépouille d’un des leurs, prématurément suicidé. Quelques tableaux aux murs relatent cette geste pompeuse mais j’étais alors absorbé par la pensée de la Reine. Du moins, l’Appel des dernières victimes de la Terreur de Charles Muller (1850) possède l’ampleur du souffle historique requis, en ne négligeant pas les détails angoissants; le poète André Chénier, seul, sur sa chaise, au centre, flétrissant ses dernières notes, la horde des condamnés, gesticulante ou abattue, enfermée par de hauts murs sombres, illuminée de façon mystérieuse. Un drapeau français, déchiré au bord, flotte comme une menace. Cependant, ces murs ne sont pas ceux de la Conciergerie mais ceux de la prison... Saint-Lazare, disparue. (1)



La dernière communion de la Reine (1817) par Martin Drolling


L’ex-cellule reconstituée de Marie-Antoinette

On vient à la Conciergerie pour se rapprocher de Marie-Antoinette, la "voir", partager un peu de son destin tragique ou retrouver la ferveur participant de son quasi-culte. Je n’ai pas failli à la règle. L’abside de la chapelle constitue en quelque sorte la chapelle expiatoire de son crime, formé en coude. Constituée en 1815 à la demande du roi restauré Louis XVIII, c’est curieusement la pièce la plus authentique de la visite puisque tout y est d’époque, à l’exception du sol. Ici, les murs ne sont pas nus mais imprégnés de douleur, de désespoir et des dernières forces d’une reine bafouée. Le tableau de Martin Drolling (1817), La Communion de la Reine dans sa cellule de la Conciergerie, rend parfaitement compte de l’atmosphère mystique de la Restauration avec la présence probablement fantaisiste de deux gardes armés en prière comme la Reine; on y reconnaît les tomettes disposées en chevrons comme aujourd’hui, le sanctuaire ayant été disposé en partie sur le dernier cachot de la Reine. (2)

Bien qu’oppressante elle aussi et hérissée de herses, la cour des Femmes, qui constituait la promenade ordinaire des prisonnières, soulage après une telle immersion. On y voit une fontaine en demi-cercle où celles-ci lavaient leur linge puis une table ronde de pierre sur laquelle elles mangeaient, par beau temps. La petite cour triangulaire des Douze, derrière une grille rappelle les massacres de Septembre (1792) ou les charretées de douze, prêtes à être envoyées à l’échafaud.

Naïvement, je m’attendais à voir une guillotine complète mais dans la dernière salle visitée, je n’ai vu qu’un morceau costaud de porte avec verrous, différentes clés maousses et je ne sais quoi d’autre. (3) Je ne savais pas alors que j’étais dans la soi-disant cellule reconstituée de Marie-Antoinette, elle aussi vidée sans raison... (4)

(1) La Conciergerie possède normalement une réplique du tableau conservé à Vizille.
(2) L’autre partie correspond à l’ex-cellule reconstituée de Marie-Antoinette et comprenait aussi bien ce cachot qu’une infirmerie, pense t-on où Robespierre aurait été déposé avant de partir en charrette.
(3) La dernière guillotine ne se visite pas à la prison de Fresnes. On peut cependant voir des "bois de justice" à Marseille.
(4) Ces reconstitutions dataient de 1989.