jeudi 28 mai 2020

Rohmer et Pascal (2)

Je disais: le Conte d'hiver (1991) ne se comprend ou ne se soutient plutôt qu'à la lumière de Pascal et son pari pour l'immortalité. Sans Pascal, le film serait d'une nunucherie complète ou l'histoire d'une écervelée capricieuse qui se fait un film de sa vie passée avec un grand bonhomme séduisant qui n'apparaîtrait qu'en toute fin, comme un chevalier de conte de fée, comme une pure image, sans contenu. Ca n'est pas le cas malgré que Charles (Frédéric van der Driessche) apparaisse au début et à la fin seulement du film, comme un souvenir et une apparition soudaine et magique. Sa simple présence à l'écran en dit long. C'est la deuxième suggestion que je fais: de la même manière que Rohmer avait réussi à mettre en scène un penseur cher à son coeur, sans didactisme ni prétention littéraire, le réalisateur a évolué vers 1986-87 (à 66 ans!) en osant mettre en scène, enfin! des rôles masculins pour ce qu'ils sont et non pas pour ce qu'ils ne sont pas (type André Dussollier).


 Fin des belles vacances: Félicie et Charles se séparent sur un quai de gare; Félicie se trompe et lui laisse une fausse adresse.

Prenons par exemple le Rayon vert (1986) ou les tribulations d'une dépressive (Marie Rivière), qui plus est parisienne, à travers la France. Ce film est un cauchemar féminisé; tout y est hyper-féminisé: les actrices plates, les acteurs féminisés sub-existants, le rôle principal tenu par une névrosée instable, jamais contente, qui pleure pour un rien. Cinq ans plus tard, le personnage de Félicie (Charlotte Véry) est purement positif quand celui de Delphine était larmoyant, déprimant. Petite anecdote ayant du sens: Marie Rivière se retrouve accompagnant Charles dans Conte d'hiver lorsque Félicie les rencontre par hasard dans un bus parisien; c'est alors une simple amie et le faire-valoir du "héros" enfin retrouvé. C'est comme si Rohmer avait voulu signifier discrètement qu'il était passé de la sempiternelle psychologie féminine de ses films d'antan à la psychologie masculine, inexplorée jusque-là.

Un autre indice: la figure d'Alexandre (François-Eric Gendron) dans l'Ami de mon amie (1987) préfigure celle de Charles. Grand lui aussi, sportif, séducteur né, au sourire éclatant, il ressemble curieusement à un certain Premier ministre de l'époque... même ses personnages féminins, je l'ai noté, ont désormais des airs masculins, dans l'accoutrement en tous cas. Alexandre est employé réellement pour ce qu'il est, pas pour ce qu'il n'est pas, sans référence à la féminité. On peut noter également les scènes d'ouverture du Conte d'hiver qui comptent parmi les plus érotiques du cinéma de Rohmer; la timidité de Rohmer se dissipe et il filme Charlotte Véry nue dans les bras d'un homme sensuel, un homme dans une situation concrète comme dirait Sartre et non plus un "chrétien", un "philosophe", une figure parlante comme Jean-Louis dans Ma nuit chez Maud ou encore Loïc le bibliothécaire du même Conte d'hiver. Il y avait eu certes auparavant la sensualité d'Arielle Dombasle dans Pauline à la plage mais c'était la sensualité évidente d'une actrice-née, elle n'était pas particulièrement filmée...


Les retrouvailles inattendues dans un bus parisien et le dénouement du pari de Félicie; Marie Rivière en faire-valoir

Je dirais donc que le cinéma de Rohmer a évolué du didactisme le plus irritant, le plus révoltant et théâtral parfois à une confusion féconde et complète entre pensée et art, notamment dans Conte d'hiver, d'autre part d'un regard assez distant et froid posé sur ses propres personnages, un regard littéraire et hautain difficilement communicable, à un cinéma plus sensuel et sensé, plus réaliste et engageant dans lequel les situations concrètes et visuelles prédominent au détriment du langage, dans lequel la part masculine n'est plus niée, la part féminine plus encensée. 

à suivre...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire