mardi 27 septembre 2016

François Mitterrand par Winock




J'ai presque tout lu de Michel Winock. Non content d'être un historien rigoureux, parfois vaincu par l'opacité, la contradiction des faits, le ténébreux réel, il rachète sa naïveté d'homme de gauche par une solide culture politique et l'intérêt qu'il porte, la fascination dirait-on pour ce qu'il rejette a priori: les forces conservatrices et réactionnaires. Le fait le fascine. Et peut-être François Mitterrand dont il n'a pas écrit du tout une biographie amicale l'a t-il fasciné avant tout.

Ce livre est curieux: Winock ne fait pas une biographie fouillée qui a déjà été faite maintes fois. La vie de François Mitterrand est longue, somme de vies différentes, somme de personnages divers, déroutants. On dirait que Winock s'est forcé au jeu parce que Mitterrand est une figure incontournable de la gauche. Peut-être avait-il plus ou moins de répulsion à cette entreprise après avoir traité la vie de Clemenceau ou de Germaine de Staël, où j'ai senti la passion. J'ai plutôt senti la froideur de l'analyste lointain, le désabusement dans ce dernier livre.

François Mitterrand fut-il sincèrement un homme de gauche? N'est-ce pas plutôt Valéry Giscard d'Estaing qui en 1974, a ouvert la voie politiquement parlant, aux éternelles réformes modernes destinées à remiser l'autorité et la nation? Mais cela n'est pas défini par Winock: a t-il défini la gauche? Il est évident que la gauche mendésiste dont il se réclame par ailleurs n'a pas eu vraiment de prolongements historiques après 1955: peut-être Rocard, peut-être Jospin ont-ils eu l'heur de plaire à Michel Winock. Peut-être Michel Onfray correspond-il aujourd'hui à ses aspirations. La "gauche" n'a gagné en 1981 que parce qu'elle s'était tout à fait royalisée dans la personne de Mitterrand. Winock le dit assez: Mitterrand n'a gagné que par esprit stratège. Mutant constamment, Mitterrand s'est nourri de son opposition au régime personnel de 1958: il se nourrit constamment de ce qu'il déteste pour créer un nouveau personnage adapté aux circonstances. En ce sens, Michel Winock n'ose pas le dire mais Mitterrand a été extérieur à la gauche. La "deuxième gauche", c'est la gauche avec du contenu et sans le falbala anti-capitaliste de l'ancien PCF. Le perdant de l'élection de 1981, c'est Pierre-Mendès-France réincarné en Rocard. D'un autre côté, sans Mitterrand, la gauche, oubliée, dénaturée dès sa victoire de 1956 (selon Winock) n'aurait jamais gagné sa place dans ce régime.

A nouveau, la gauche n'a gagné en 2012 que parce qu'elle n'a pas défini de contenu, que parce qu'elle n'a réalisé qu'un exploit artificiel, la "synthèse" de cliques et d'options contradictoires. Ainsi va le régime, sa dure loi des deux tours, thème peu traité dans le livre de Winock. Les hommes sont ce que les événements font d'eux.

Personnellement, je salue l'artiste politique en Mitterrand et je regrette qu'il n'ait pas eu, à l'égal des rois, plus le sens artistique: à part la pyramide de Peï, les autres "grandes" constructions du règne sont assez laides (opéra Bastille, Arche) ou quelconque comme la bibliothèque de Tolbiac. On affuble ces bâtiments de l'épithète de "grand" pour oublier leur banalité dans un univers compris dans les années 1980 débordant de verre et de béton. Il y avait chez Mitterrand toujours quelque chose du techno froid des années 60. A Jacques Chirac qui fut qualifié ainsi dans sa jeunesse politique, on doit une réalisation plus novatrice, relativement plus discrète, le musée du quai Branly.


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