samedi 24 décembre 2022

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (2)

    

Image du Mandylion, censé être l'image miraculeuse du visage du Christ sur un linge, probablement le suaire de Turin (icône du Xe siècle, monastère sainte-Catherine, Sinaï)

    M. Onfray est un libérateur: autant dire un imposteur. "Mais nous ne confondons pas non plus l'idée d'intérêt privé avec celle de bonheur: c'est là un autre point de vue qu'on rencontre fréquemment; les femmes de harem ne sont-elles pas plus heureuses qu'une électrice? La ménagère n'est-elle pas plus heureuse que l'ouvrière? (...) Il n'y a aucune possibilité de mesurer le bonheur d'autrui et il est toujours facile de lui déclarer heureuse la situation que l'on veut lui imposer." Divine Simone de Beauvoir, qui écrivait là, dans le Deuxième Sexe (1949), quelque chose de vrai et profond qu'elle n'a jamais respecté! Tous les libérateurs, inspirés du libéralisme et des idées générales, de Voltaire et Rousseau à A. Soral voire le piteux Jean Robin, ont voulu imposer aux autres une situation qu'ils imaginaient parfaite dans sa généralité, dans son abstraction. (1) Tous les libérateurs s'inspirant des "immortels principes" de 1789 et plus loin, des idées philosophiques en vogue dans ce siècle, sont des imposteurs. (2)

    Un certain nombre de lecteurs ont bien vu que ce livre n'était aucunement un traité positif mais un pamphlet, encore une fois. M. Onfray est incapable de sortir de sa négativité et de proposer, comme il dit, quelque chose. Son dada féroce est l'anti-christianisme: il n'en sort pas. "Déjà coupables de croire en un Jésus mythique, d'écouter un apôtre névrosé, d'être antisémites, d'avoir éclipsé la philosophie et de détester la vie, les chrétiens de l'Antiquité, toujours pris en bloc, sans la moindre nuance, sont aussi accusés d'avoir, tels les Vandales, usé de violence partout où ils passaient", comme le résume Jean-Marie Salamito, professeur d'histoire du christianisme antique à la Sorbonne, qui répondit ainsi au vert pamphlet Décadence d'Onfray par un manuel vif et succint. (3) Les faiblesses, ficelles et procédés douteux voire grossiers d'Onfray y sont exposés méthodiquement: bibliographie dépassée, contournement du sujet (évangiles apocryphes contre Evangiles canoniques), conception délirante: l'art chrétien comme soi-disant paravent à l'inexistence de Jésus(4) superficialité et trivialité de la démarche, particulièrement en ce qui concerne les corporalité et matérialité de Jésus, (5) négation de personnage (Marie, Jean-Baptiste, différentes sectes juives), invention de personnage (saint Athanase Memorandum), spéculation gratuite (Miltiade le Sophiste et Apollinaire de Hiérapolis dont Eusèbe cite seulement le titre d'un ouvrage, le même, qu'on peut traduire par Aux Juifs ou Contre les Juifs, seraient évidemment, de purs cornichons antisémites), confusion entretenue entre antijudaïsme et antisémitisme, connaissances dépassées ou confuses (Nazareth serait le village natal de Jésus; Paul aurait inventé l'eucharistie!)... le chapitre sur Paul est particulièrement gratiné et: "Si notre auteur s'évertue à décrire Paul comme un être physiquement et psychologiquement disgracié,  c'est pour mieux le désigner comme le grand responsable de tout ce qui, à ses yeux, rend le christianisme détestable"; (6) on pourra trouver encore des considérations de médicastre vaseux, (7) de psychologue en pantoufles (Paul le névrosé névrose le monde),  mais aussi des mathématiques théologales débiloïdes (8) etc... à n'en plus finir. Celui qui veut contrer Onfray se voit forcé de faire une liste interminable à la Michel Onfray!

    Bref, tout le catalogue des attaques d'Onfray contre le christianisme constitue le vade-mecum du militant "gaucho-progressiste" contemporain, (9) avec le systématisme, la hargne et la pointe d'hystérie qui conviennent: toute l'histoire est alors revue à l'aune des féminisme, sémitophilie, pacifisme et anti-autoritarisme débridés et exaltés propres à la gauche.  Dans ce livre, Décadence, que je lus d'abord, Onfray promettait à rebours qu'il avait dans un traité d'athéologie, "précisé les détails (...) sur l'invention de Jésus." Mais il ne se donna pas la peine de démontrer quoi que ce soit: il n'a que des affirmations, assertions péremptoires basées sur des concepts assez vaseux ou inopérants tels que la "pulsion de mort", la "haine", la "névrose", "l'hystérie cristallisée": ce jargon pseudo-psychanalysant situe M. Onfray au niveau d'une banalité militante assez affligeante. Dans le chapitre "La construction de Jésus", après avoir nié en deux paragraphes tout ce qui peut concerner le passage terrestre de Jésus-Christ, (10) il déroule en fait ce qu'il déroulera en plus grand dans Décadence, à savoir le nouveau catéchisme anti-chrétien façon M. Onfray. Le présupposé emporte tout:  le christianisme est une association de malfaiteurs. "On comprend dès lors que les documents existants relèvent la plupart de faux habilement exécutés." Des copistes, "sectateurs zélés du Christ", à la suite du remplacement du papyrus par le parchemin, auraient ainsi fait "des choix entre les documents à sauver et ceux qu'on renvoie au néant" et établi "des éditions d'auteurs antiques dans lesquels on ajoute ce qui fait défaut, en regard de la considération rétrospective des vainqueurs..."

    Soit, ceci est probablement vrai par exemple pour le texte de Flavius Josèphe (Antiquités juives, années 90) citant Jésus ("A cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel/sage..."). Mais ça n'est là qu'une considération formelle. Aussi bien JM. Salamito que JC. Petitfils donnent le texte dans une version exégétique, dans laquelle on reconnaît des passages ajoutés. Une fois retranchés, ces passages donnent un texte plus clair qui ne perd rien de sa qualité historique, au contraire: Jésus est nommé, c'est un homme exceptionnel et "quand Pilate, sur une accusation des hommes les plus hauts placés parmi nous (ou: de nos premiers citoyens), l'eut condamné à la croix..." Il y a donc trois personnages nommés: Jésus, Pilate et le Sanhédrin, naturellement connus par le seul historien juif du Ier siècle. Voilà: on peut être copiste au IIIe siècle, faire des ajouts tout en gardant le texte initial... De plus, sM. Onfray avait lu un historien solide comme JC. Petitfils, il eût appris alors que la version initiale de Flavius Josèphe se retrouvait, à peu de choses près, dans le texte d'un historien arabe et chrétien du Xe siècle. N'importe, M. Onfray ira jusqu'à prétendre, de façon apriorique là aussi, que des copistes de bonne foi ont alors inféré l'existence de Jésus dans les textes de Tacite ou de Suétone! Rien n'arrête ce furieux dans le mode hypothétique...


(1) "Le bonheur est une idée neuve en Europe", déclarait pour sa part à la tribune de la Convention Saint-Just, le 3 mars 1794, quelques mois, lui aussi, avant de passer sur la planche... "rendre le peuple heureux", "pour l'avantage de l'humanité", "Que l'Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français", "que cet exemple (...) y propage l'amour des vertus et le bonheur": ce bouillant jeune homme de 26 ans n'avait qu'une rhétorique vertueuse à la bouche tout en animant la tyrannie comitarde la plus implacable.

(2) On a fait des livres plaisants citant pour les moquer de nombreuses prévisions infondées de râleurs, pleurnicheurs et autres conservateurs catastrophistes devant le progrès; à la crise écologique cependant qui dure depuis les années 1970, devenue évidente et même angoissante dans les jeunes générations, bilan de 240 ans environ de "révolution industrielle" a succédé la crise politique du régime moderne, depuis notamment l'assassinat de Kennedy (1963), dans laquelle perce de plus en plus la critique des idées abstraites et celle du système représentatif, qui lui, s'étire sur près de 250 ans.

(3) Monsieur Onfray au pays des mythes, parut juste après Décadence, en 2017.

(4) "Mais aucun croyant ne fonde l'historicité de Jésus sur des fresques médiévales ou des statues baroques", réplique Salamito.

(5) Deux sommets drolatiques de Décadence sont atteints lorsque d'une part, M. Onfray estime que Jésus n'ayant dans la littérature qui le concerne, ni uriné ni déféqué une seule fois, il ne faut pas croire à son passage terrestre; d'autre part, en vient à considérer que puisque les Evangiles ne se lisent pas comme un guide gastronomique palestinien, il faut là encore nier l'existence du "symbole", de la "fiction".

(6) Onfray eut pu critiquer l'aspect universaliste que donna Paul au christianisme et y voir une forme d'abus sémantique du message christique mais ça n'est pas ce qu'il fait.

(7) "Comment le docteur Onfray parvient-il à diagnostiquer chez l'apôtre "une impuissance sexuelle avec turgescence impossible?" 

(8) "L'Eglise est pour lui le corps qu'il n'a pas eu; c'est aussi le corps que Jésus n'eût pas (...) Un faux corps plus un corps débile, cela donne un corps mystique, celui de l'Eglise qui est communauté. L'Eucharistie est le lieu de cette transmutation des corps épars en un corps mystique." M. Onfray s'avère incapable de comprendre la religion (chrétienne) autrement qu'avec un jargonnage pseudo-psychanalysant sans patient...

(9) Expression savoureuse de Jean Messiha.

(10) "L'existence de Jésus n'est aucunement avérée historiquement": par une douzaine de textes quasi contemporains (années 50 et 60), si, compilés dans le Nouveau Testament. M. Onfray veut négliger l'apport historique de ces textes mais ne construit en contrepartie aucune thèse solide. "Une pièce de tissu dont la datation au carbone XIV témoigne qu'il date du XIIIe siècle de notre ère et dont seul un miracle aurait pu faire qu'il enveloppe le corps du Christ plus de mille ans avant le cadavre putatif!" Tu l'as dit, bouffi! Comment le linceul de Turin, une image plane anatomiquement exacte, relatant de face et de dos exactement le supplice d'un crucifié, sur laquelle on n'a trouvé ni contour, ni trace de pinceau, ni pigment coloré, pas d'effet directionnel, serait-elle une simple copie? "L'image - à peu près tous les chercheurs sont d'accord sur ce point - s'est produite par émanation à distance, par projection orthogonale, faisant disparaître tout aspect latéral", dit Jean-Christian Petitfils (Jésus, 2011), qui a lu les exégètes sur le sujet, au contraire d'Onfray. Les tests au carbone XIV, de 1988, ont été dépassés depuis.

Le Mandylion offert au roi Abgar V d'Edesse, censé être l'impression miraculeuse du visage du Christ vivant sur un linge; icône du Xe siècle, monastère sainte-Catherine, Sinaï. Le Mandylion était probablement le suaire de Turin, transporté dès le Ier siècle à Edesse, caché dans une niche de la porte de l'Ouest puis vénéré dans l'église Hagia sophia comme icône. Il fut transporté à Constantinople en 944.

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