lundi 31 juillet 2023

Un petit tour à Lormes (2)




 


La cité compte peu d'arbres, par manque de place, en partie. Une vision écologique responsable eut privilégié néanmoins là où c'est possible, la plantation d'arbres afin d'accuser le changement climatique, les canicules répétées notamment et d'offrir, le moment venu, de la fraîcheur. (1) Que nenni: on a planté de... faux arbres, des "arbres morts" comme disent les cons d'écolos. Ces troncs d'arbres disparates sont peinturlurés de couleurs vives et forment encore une fois: des "oeuvres"... "comment rendre hommage et faire un signe à ces branches abandonnées au sol (dans les forêts)?" s'interroge "l'artiste"; on est saisi par l'importance et la pertinence du sujet. Exit l'utilité sociale et civique, on est dans le monde absurde des bobos barbouilleurs et de leurs édiles immatures.

Les bornes à boules délimitant les trottoirs paraissaient sans doute trop ternes au maire qui n'y voyait pas nécessairement, là encore, la stricte utilité; qu'à cela ne tienne! Il les fit recouvrir de peinture à l'acrylique, à l'eau, c'est-à-dire, écolos: ouf, on sera sauvés lors des prochaines canicules! et le passant, souffrant du soleil ardent, pourra admirer ces créations immortelles issues des cours scolaires. (2)

En parlant d'école... il y a encore peu, on pouvait voir sur le mur du gymnase du collège Paul-Barreau (ancien maire) un graffiti gauchiste: "Le travail tue". (3) Depuis la fin avril, Lormes est la victime d'une vague de graffitis à la bombe du même goût; seule l'administration scolaire a réagi, plus un gendarme échauffé. Le supermarché Bien a été copieusement tagué et retagué de la crème des expressions "inclusives" des idéalistes en chaleur. Un bachelier surnoté cherche la phrase universelle qui puisse plaire "à toutes et à tous": une obsession chez les rejetons castrés d'une éducation à l'abandon. Un transformateur à la sortie de la ville porte: "Welcome Réfugié.e.s". Dans la rue du pont-National déjà citée gît la Gendarmerie dont l'implantation remonte à l'Ancien régime; son mur a été tagué aussi: "Stop violences policières", probablement suite à l'affaire du zyva de Nanterre. Et un gendarme, naturellement énervé, a tenté de recouvrir le dernier mot alors que la mairie, depuis tout ce temps, reste inerte. Imaginons des croix gammées, des inscriptions purement racistes ou antisémites à travers la ville: elles n'auraient pas tenu deux jours, sans parler de l'écho formidable qui en eût été donné...  

"La petite cité du futur" comme il est dit bêtement sur internet est donc régulièrement visitée par un groupe d'étudiants ratés à barbichette; leur rage inter-sectionnelle s'étend le long de leurs randonnées humanistes: sur une glissière de virage ("Stop patriarcat, stop coupe ra(z)e, stop féminicides" 4), sur un transformateur à nouveau près de Corbigny ("Nique son père à la guerre"), à Corbigny même, sur le pont de l'Anguison: "Protégez l'eau!", "Nous sommes l'eau"! (5) 

Toutes les guerres contemporaines (Golfe, Serbie, Afghanistan, Libye, Mali, Syrie, Ukraine) conduites par des européens, l'ont été au nom des "droits de l'Homme" par des gouvernements socialistes ou gaucho-mondialistes, pas par des nationalistes, guerres portées le plus souvent sur des territoires musulmans, ces musulmans que nos braves gauchistes schizophrènes adorent voir rappliquer avec leur patriarcat sévère et bien réel. On pourrait creuser aussi bien les mérites volontairement oubliés du patriarcat christiano-européen, dans la protection et la promotion des femmes au cours des siècles ou encore les effets anciens du Progrès (industriel, technique) sur l'environnement depuis le temps libéral du XVIIIe siècle, Progrès tant vanté par nos révolutionnaires en goguette...
Réduits à une pure bouillie émotionnelle, leur cerveau, non stimulé par des années d'inertie scolaire, enregistre seulement des dogmes intangibles, des slogans stupidement contrariés entre eux ou par la réalité... Transformistes imaginaires, ils sont en effet tout et n'importe quoi: de l'air et de l'eau...

(1) Fraîcheur pour les piétons, pour le sol également.

(2) Mais ça ne suffisait pas au goût du maire écolo superficiel, ami des couleurs: il y a un an encore pendaient à travers la cité, des fenêtres des premiers étages... des draps (colorés). A Brassy, commune voisine, c'étaient des nippes usées tendues d'une façade à l'autre sur cordes à linge, y compris à l'église. Le mauvais goût bisounours des édiles ruraux n'a plus de bornes.

(3) suivi d'une espèce de jeu de mots disant à peu près: "L'acné rend force." Le gymnase est aussi la salle polyvalente, d'une laideur explicite, tout comme le collège, en préfabriqué.

(4) Pour eux, évidemment, le seul Patriarcat (blanc) à tendance imaginaire est responsable de tous les meurtres de femmes; pas le Patriarcat bien réel des populations arriérées qu'ils contribuent à faire venir. Le lien de tout ça avec les "coupes ra(z)es" est difficile à saisir...

(5) Les tags de Corbigny et environs remontent au 26-27 juin peut-être, d'après le Journal du Centre.

mardi 25 juillet 2023

Un petit tour à Lormes (1)




Le mannequin érotique dans sa cabine: ou comment remplacer l'utile socialement par du laid fantasmatique et superflu - "Chacun cherche sa joie" dans un monde dévitalisé, sans sens ni repère - un "art" conceptuel s'étale dans la rue, envahit l'espace à défaut d'avoir un contenu


    Lormes est une cité charmante du Morvan; j'aime me promener dans ses rues pentues et passer de la petite butte où se trouvait un ancien château dont les ruelles rappellent le contour à la grosse butte qui la jouxte et au sommet de laquelle croît l'église saint-Alban, pas très vieille. Toute la ville est un moutonnement de buttes épaulées les unes sur les autres, séparées par des vallons dont on a fait des rues: Paul Barreau et du Pré-d'Audon, du pont-National, la route de Narvau qui descend abruptement vers Corbigny, laissant à droite des gorges synonymes. Il fait bon se prélasser à la terrasse du Grand café (1) et, entre un chapelet de cyclistes moule-burnés, bardés d'un inévitable et grotesque casque à bananes, et le bruit fuyant des voitures électriques qui passent, on aperçoit, si l'on est chanceux, quelques déesses nordiques, blondes géantes généralement plates.

La ville attire en effet chaque année une petite colonie néerlandaise qui vient occuper le camping et les abords de l'étang Goulot. Cette invasion régulière est tout à fait bénéfique et supportable. On ne peut que regretter cependant l'architecture déplorable de l'hôtel de ville, en point de mire de la place principale, (2) avec son faux portique décalé; deux travées à gauche, une à droite. La tromperie de l'architecte, qui voulait donner une direction à la place, ne tient pas longtemps. Enfin, c'est une place agréable.

Lormes n'échappe pas à la règle de l'animation bobo; ce ne sont plus les paysans qui amènent la vie un jour de marché mais les touristes à sandales ou des pieds-plats eux-mêmes, les nomades, les désenracinés, les "artistes". Logiquement, les mentalités changent. L'animation, le superflu, le toc et le laid remplacent la production, l'utile, le solide et le goût du beau, qui n'a rien de spontané. Un des exemples les plus frappants est le remplacement, rue du pont-National, d'une antique quincaillerie-arts de la table, en deux vitrines par un "artiste" qui expose, toujours en deux vitrines payées par la ville, sa manie du rose, son bric-à-brac de désaxé stupide et influent. Toujours couvert par la ville, il a installé dans une vieille cabine téléphonique, qu'on pouvait garder telle quelle, un mannequin cyber érotique. Actuellement, il couvre encore d'images de grand format sur tissu acrylique une palissade en face de son magasin, masquant un immeuble démoli (depuis 2021). C'est une exposition, une énième. Monsieur s'étale un peu partout. (3) Pire, avant de toucher à la place, la rue se termine par... deux autres galeries d'art. Reste plus haut l'enseigne d'une ancienne boulangerie...

A défaut d'avoir une population travailleuse, les villes doivent désormais être festives et arborer de petits parapluies colorés d'une façade à l'autre. La couleur a remplacé la sueur. Il n'y a plus l'industrie, la production pour soutenir des "services" qui n'en sont pas. (4) La France est devenue un pays fluide de bobos débiloïdes, toujours en vacances, toujours en train de voyager ou de communiquer, d'acheter ou de vendre. Si la côte Fleurie est le 21e arrondissement parisien, le Morvan (des lacs) en est le 22e. (5) L'artiste-animateur-brocanteur est le prophète du nomadisme improductif. Il fait la fête: enfant gâté, tout lui est dû. Partout où il se déplace, c'est la fête, la joie. Les maires, comme les parents, s'aplatissent devant les enfants gâtés. Celui de Lormes, à la remorque du moindre frisson contemporain, de la moindre publicité, favorise la vulgarité, la nullité inhérentes à ces niches transplantées d'artistes bidons, qui veulent surtout révolutionner les moeurs, imposer leur monde mental à la fois autoritaro-féministe et saturée d'images érotiques, désaxées, déconstruites; ca fait cent ans et plus qu'on subit cette engeance de (petit-)bourgeois anti-bourgeois, depuis Marcel Duchamp... encore les artistes d'autrefois n'avaient-ils pas la prétention de détraquer vainement l'orthographe par souci féministe obsessionnel ou la manie d'envahir le moindre village... ces nouveaux hussards sont des filous, des vendeurs d'alcool frelaté sur les routes d'une France abîmée dans l'individualisme et le libéralisme mondialisé.

A suivre...

(1) Les cons diraient: "sur la terrasse..."

(2) appelée sans originalité... François Mitterrand.

(3) "L'Oeil à facettes", en plus d'être un studio photographique et de vendre quelques vinyles ou un peu de brocante, proposait à l'été 2021 "une master class de deux jours" pour qui voulait  "découvrir les liens forts entre la philosophie et photographie". Sic, comme dit l'autre. L'abus de l'anglais signe le bobo déconstructeur. Cette "formation" champêtre se montait à 120 euros pour dix heures. Dix heures! pour essayer de trouver quel philosophe avait parlé de la photographie après 1827?

(4) A part quelques éleveurs, un agriculteur et un pépiniériste-horticulteur, Lormes ne produit rien; je ne compte aucun artisan. Par contre les gîtes ont fleuri et aussi les symposiums, ateliers d'artiste, galeries d'art, "master class" et pseudo-formations, recycleries et objets vintage, brocantes parisiennes... chaque été, dans le moindre patelin, on ne compte plus les expositions et autres festivals.

(5) Par bonheur, moins de passage cette année... les années rhume-19 (2020-22) furent terribles: voitures, campings-cars, motos, fêtes improvisées... une vraie autoroute!

lundi 19 juin 2023

Le Crépuscule d'une idole (3)

Fr. Nietche (1844-1900), le mentor refoulé de Freud?

    S. Freud offre un matériau bien plus abondant que le Christ, en tous cas au profane qui ne veut pas faire un effort d'exégèse. C'est curieux, le matérialiste Onfray avait une analyse toute biaisée et théoriquement pauvre du Christ et de saint Paul quand celle qu'il développe vis-à-vis de Freud est beaucoup plus réaliste et pertinente; dans le premier cas, il ne voulait pas voir des traces matérielles là où l'exégèse les avaient pourtant découvertes. (1) Dans le premier cas, il substituait à une analyse réellement critique, à une perspective historiciste la tradition matérialiste athée. Le propos est an-historique, exclusivement moral. Concernant Jésus, M. Onfray ne lut que des auteurs mettant en doute son existence, "tendancieux et périmés" selon JM. Salamito. Concernant Freud, Onfray lut aussi bien des hagiographies (Ern. Jones, Gérard Huber), des hagiographes critiques (Peter Gay) que des auteurs critiques (Livre noir de la psychanalyse, Mikkel Borch-Jacobsen, Jacques van Rillaer, Henri F. Ellenberger etc) et même encore la réponse des freudiens parfois! L'approche est donc bien différente, nettement plus équilibrée et ancrée dans l'histoire, la contradiction. (2) Lui-même a évolué sur le sujet et tel Henri IV, a connu plusieurs religions.

    Ainsi, le propos d'Onfray me paraît convaincant. Il ne s'en tient qu'à une chose d'un bout à l'autre du livre: montrer que l'universalité théorique de S. Freud se réduit à sa particularité empirique, que Freud, en philosophe qu'il refusait d'être, en nietchéen qu'il se refusait d'admettre, a créé un système totalisant et mystifiant, la psychanalyse, système pseudo-pratique, pseudo-expérimental, pseudo-thérapeutique qui est seulement l'extrapolation hypocrite, tortueuse, fantasque de la vie du corps de Freud, "le travestissement inconscient de besoins physiologiques sous les masques de l'objectivité, de l'idée, de la pure intellectualité..." (Gai savoir, N.). Onfray ramène Freud à Nietche, dont il avait été à la fois le continuateur et le négateur. Cette thèse originale, je dois dire, fait merveille tout au long du livre: "Grimé sous l'apparence du scientifique, Freud mène son activité de philosophe dans le registre de l'autobiographie existentielle." Encore une fois, cela est vérifiable in fine dans les pseudo-cas pratiques, cinq pour tout dire, que présente Freud au lecteur, qui sont d'invraisemblables ratages, mécompréhensions cliniques et maquillages intellectuels. 

    Cependant, Onfray ne va pas au-delà des cinq cas, figeant le personnage Freud dans une impasse historique intangible, comme s'il s'arrêtait en chemin dans la démystification freudienne. Faut-il alors supposer que l'idole mise à nue a adopté le même comportement toute sa vie, que les cinq cas sont un paravent pour tous les autres, non répertoriés, non diffusés mais à peu de choses près, identiques: Freud plaquait une pseudo-réalité inconsciente et hyper-théorique sur des malades dont il ne comprenait rien, ne voulait rien comprendre, s'endormait pendant les séances l'après-midi, pratiquait des prix prohibitifs, (3) ne recevait que des bourgeois et aristocrates cliniquement bien portants, (4) prisait surtout la réflexion théorique, imaginaire, auto-suggestive, anti-expérimentale en vue d'assurer la gloire de la psychanalyse et de son fondateur, méprisait ses patients finalement... (5)

    A la lecture du seul Onfray, c'est bien probable. Mais la réflexion onfrayenne, comme à l'habitude ne fait que suivre, brillamment, une idée, ne fait que défricher inlassablement la même clairière sans s'attendrir sur les reliefs alentour. Il confronte Freud avec Freud, en vase clos, s'attaque à la doctrine, ses contradictions, ses non-dits, lui oppose la correspondance puis les manques de celle-ci... nous restons ici bien souvent dans la littéralité. Manque à ce labourage philosophique et intellectuel, ici mâtiné d'une certaine finesse psychologique, le recul historique, la part d'autres disciplines, comme dans Décadence, du reste. Comment la psychanalyse, qui tout de suite essaima, aurait eu autant de succès, si elle n'avait été qu'un gigantesque canular entretenu par des charlatans bien soudés et décidés à vivre sur le dos des classes aisées en leur inventant des maladies imaginaires? Cette conclusion triviale s'impose progressivement à la lecture de la pensée onfrayenne de Freud mais ne fut pourtant pas perçue comme telle dans sa logique banale ni traduite historiquement. (6) Il est probable mais pas certain que les conclusions du livre d'Onfray s'appliquent au seul Freud: c'était d'ailleurs son but, relativement modeste et sa limite. Il est déjà plus improbable qu'elles s'appliquent au développement précoce, contradictoire et foisonnant de la psychanalyse, encore plus à la longue durée de celle-ci, faite d'écoles et de praticiens tout différents. (7) 

   **

 Aussi, quand Onfray, en conclusion avance parmi les raisons qui contribuèrent selon lui, au succès de la psychanalyse, que celle-ci ressemblait à "une organisation militante extrêmement hiérarchisée, construite sur le mode de l'Eglise catholique apostolique et romaine", avec laquelle Freud n'a jamais eu rien à voir, il est permis grandement d'en douter. Il y a là un amalgame maniaque propre au philosophe anti-chrétien, à l'époque. Dans le chapitre même, Onfray avance des anti-arguments: le comité secret des psychanalystes prit fin après dix ans d'activité, "à cause de dissensions entre les membres." (1912-23); Freud se fâche avec Steckel, l'un des premiers "apôtres"; "l'ambiance devient vite agressive" lors des réunions de la Société psychologique du mercredi (1902), "On commence à revendiquer la paternité de telle ou telle idée..."; "affrontement avec Adler et les adlériens, éviction des Viennois au profit des Zurichois, de Jung et des jungiens à Nuremberg les 30 et 31 mars 1910" lors des Annales, le congrès des psychanalystes; "rupture avec Ferenczi à Wiesbaden en 1932 - Freud va désormais s'évertuer à assassiner son ancien ami sur le papier..." Tous ces gens sont évidemment de simples anecdotes pour Onfray qui ne prit pas la peine d'étudier doctrines et personnalités.

    Jésus douta sur la Croix, certes mais pas comme Freud qui non seulement, avait des accès de cynisme absolu, de dépression mais avant de mourir, laissa ce témoignage pour le moins désabusé: "Avouons-le, notre victoire n'est pas certaine mais nous savons, du moins, en général, pourquoi nous n'avons pas gagné (...) En ce qui nous concerne, la thérapeutique ne nous intéresse ici que dans la mesure où elle se sert de méthodes psychologiques (...). Il se peut que l'avenir nous apprenne à agir directement, à l'aide de certaines substances chimiques... Pour le moment, nous ne disposons que de la technique psychanalytique..." (Abrégé de psychanalyse) Imagine t-on Jésus lançant lors de son supplice: "Il se peut que ma foi ne soit pas la panacée, j'en connais les limites et peut-être, à l'avenir, un meilleur prophète que moi vous apparaîtra..."


(1) Voir à ce propos la réponse de JM. Salamito à Décadence: Monsieur Onfray au pays des mythes (2017). Je rappelle qu'Onfray l'anti-platonicien, le matérialiste anti-théorique faisait un rapprochement douteux à des siècles de distance, franchement ignare et stupide entre la colère de Jésus au Temple rempli des marchands et... l'antisémitisme criminel d'Hitler. On était là en plein wokisme et certainement pas en compagnie d'un philosophe.

(2) Le Traité d'athéologie et Décadence sont littéralement les antithèses du Crépuscule d'une idole: dans ce dernier, il se propose de ramener "l'affabulation freudienne" aux dimensions d'une histoire, fatalement controversée, la pensée freudienne à sa "généalogie historique et livresque". Dans les deux autres, il s'échappe précisément de l'histoire pour édifier une philosophie morale transhistorique, matérialiste, sensualiste, anti-chrétienne, l'objet également je suppose, de sa Contre-histoire de la philosophie.

(3) Offusquée par l'assurance onfrayenne, El. Roudinesco tente vainement de contredire le chiffre de 450 euros la séance, "sans fondement sérieux" dit-elle. Cependant, elle donne des tarifs en shillings et couronnes autrichiens de l'époque mais sans transcrire la somme en  euros courants...

(4) "Il nous est agréable de constater que c'est justement aux personnes de la plus grande valeur, aux personnalités les plus évoluées, que la psychanalyse peut le plus efficacement venir en aide" écrit, pince-sans-rire, Freud dans De la psychothérapie. Mais Onfray, qui s'offusque lui, de la privation aux pauvres de la psychanalyse, commet un anti-logisme: si on le lit, les pauvres n'étaient privés que d'une pseudo-thérapie. D'ailleurs, les pauvres (viennois) avaient-ils le temps et le caractère idoine pour développer des névroses? 

(5) A Ludwig Binswanger, en 1912, Freud avait confié: "Je leur tordrais bien le cou à tous" ses patients (Souvenirs de S. Freud); Sandor Ferenczi, neurologue et psychanalyste pionnier lui-même, rapporte un propos encore plus explicite, où toute la thèse anti-freudienne se trouve justifiée: "Les patients, c'est de la racaille. Les patients ne sont bons qu'à nous faire vivre et ils sont du matériel pour apprendre. Nous ne pouvons pas les aider, de toute façon..." Journal clinique, 1932

(6) "les patients riches issus de la bourgeoisie viennoise" avaient, me semble t-il, les moyens intellectuels de percevoir la supercherie.

(7) C'est l'angle d'attaque initial d'El. Roudinesco: outre les "historiens de Vienne" ou ceux qui se sont penchés sur "la judéité de Freud", "Onfray ne connaît rien non plus à la vie de Josef Breuer, de Wilhem Fliess, de Sandor Ferenczi, d'Otto Rank... de Carl G. Jung... de Marie Bonaparte...". Bref, "il ne connaît guère l'histoire de la psychanalyse en France. Parole d'une historienne contre celle d'un philosophe.

vendredi 9 juin 2023

Le Crépuscule d'une idole (2)

    


    Je suis, je l'ai dit, prévenu contre M. Onfray; il a une grande compréhension des concepts et des problèmes mais dès qu'il s'agit d'une personne, en l'occurrence, d'un ectoplasme, d'une fiction comme il nomme Jésus, il peut être parfaitement schématique, déréglé, avide de tout détruire. Son rapport à l'histoire est problématique. Il pose au philosophe de l'histoire mais condamne toute une histoire selon les pseudo-schémas d'une gauche décadente et déchaînée contre la geste occidentale dont il s'éloigne lui-même à pas comptés... Ses outrances, ses maniaqueries historico-théoriques ne sont pas sans lien avec le déchaînement de violence anti-occidental à l'oeuvre dans nos sociétés fatiguées et envahies. Il réagit contre l'immanentisme ambiant, en philosophe réaliste, existentiel, (1) bien qu'en théoricien du matérialisme, il ait contribué, ô grandement, à l'avènement de cet immanentisme qui prend plus simplement et hideusement le visage du nihilisme, de l'ethno-masochisme sur un plan politique... En 2017, dans Décadence, peu lui importait le destin de la civilisation européenne: "Le bateau coule; il nous reste à sombrer avec élégance." Récemment, il fit un genre de mea culpa en s'introduisant lui-même dans cette longue histoire occidentale qu'il avait tant critiquée: "...j'ai l'impression d'avoir aussi contribué au nihilisme de mon côté parce que j'ai pensé qu'on pouvait me proposer d'autres valeurs... il y a tout un volet de mon travail qui est un volet de proposition éthique. Mais c'est aussi ridicule que de vouloir arrêter la tempête quand on voit un tsunami qui arrive sur le bateau... c'était très immodeste... De fait, aujourd'hui, je défends une chrétienté que je n'aurais probablement pas défendu il y a trente ans." (2) Ou le philosophe, piètre capitaine, qui se voulait en dehors des choses qu'il animait, avoue, avec certaine élégance, qu'il y avait bien chez lui vanité et prétention juvénile à remplacer (philosophiquement) un fond de civilisation (le bateau)... qu'on ne remplace pas aussi facilement. Les bobos ne veulent pas de la messe mais des valeurs morales romaines non plus; ils veulent jouir, en dehors de tout oukase morale.

    Les questions que je me pose alors sont celles-là: M. Onfray a t-il contribué au nihilisme contemporain en détrônant S. Freud (qui l'avait déjà été); a t-il été immodeste en confondant le devenir de la psychanalyse avec la vie controuvée de son fondateur? Voyons...

    A la première question, je dirais: non car peut-être sans le savoir, à l'époque, M. Onfray le pourfendeur de l'héritage chrétien, s'en prenait à un athée lui-même, le contempteur de la fiction chrétienne, à un inventeur de religion lui-même, un affabulateur, un faux homme de science, le "dieu solaire hédoniste" (3) à un praticien raté et retors, un mari adultère, un philosophe pessimiste caché, un maniaque du symbole et de l'Idée platonicienne anti-sensible. (4) Il y a cohérence alors chez M. Onfray: la psychanalyse est un ersatz, un soubresaut de la grande tradition helléno-chrétienne de "l'anti-monde", du monde supra-lunaire détourné du sensible: "La psychanalyse s'active dans la caverne platonicienne, elle disserte sur des idées, elle tourne le dos à la vérité des objets du monde."

    Le philosophe de l'immanence, de la jouissance sensible, du peuple surabondant des bobos avides de vivre et de l'exprimer par la forme, de s'étaler, de bavasser, de voyager, sans plus de formalité, de convenance s'en prenait là à une vache sacrée du XXe siècle (attaquée bien des fois, on l'a dit). Cette fois, ce n'était plus une "fiction" lointaine, n'ayant pas écrit et dont le témoignage historique passait pour mince mais une figure proche, ayant laissé de nombreux textes, dont le succès avait imprégné toute la culture contemporaine. En attaquant Jésus (dans le Traité d'athéologie), M. Onfray faisait un exercice laborieux, inactuel, lâche de destructuration civilisationnelle tardive; c'était lui le nihiliste, lui qui participait au siècle de "la pulsion de mort" (exercice répété dans Décadence), lui, qui, joyeusement, envoyait tout paître et tout balader au nom d'un individualisme et d'un matérialisme établis qu'il se contentait de théoriser. Avec S. Freud, c'est différent: il apparaît comme une figure du nihilisme d'époque au philosophe qui pour l'occasion, se place dans une perspective constructive et non plus destructrice. Le fond positif de M. Onfray cherchait encore à s'exprimer à l'encontre d'une figure établie (ce que d'aucuns nomment "le meurtre du père"). Il analyse ici un homme et son oeuvre et l'inscrit dans le nihilisme de "la pulsion de mort" qu'est le XXe siècle"; "ces cent années ont été nihilistes." (5) La psychanalyse "nie en effet la différence de nature entre la santé mentale et la maladie mentale, au profit d'une différence de degré..." Elle aurait donc accompagné le mouvement général. 

A suivre.

(1)... le philosophe de l'existence ne voulait pas de "migrant" chez lui parce qu'il n'avait pas d'horaire, à rebours du philosophe médiatique dont le coeur battait pour ces pauvres hères. "C'est un problème de politique générale": pour le coup, la philosophie existentielle n'existait plus. A France 5, émission inconnue, relevé par le site unpeudairfrais.org (28.10.2016). 

(2) A Matthieu bock-Côté, le Grand rendez-vous Europe 1-C-news, 01/01/2023.

(3) Expression ma foi piquante d'El. Roudinesco; encore faut-il préciser que seul l'intellect est chez M. Onfray hédoniste; toute son expressivité, y compris la toilette, trahit au contraire la tristesse, la monotonie, le pessimisme.

(4) Je note avec délectation que M. Onfray inventera une "impuissance sexuelle" à saint-Paul dans Décadence, chose qu'il reproche précisément pour le temps présent à la Société psychanalytique de Vienne, qui dans sa séance consacrée à Nietche (avril 1908), lui invente une inversion, une fréquentation des bordels masculins, une maladie sexuelle. C'est alors un "assassinat symbolique" destiné à nier toute collusion entre Freud et celui-ci.

(5) C'est assez discutable. Comment trancher nettement entre pulsion de mort et pulsion de vie? Le XXe siècle n'était pas exempt de cette dernière qui biologiquement d'ailleurs, est intrinsèquement liée à la première.

dimanche 4 juin 2023

Le Crépuscule d'une idole par M. Onfray: sujet compliqué

  

Sigmund Freud: un charlatan, un chamane, un praticien, un philosophe?

S. Freud: un charlatan, un chamane, un praticien, un philosophe?

    Je lis M. Onfray dans le désordre... Après avoir commencé une soi-disant "Brève encyclopédie du monde" en trois tomes consistants, poursuivie dorénavant, j'avais remonté plus haut dans le temps par un Traité d'athéologie qui n'en est pas un (2005). Sa bibliographie donne le vertige: le bonhomme n'arrête pas d'écrire et de publier, il a publié une série importante de cédés audio, aussi. Sur le cynisme, le cyrénaïsme, le naturalisme atomiste, Socrate lui-même, Lucrèce ou Nietche (que je ne prise guère, 1), il a laissé des ouvrages sans doute intéressants. En lui se conjuguent la passion de transmettre, le goût d'une compréhension bien ressassée, étale (avec les répétitions de rigueur), la profondeur concomitante de la pensée et une philosophie matérialiste qui colle à la fois à l'époque (superficiellement) mais lui permet également de s'en éloigner, de la saisir dans sa direction opportune. Une grande qualité: M. Onfray, en nietchéen, (1) ne s'illusionne pas sur les systèmes philosophiques qui seraient comme des décrets du Ciel tombés dans une tête inspirée; à l'inverse, c'est l'homme qui fait le système ou la pensée, "le plus souvent une affirmation arbitraire, une lubie, une "intuition"... que les philosophes "défendent par des raisons inventées après coup" (Par-delà le bien et le mal). Le matérialisme nietchéen anti-universaliste, père lointain du déconstructivisme actuel, permet à M. Onfray, déconstructeur lui-même, de passer du mythe, de l'illusion, du dogme révélé et essentiel à l'homme, l'être concret, la vie existentielle et révélatrice. On connaît cependant les dérives profondes de cet anti-universalisme, anti-humanisme in fine.

    Il a aussi un grand défaut: celui de non seulement toujours critiquer mais encore s'en prendre toujours et uniquement malgré les faux-semblants, à la religion chrétienne, à la civilisation judéo-chrétienne ou occidentale et donc, à la marge, à la philosophie académique, instituée,  "idéaliste, spiritualiste, dualiste et pour tout dire chrétienne..." Il s'est essayé lourdement à cet exercice à l'encontre de Jésus, on l'a vu, dans Décadence (2017): il tenta, vainement, à mon sens, de déterminer toute l'histoire de la civilisation européenne à partir d'une fable, d'une non-existence qui le hante finalement; M. Onfray en venait à combattre, tel don Quichotte, des fantaisies dont il tenait férocement à la présence sans l'existence théorique... Parfois, Jésus existe positivement et c'est alors une histoire qui aurait dû avoir lieu mais n'a pas eu lieu... le plus souvent, l'histoire européenne se trouve niée, critiquée amèrement, rejetée parce que chrétienne, c'est-à-dire négative, dérivée d'une fiction... il y a là l'expression d'un léger penchant schizophrénique. Tout le livre peut-être analysé comme le commentaire d'un néant choisi et justifié, ce qui est, certes, surprenant pour l'emploi du temps d'un matérialiste. Dans Sagesse, M. Onfray n'arrivait pas à en fonder une au-delà de la métaphysique dualiste, au-delà de l'histoire chrétienne et retombait dans les philosophies pratiques antiques digérées par les Romains... comme autrefois il n'avait pas réussi à fonder "d'athéologie", c'est-à-dire une doctrine fondée sur une... négation: comment le pourrait-il? Sagesse prolongeait le Traité de 2005 dans la vanité.

    En 2010, Onfray s'attaqua à un autre mythe, selon lui: celui de S. Freud et de la psychanalyse. L'objet du Crépuscule d'une idole: la psychanalyse serait-elle "une illusion indémontrable construite sur des invraisemblances..."? J'abordai moi-même le livre avec un préjugé favorable à Freud, quoique bien faible, celui de tout le monde, pourrait-on dire. J'avais lu quelques ouvrages, il y a longtemps: Introduction à la psychanalyse et Psychopathologie de la vie quotidienne, par exemple. Je croyais et crois encore à la pertinence du complexe d'Oedipe, du moins dans l'aire helléno-chrétienne; ça n'est certes pas un principe scientifiquement établi. J'ai aussi suivi une psychanalyse dans ma jeunesse, bien que mon analyste s'assît face à moi! et ma foi, sans dire que j'étais malade à proprement parler et donc que je fus guéri, cette cure par la parole ne me fit aucun mal et peut-être même du bien (quoique je ne la payai pas). Toutefois, je reconnais aisément que mon expérience ne contredit pas les reproches formulés dans le livre: je n'étais pas formellement malade (ni névrosé), la guérison n'est donc pas détectable, j'ai peut-être finalement perdu mon temps, de l'argent fut peut-être dépensé en vain... "la psychanalyse ne guérit que des gens bien portants", persifle M. Onfray. Si l'on écarte en effet les cas durs, les pathologies lourdes, il reste que la cure par la parole peut avoir un sens, pour l'analysé, surtout dans une période de construction ou de détresse morale. Mais qui a perdu le sens ne peut en trouver un pour soi. Freud lui-même parlait d'un "art de l'interprétation" (et non d'une science) et reconnaissait que "dans les formes les plus graves des troubles mentaux proprement dits la psychanalyse n'arrive à rien sur le plan thérapeutique." (2) Il le reconnaissait sans le reconnaître, évidemment puisque M. Onfray montre, avec raison que les cas présentés dans Cinq psychanalyses, dont certains sont lourds: hystérie, paranoïa, sont tous des ratages bidonnés, cadenassés par une doctrine théorisante et sans sujet réel, paralysante par son mysticisme autoritaire, sophistique, opportuniste. 

     Mais qu'en est-il des autres analysés de Freud, des autres "apôtres" de la psychanalyse de l'époque et de leurs patients, des écoles de cet art, de théoriciens beaucoup plus rigoureux que Freud et de praticiens réellement préoccupés de guérir leurs malades, bref, des milliers de thérapies qui se sont déroulées depuis dans des directions très différentes, avec des praticiens parfois bons, parfois mauvais, de l'hybridation des pratiques, des résultats heureux, d'autres pas? La pratique freudienne qui, prise tel un bloc, ne résiste pas bien, il est vrai à l'analyse d'Onfray, aurait t-elle résisté au temps qui passe, aux milliers de cas qui se présentaient sans jamais dévier, jamais évoluer, en restant à tout jamais théorique en diable et suffisante? C'est impossible: cet art thérapeutique a tout de suite évolué dans le temps. Il y a donc deux écueils dans le pamphlet d'Onfray: il n'y a pas d'étude statistique de la psychanalyse comme il n'y a pas d'étude historique de celle-ci, celle de la période fondatrice par exemple. Tout se fonde sur le cas: S. Freud, comme si celui-ci, d'ailleurs, n'avait jamais été contesté, débordé, utilisé mais dépassé. C'est ce que lui reproche, non sans raison également, Elisabeth Roudinesco dans Mais pourquoi tant de haine? (3)

A suivre...

(1) Faute volontaire: marre de ce nom barbare!

(2) L'intérêt que présente la psychanalyse

(3) Celle-ci relève: "Quand on sait que huit millions de personnes en France sont traitées par des thérapies qui dérivent de la psychanalyse..." et parle aussi des "psychiatres, psychanalystes, psychologues, psychothérapeutes" concernés par l'attaque d'Onfray. Elle dit bien: "des thérapies qui dérivent de la psychanalyse" et qui sont peut-être, aussi nombreuses qu'il y a de (bons) thérapeutes. Son approche est d'emblée beaucoup plus empirique et réaliste que celle d'Onfray, malgré les apparences. Ce petit livre de mai 2010, suit de très près la sortie du Crépuscule d'une idole.

jeudi 19 janvier 2023

Le boumeur talentueux assassine une nouvelle fois Oswald

Belle reconstitution en images mais le fond, de la série comme du livre, est paresseux

Mon premier King ! J’ai toujours reculé cette échéance alors même que je m’intéressais systématiquement aux adaptations cinéma et télé tirées de King… J’ai pu faire la différence d’ailleurs entre les deux, œuvre originale et adaptation à propos de 22/11/63 : j’ai d’abord regardé la série, pas tout à fait en entier. Il y avait déjà le même problème que le livre : la forme supplantait le fond. L’assassinat de Kennedy n’était qu’un prétexte à une plongée fantastique dans le passé qui, au long de la série ou du récit, constitue le seul ressort narratif. La passé ne veut pas être changé… voilà ce que ressent le narrateur, Jake Epping devenu George Amberson, dans sa pérégrination fantastique de 2011 à 1958.

Il est vrai que Stephen King peut jouer de ce ressort pendant des centaines de pages. (1) Le talent, le souffle et même la minutie ne lui manquent pas pour colorer cette aventure. Il n’a pas son pareil pour rendre intéressant la destinée d’un type banal, jeune professeur d’anglais du Maine qui ne s’est jamais penché particulièrement sur la mort de Kennedy ou pour réinventer un passé qu’il a personnellement connu, dans ses détails. J'aime aussi les noms de ses écrivains préférés qu'il a égrenés au long du récit comme pour le ponctuer. J'aime moins la traduction en parler comaque, popu et haché pour épater le petit-bourgeois, ou encore la suppression de la négation en français, même dans la narration: comment a fait la traductrice alors que la suppression de la négation en anglais donne nécessairement une affirmation? Pour le reste, la mode des retours dans le passé est une mode pas bien originale (on la retrouve chez Diana Gabaldon et son Etranger ou "Outlander"). L'idée de changer le passé pour rendre meilleur l'avenir est une transposition du messianisme démocratique américain, qui a valu au monde jusqu'ici bien des guerres et des tourments...

    Mais le plus important est tout de même le fond et le fond est paresseux, conformiste, lâche, timoré, faible aux deux points de vue de la connaissance et de l'honnêteté. (2) Ce fond déprécié et négligé devait fatalement rattraper la forme: c'est chose faite page 630, au moment où George Amberson, le professeur d'anglais parachuté dans le passé pour éviter à Kennedy la mort, devait s'assurer un certain soir du 10 avril 1963, que c'est bien Lee H. Oswald qui tira en le ratant sur le général Ed. Walker, à Dallas, un furieux baron anti-communiste. Mais patatras et comme c'est commode! Amberson, qui devait surprendre Oswald en pleine action, se voit obliger de changer ses plans pour sauver le jolie bibliothécaire blonde de son coeur en danger de mort: l'ex-mari dégénéré a rappliqué au Texas. Jusqu'ici, King avait joué des ombres de cette affaire, se demandant parfois si Oswald était coupable; George Amberson menait un semblant d’enquête, avec ses moyens. La soirée du 10 avril devait l'affranchir pour de bon, ainsi que le lecteur par la même occasion.

    Après la page 630, l’ambiguïté disparaît et King fait dépérir son récit par deux artifices qui ajoutent à cette agonie narrative quelques 300 pages : l’hospitalisation et la convalescence de Sadie, la blonde défigurée puis le même doublet pour Amberson, tabassé presqu’à mort par le milieu de Dallas, qui en veut à ses paris un peu trop perspicaces ! De fin août à novembre 1963, le narrateur est un légume qui récupère peu à peu la mémoire : toute cette période hospitalière est donc bien pratique pour laisser filer le temps et abandonner toute idée d’enquête. Moralement, Oswald est déjà condamné. Autant se reporter aux conclusions faussées de la commission Warren.

    La vraie surprise et le véritable intérêt, eût été qu’Amberson, un contribuable quelconque, «un bébé dans les langes » question politique, fasse son apprentissage et découvre peu à peu une partie suffisamment inquiétante de l’envers du décor, celui établi par tous les salauds ayant eu la peau de Kennedy et d’Oswald. Le roman eût été alors un roman d’initiation, aussi troublant sur le plan narratif que passionnant intellectuellement et moralement, sans parler de la garantie d’une certaine honnêteté à la clé. (3) Mais non… cet immense roman est aussi plat intellectuellement et moralement que l’immense rapport de la commission Warren ou que l’immense soi-disant relation de l’évènement par William Manchester (Mort d’un Président, 1967), bourré de détails superficiels, mentor de King en cette histoire ; les trois ouvrages méprisent l’essentiel : les dizaines de témoignages indiquant l’origine de coups de feu depuis le talus herbeux, derrière une palissade blanche, la concordance de nombreux indices innocentant Oswald des deux meurtres qu’on lui impute, son interrogatoire de treize heures non-retranscrit, le rôle de celui-ci en tant qu’agent informateur du FBI, son rôle très trouble en URSS, le crime évidemment mandaté de Ruby, les fautes plus que coupables de la garde rapprochée du Président, le montage invraisemblable des mensonges officiels, les nombreuses négligences, confiscations et disparitions de preuves matérielles,  la haine viscérale des Kennedy chez les exilés cubains anti-castristes, chez les sudistes anti-communistes type Walker… tout ceci aurait pu constituer une matière fascinante, bien plus que le simple aller-retour dans le passé.

    Aveugle, St. King ne relève pas les grosses contradictions de l'affaire qu'il décrit pourtant: comment se fait-il qu'un "pauvre égaré" comme Oswald ait autant de facilité à rebondir? (4) Qu'il ne s'intéresse pourtant à aucun de ses travaux, passant de la reprographie spécialisée à la manutention de livres scolaires? Qu'un simple ouvrier américain instable mais parlant le russe, (5) voyage sans peine jusqu'en URSS en pleine guerre froide, n'ait aucun souci pour revenir même après ses déclarations et gesticulations proprement anti-américaines à l'ambassade? Qu'il fréquente à Dallas, le gratin russe en exil? "George de Mohrenschildt, un géologue pétrolier spéculant sur les concessions pétrolières. Un homme menant une vie de play-boy, principalement grâce à l'argent de sa femme. Comme Marina, c'était un exilé russe mais contrairement à elle, il venait d'une famille noble... C'était l'homme qui allait devenir le seul ami de Lee Oswald durant les quelques mois qui lui restaient à vivre." King ne voit pas la contradiction bien qu'il l'écrive. (6) Que viennent faire ensemble un "jeune Américain aigri qui (...) croyait passionnément en un système que ces gens d'une classe sociale supérieure avaient rejeté avec tout autant de passion"? La contradiction est dans une même phrase cette fois!

    Stephen King voulait faire un roman de science-fiction, sur la densité du temps perdu et retrouvé, pas un roman de politique-fiction. L’aspect moral du livre se contorsionne et se perd dans le bon sens pratique bonhomme qu’éprouve d’ordinaire l’Américain moyen: comment faire pour améliorer les choses ? C'est à ce sens racorni que s'est borné King, en négligeant du reste l'autre versant de l'âme américaine, l'idéalisme. 

(1) Stéphane Roy pour les puristes?

(2) Un écrivain n'est pas tenu de chercher et relater la vérité, certes...

(3) Certes, encore une fois, King expose ses raisons on pourrait presque dire de bonne fois, dans la postface. Le problème, c'est qu'elles sont nulles, superficielles, purement conformistes. Ruby aurait tué Oswald le dimanche 24 au matin uniquement parce qu'il se trouvait à côté du commissariat, envoyant de l'argent à l'une de ses danseuses. Tout serait dû finalement à un "effet papillon" ou simplement au hasard. De la même manière, il note lui-même que W. Manchester ne donna aucune raison sérieuse à l'agissement meurtrier supposé d'Oswald. Les deux abolissent la volonté des personnages, ils sont le jouet de forces inconscientes (façon de parler d'un complot qui se fait tout seul, comme la commission de la Chambre des Représentants en 1978). 

(4) King, autant que Manchester charge la barque d'Oswald: "ce hargneux petit fils de pute" est un raté, un louseur, un mari violent, "un homme déjà obsédé par la célébrité et mentalement instable", bien que rien n'indique qu'il ait désiré la célébrité, qu'au contraire, c'était un discret, un taiseux, il "avait le profil type d'une recrue des Services secrets: issu d'une famille de militaires, il était en plus discret et silencieux de nature, et d'une intelligence au-dessus de la moyenne." (Garrison) Manchester et King s'en tiennent, eux, à des présupposés bien minces.

(5) W. Manchester ne s'y trompe pas, cette fois: le russe d'Oswald était même meilleur que celui de Ruth Paine; c'est "la seule chose qu'il avait réussi à faire - apprendre le russe..." Le but de Paine toutefois était de séparer Oswald de sa femme, afin de l'isoler, le plonger dans l'inquiétude, le tourment, en faire la proie du complot en préparation. Manchester décrit la scène mais ne la comprend pas: "A la fin de septembre, Ruth alla chercher en voiture Marina et la petite June et les ramena au Texas. Le foyer de Lee Oswald était définitivement brisé. Il n'avait jamais possédé grand-chose; maintenant, il n'avait plus rien. Ce fut pour lui un moment critique et Ruth remarqua qu'il avait "l'air très sombre"...

(6) Sans aucune base réaliste et tout bon sens envolé, King va jusqu'à faire de de Mohrenschildt un héraut anti-raciste et anti-fasciste qui appelle fraternellement Oswald "camarade"! Bien que collant aux conclusions de la commission Warren, Manchester s'était démarqué des présupposés anti-communistes qui avaient grandement alimenté la presse, en faisant d'Oswald un être flasque, sans conviction arrêtée. King replonge carrément dans l'air et l'ire anti-communiste de l'époque et façonne à nouveau un Oswald aux convictions communistes sincères.

dimanche 15 janvier 2023

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (3)


    Le chapitre en question s'ouvre par une remise en cause parfaitement superficielle des "références très imprécises" des auteurs antiques à l'endroit de Jésus: les copies que nous possédons, puisqu' "effectuées quelques siècles après la prétendue crucifixion" seraient douteuses, fallacieuses, réécrites par des moines avides de marquer le triomphe postérieur de l'Eglise. Encore une fois, de façon générale et apriorique, M. Onfray impute à l'Eglise un comportement malin tous azimuts: de ce postulat malhonnête se sert-il pour découler ensuite quelques déductions habiles. Mais faudrait-il comprendre également qu'un texte authentique devrait remonter nécessairement à l'époque de sa première édition voire création? Il le faut comprendre car c'est explicité dans un chapitre ultérieur (Théocraties): "Dans tous les cas de figure, aucun des quatre évangélistes n'a connu, réellement, physiquement le Christ. (1) Dans le meilleur des cas, leur savoir relève du récit mythologique et fabuleux rapporté de manière orale puis transcrit un jour, entre les années 50 de l'ère commune (2) - les épîtres de Paul, et la fin du Ier siècle - l'Apocalypse. Pourtant, aucune copie des Evangiles n'existe avant la fin du IIe siècle ou le début du IIIe s. Nous datons l'oeil sur les prétendus faits, en croyant à priori ce que les textes racontent."

    Que dire alors des plus anciens manuscrits de Virgile, postérieurs de six siècles au poète, ou de ceux de Platon, postérieurs de treize siècles! Platon n'existerait-il pas? Un scribe habile l'aurait inventé pour manipuler le bon peuple? La passion anti-chrétienne d'Onfray repose bien souvent sur des bizarreries anti-logiques qu'il suffit alors de pousser à bout. Complètement absorbé par elle, il veut appliquer au Christ et au christianisme de fausses généralités qu'il ne prend pas la peine d'éprouver à d'autres sujets...

    Ensuite, Onfray réduit la non-existence de Jésus, déjà bien réduit, à la résistance à l'oppression romaine; ce symbole, cette idée n'est éventuellement qu'un nom qui devait advenir dans un contexte préétabli: "Jésus nomme le refus juif de la domination romaine." Il est stupéfiant de voir comment M. Onfray ne comprend rien à Jésus et tient précisément à n'en faire qu'un nom, un symbole, contrairement aux faits têtus, de l'histoire. (3) Jésus ne vient justement pas comme un énième chef politique auto-proclamé aux pouvoirs de thaumaturge et prend bien soin de séparer pouvoirs temporel et spirituel. Jamais il ne prit la tête d'un mouvement de contestation, malgré le succès, jamais il ne visa la domination romaine. "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu...", "Mon royaume n'est pas de ce monde...": comme si ces citations n'étaient pas archi connues, M. Onfray se plaît pourtant à les aveuglément ignorer.

    Sa démarche est proprement anti-historique, on pourrait dire nominaliste, vertueuse, psychologisante, féminine. Il traduit la mentalité de l'époque avant tout, celle d'une société susceptible en diable, drapée de l'auréole du faible et de l'incapable, surplombant les siècles, acharnée dans sa décadence à nettoyer le passé trop mâle de ses impuretés tout en proclamant l'absence d'absolu... M. Onfray ne se frotte pas à l'histoire mais en reste aux mots: c'est également le cas de la gauche avec la réalité.

    Finissons-en. "Quel est l' auteur de Jésus? Marc. L'évangéliste Marc, premier auteur du récit des aventures merveilleuses du nommé Jésus. Probable accompagnateur de Paul de Tarse dans son périple missionnaire. Marc rédige son texte vers 70. Rien ne prouve qu'il ait connu Jésus en personne, et pour cause! Une fréquentation franche et nette aurait été visible et lisible dans le texte. Mais on ne côtoie pas une fiction... Tout juste on la crédite d'une existence à la manière du spectateur de mirage dans le désert qui croit effectivement à la vérité et à la réalité de l'oasis aperçu dans la fournaise. L'évangéliste rapporte donc dans l'incandescence hystérique (!) de l'époque cette fiction dont il affirme toute la vérité, de bonne foi." 

    Ce paragraphe est d'abord probablement complètement faux historiquement. Engoncé dans sa bibliographie dépassée, ses certitudes, son ignorance de l'exégèse, M. Onfray suit "le modèle standard": "L'évangile de Marc, étant le plus court et contenant le moins de faits et de discours, serait le plus ancien. Il daterait des environs de l'an 70." JC. Petitfils le remet en cause, en synthétisant plusieurs recherches (qui ne sont pas exactement récentes) pour arriver à un nouvel échafaudage des Evangiles: c'est un proto-évangile araméen de Matthieu, , écrit au début des années 60, qui aurait irrigué les autres et lui-même, placés eux aussi à la même époque (de 62 à 64). En effet, si Jésus annonce la destruction du temple de Jérusalem, aucune référence à l'accomplissement de cette prophétie en 70 par les armées de Titus, n'apparaît dans les Evangiles: il est donc plus logique de situer tous les textes avant cette date. Luc, dans les Actes des apôtres, ne parle pas non plus de la mort de Pierre et de Paul, survenues en 65-67, pense t-on. (4)

    Les Evangiles furent écrits à peu près au même moment mais pas aux mêmes endroits ou pour les mêmes raisons; Là encore M. Onfray, qui ne fait aucune recherche historique fine et ne contextualise pas, passe à côté de l'élaboration de ces textes. Dans Marc, écrit pour un public romain, nous trouvons la description proprement pédagogique d'un rite juif, que les Romains ignorent: "Les pharisiens et tous les juifs ne mangent pas s'ils ne se sont pas lavés les mains jusqu'au coude, tenant la tradition des anciens; et ils ne mangent pas au retour de la place publique avant de s'être aspergés d'eau..." Matthieu, lui, reproduit le reproche adressé à Jésus par les pharisiens de ne pas se laver les mains avant de manger du pain mais ne commente pas le problème en question car l'auteur est alors un scribe syrien et son public syro-palestinien est familier du rite juif. Par la même occasion, on s'aperçoit que le récit de Marc, écrit en grec comme les autres, possède moins de tournures sémitisantes que Matthieu, est d'un grec plus poli; il est donc logique de le placer après Matthieu. Mais tout ça sans doute venait d'un coup de chaud attrapé dans quelque désert et le savoir de Marc relevait-il "du récit mythologique et fabuleux."

    Matérialiste, M. Onfray n'a fait aucune recherche de type réaliste sur le matériau des Evangiles parce qu'il les avait déconsidérés par avance. Ils forment précisément un mirage en bloc pour lui. (5) Il n'arrive pas alors à donner corps à un complot évangéliste, à sa propre fiction en fait: en ignorant la méthode rigoureuse de l'histoire, il suppose pour commencer que tout est faux dans les Evangiles, la vie de Jésus, et ensuite, fait mine de commenter avec quelque autorité littéraire ce qu'il a proprement dénaturé.

(1) C'est faux concernant Matthieu et Jean.

(2) M. Onfray s'amuse en effet, un peu à la manière révolutionnaire, à parler seulement de "notre ère" ou de "l'ère commune".

(3) JM. Salamito avait repéré cette façon de faire: d'abord postuler l'absence de réalité de Jésus (à travers l'art, par exemple), ensuite, la développer en ayant l'air savant. "Nous allons voir que Michel Onfray s'attaque à des moulins qu'il a lui-même bâtis, renverse des décors de théâtre qu'il a lui-même peints."

(4) On a déjà vu que des paragraphes entiers reposent sur des prémisses fausses chez M. Onfray: Paul aurait inventé l'eucharistie, aucun des évangélistes n'aurait connu le Christ, Marc à Rome serait le premier auteur des Evangiles vers 70 sans avoir parlé de Pierre, mort dans cette ville...

(5) "Les premiers chrétiens se retrouvaient chaque premier jour de la semaine pour recevoir le pain de l'eucharistie. Situés à l'intérieur de la tradition missionnaire, les récits oraux se sont élaborés en Eglise, dans le cadre du culte partagé... On a peu idée dans nos sociétés modernes de l'importance de la mémorisation de l'Ecriture dans le monde hébraïque, à savoir des chapitres ou des livres entiers (...) les premiers disciples de Jésus ont annoncé et enseigné la Bonne Nouvelle par la répétition continuelle de ses paroles et des actions, conservées selon le rythme caractéristique, les effets et les moyens mnémotechniques de la poésie hébraïque..." JC. Petitfils. Traduit par M. Onfray, cela donne: "leur savoir (aux évangélistes) relève du récit mythologique et fabuleux rapporté de manière orale."