dimanche 11 décembre 2022

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (1)

  


    Michel Onfray est partout, se répand partout; Amazon fait sa publicité sur le nombre de traductions dont il bénéficie, sur une ouèbe télé mise en place par l'auteur qui, il est vrai, n'a jamais écrit sur le silence, la discrétion, l'oubli, la lecture, la méditation, des choses qui me semblent aller comme un gant au philosophe. Mais il eut écrit sur ces choses qu'il ne les aurait pas pratiquées. Ses lectures personnelles sont publiques; à chaque livre ou presque, il ajoute une bibliographie commentée, poursuivant de fait le livre, généralement (trop) long. Il y a encore sa revue. M. Onfray écrit comme il parle, parle comme il écrit; c'est un robinet, un puits, une onde permanente, un train fou. Il veut être présent dans la philosophie, dans les médias, la presse, lors les campagnes électorales. Il donne désormais son avis sur tout, sur rien. A t-il même du temps pour lui, pour réellement penser et pratiquer ce qu'il dit choisir et aimer? Comment être cynique aujourd'hui, au sens antique, d'ailleurs? M. Onfray vit-il en épicurien, cherchant le plaisir limité? La gloire, l'influence n'étaient-elles pas rejetées par l'école du Jardin? Dans Sagesse, il n'a répondu à rien, par rapport à lui-même, par rapport aux autres pensées qu'il a défiées. (1) Tout est toujours en chantier avec lui. Il est devenu une fantasmagorie politico-médiatique à travers laquelle se lit l'insatisfaction fondamentale du soi-disant philosophe hédoniste. Alors, heureux de vivre en molécule (envahissante) parmi les molécules?

    J'aime lire M. Onfray mais je m'aperçois qu'il est creux parfois, qu'il ne creuse pas son sujet, qu'il suit une ligne schématisée (dans l'histoire, particulièrement), qu'il revient sans arrêt aux mêmes rengaines (l'anti-christianisme), qu'il commet des erreurs grossières, qu'il refuse la contextualisation, partant qu'il en reste à la littéralité textuelle, qu'il ne philosophe pas, qu'il est malhonnête quant à ses propres défis... Sa mauvaise foi, particulièrement à l'endroit du christianisme, sa superficialité, sa prétention universaliste, son rationalisme anachronique, son schématisme idéologique, son vain désir de gloire populaire campent le personnage autant que sa curiosité illimitée, sa capacité pédagogique, ses éclats de lucidité (sur la philosophie contemporaine particulièrement). Il y a un (autre) sujet qui a échappé encore à M. Onfray, lui qui voudrait tout dire et tout embrasser, c'est celui de son propre phénomène, intellectuel, éditorial, médiatique. Il ne le maîtrise pas, lui qui croit qu'avec la raison, on atteint à la maîtrise de la vie ou de la société...

    En lisant le Traité d'athéologie (2005), je me rendis compte d'une chose simple: M. Onfray est un rationaliste dans le genre bête et méchant comme on n'en fait plus. Exactement comme ces bourgeois libéraux du XVIIIe siècle, ces "philosophes", il croit à l'avènement de l'âge de raison, à la supériorité de la raison sur le reste (sans démonstration, en pure affirmation) et se met dans la poche, en toute affirmation là aussi, l'intelligence, le réel, l'attrait des livres, l'amour du prochain et des femmes, la tolérance et tutti quanti contre la méchanceté et l'obscurantisme purs et simples: le monothéisme. D'un côté le matérialisme hédoniste: le bonheur pour tous (pour soi?); de l'autre, l'idéalisme (platonicien, judéo-chrétien, kantien) qui suppose un au-delà de la physique: attention, danger de retomber en enfance, de croire à des fables! donc de ne pas affronter la mort avec le seul sens tragique qui convienne...

    Certes, le sens tragique manquait à tous ces benêts libéraux illuminés ou à leurs exécutants: ce n'est pas le moindre mérite de la Révolution de le leur avoir rappelé: Condorcet, ce "niais cultivé", poursuivi par ses pairs, dut se résoudre au suicide en prison au lieu de périr par l'échafaud (1794). (2) M. Onfray ne met-il pas pour autant ses pas dans ceux de ces illuminés, complètement fascinés par la seule raison, tant du point de vue individuel que collectif? "La crédulité des hommes dépasse ce qu'on imagine... Plutôt des fables, des fictions, des mythes, des histoires pour enfants, que d'assister au dévoilement de la cruauté du réel qui contraint à supporter l'évidence tragique du monde (...) Car de l'angoisse existentielle personnelle à la gestion du corps et de l'âme d'autrui, il existe un monde dans lequel s'activent, embusqués, les profiteurs de cette misère spirituelle et mentale. Détourner la pulsion de mort qui les travaille sur la totalité du monde ne sauve pas le tourmenté et ne change rien à sa misère, mais contamine l'univers... L'empire pathologique de la pulsion de mort ne se soigne pas avec un épandage chaotique et magique, mais par un travail philosophique sur soi (...) Non pas la foi, la croyance, les fables mais la raison, la réflexion correctement conduite. L'obscurantisme, cet humus des religions, se combat avec la tradition rationaliste occidentale." Et plus loin, de façon plus claire: "D'où un retour à l'esprit des Lumières qui donnent leur nom au XVIIIe siècle." En quelques phrases, nous ne trouvons que des affirmations orgueilleuses qui étaient celles des Lumières, abâtardies lointainement chez le jeune gauchiste à barbichette: 

-la raison (ou la science) s'oppose supérieurement à la croyance (autrefois: la superstition); celle-ci est fatalement une aliénation personnelle ainsi qu'une institution injuste et rétrograde; il faut s'affranchir du passé et de la tradition. (3) 

    Nouveauté onfrayenne post-freudienne: le sentiment religieux serait issu d'une "pulsion de mort"... là aussi devenue depuis longtemps une idée gauchiste toute faite: "le croyant a peur de la mort". (4) "Tant que les hommes auront à mourir, une partie d'entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges", dit de façon plus élégante par Onfray. "La terreur devant le néant, l'incapacité à intégrer la mort comme un processus naturel, avec lequel il faut composer (...), mais également le déni, l'absence de sens en dehors de celui qu'on donne, l'absurdité a priori, voilà les faisceaux généalogiques du divin." La terreur devant le néant n'a, à ma connaissance, pas habité l'homme avant le XIXe siècle; à l'inverse, toutes les sociétés d'avant l'ère industrielle "intégraient la mort comme un processus naturel" (voir la mortalité infantile élevée, par exemple). On peut évidemment faire comme Onfray ou les philosophes du XVIIIe et postuler un homme pur, nu, le bon sauvage, non contaminé par la civilisation...

    Je souligne que M. Onfray qui ne croit pas à la "fable" de l'existence de Jésus, gobe par contre sans sourciller la version officielle des attentats du 11 septembre; il évoque cet évènement à plusieurs reprises pour souligner, lui, l'hétérogénéité incohérente de l'islam. (5) Et la fable de la balle magique, traversant Kennedy et lui remontant par la gorge avant de toucher encore deux, trois fois le sénateur installé par devant, y croit-il?

    Le raisonneur n'est pas plus raisonnant que les autres. Ca fait un moment qu'on le sait ou qu'on s'en doute. Qui pourrait se prévaloir de la seule raison, qui pourrait nier, négliger les élans du coeur depuis Rousseau, Hugo ou Lamartine, l'imagination, l'intuition, les instincts comme composant l'humanité? Qui pourrait nier depuis cette époque "naïve et niaise" l'apport de l'inconscient, l'insuffisance dramatique et même la fausseté de la raison comme boussole collective, la contradiction factuelle de tous les plans sur la comète de la raison? M. Onfray peut-être pour qui seul le croyant est "naïf et niais" et qui voudrait recommencer le plan des Lumières tracé par Kant: "On peut et l'on doit souscrire au projet, toujours d'actualité: sortir les hommes de leur minorité; donc vouloir les moyens de réaliser leur majorité... avoir le courage de se servir de son entendement; se donner et donner aux autres, les moyens d'accéder à la maîtrise de soi; faire un usage public et communautaire de sa raison dans tous les domaines..."; (6) majorité, raison, maîtrise de soi: de belles chimères au même titre qu'autrefois: la science, les lumières, la liberté, l'égalité, la souveraineté, tout de suite démenties dans le sang des passions révolutionnaires, l'intérêt des Etats et des nations, la croissance terrifiante des moyens de destruction, l'accaparement de la "démocratie" et de la chose publique par des factions, des comités, la technocratie, la médiacratie, l'anonymat terrible du citoyen à la merci du développement bureaucratique de l'Etat qui donna la société totalitaire... Mais, pour Onfray, chose bien commode, le nazisme, obsession immature chez lui, procède quasi directement du catholicisme et même de saint Jean! Le lien n'est donc probablement pas très clair chez le nouvel agité du bocal entre les proclamations prométhéennes des Lumières et ses différentes étapes pratiques, toutes au service d'un nouvel homme pourtant, enfin libéré de toutes les traditions du passé... (7)


(1) Il est vrai que, dans cet ouvrage, Epicure en prend pour son grade, tant M. Onfray, criticologue-né et anti-tout, ne peut s'empêcher de frapper cette soi-disant idole.

(2) "Voici Condorcet, qui voit l'esprit humain s'avançant, d'un pas ferme, dans la route de la vérité, de la vertu, du bonheur, vers une époque, où il n'y aura plus, sous le soleil, que des hommes libres ne reconnaissant pour maître que leur raison." André Tardieu, Le Souverain captif (1936)

(3) On croirait presqu'entendre Voltaire: "La domination des prêtres de la religion chrétienne, qui osent faire parler Dieu et sont un composé de fanatisme et de fourberie, est le plus humiliant des despotismes."

(4) Alors que dans les situations à risque, ce sont les plutôt les socialistes et féministes parisiens, les relativistes et autres nihilistes qui détalent comme des lapins, qui reviennent avec des ballons et des fleurs. Ensuite, M. Onfray dirait que dans le nihilisme actuel, il n'y a pas assez d'athéisme.

(5) "il existe autant de textes dans ce même livre pour donner raison au combattant armé ceint du bandeau vert des sacrifiés à la cause (...), aux kamikazes précipitant des avions civils sur les tours de Manhattan..." Un avion commercial de 186 tonnes maximum aurait-il suffi à chaque fois à faire tomber à la vitesse de la chute libre une tour d'acier (135 000 tonnes) et de béton (90 000 t.), qui n'était pas en flammes, près d'une heure plus tard au minimum? La tour n°7 dans le secteur tomba elle aussi à la même vitesse, sans même avoir été percutée. Quant au scénario relatif à l'avion commercial percutant soi-disant le Pentagone, il est encore plus grotesque.

(6) Cerise sur le gâteau: "ne pas tenir pour vérité révélée ce qui provient de la puissance publique"!

(7) "Bon par nature, perfectible par destination, l'homme raisonnable sera doté des attributs qui définiront son caractère: liberté, égalité, souveraineté." André Tardieu. M. Onfray n'affirme pas l'homme bon par nature, à ma connaissance mais gâté par la religion, ce qui revient au même; il postule un état de perfection naturelle à partir duquel la raison, simple fonction matérielle, se développerait harmonieusement. Seule l'intervention d'hommes méchants explique alors la perversion de l'état naturel: "Dès lors je ressens ce qui monte toujours du plus profond de moi quand j'assiste à l'évidence d'une aliénation: une compassion pour l'abusé doublée d'une violente colère contre ceux qui les trompent avec constance. Pas de haine pour l'agenouillé mais une certitude de ne jamais pactiser avec ceux qui les invitent à cette position humiliante et les y entretiennent."

Caricature traditionnelle du "siècle des Lumières": la religion, bedonnante, y est en bonne place dans la représentation de "l'oppression". "Il faut espérer que (le) jeu là finira bientôt", eau-forte de 1789.

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