3) les
qualités de M. Onfray
Je pourrais ainsi poursuivre joyeusement et
appesantir ma critique, répondant moi-même à l'élan vital qui consiste à bousculer les vieux sous prétexte qu'on est (plus) jeune, mais laissant deviner éventuellement au regard
perçant ma nudité, l'anonymat dans lequel je végète, l'envie, la jalousie qui
m'anime, ma biographie en quelque sorte.
Or, je terminerai cette longue diatribe par un
éloge. D'abord, on n'est pas un "imposteur" parce qu'on gagne de
l'argent, qu'on a du succès ou qu'on fait partie du "système". Ce
complotisme morose et stupide, trop répandu est une "passion triste"
ou constante de notre société anciennement catholique dont il reste
l'égalitarisme le plus obtus, le masque d'une jalousie sauvage prétexte à
toutes les paresses, tous les schématismes. M. Onfray participe légitimement à
la vie intellectuelle de la Cité et quoi qu'on en dise, il est un auteur
important de l'époque et peut-être même un écrivain. J'ai décelé une inflexion
en effet de Cosmos à Décadence, une prose plus
sûre, plus riante, une utilisation plus heureuse et enracinée de la
langue française, avec quelques accrocs faits au parler du temps. (1) De fait,
j'ai lu avec plaisir ces deux livres interminables. M. Onfray a donc quelque
chose à dire; ça n'est pas simplement un prosateur ou un dialecticien.
M. Onfray se place, je suppose, entre la gauche ambiante d'où
il vient et le conservatisme plus philosophique que moral, témoin de son
évolution. "l'immanence d'un moralisme politiquement correct" lui
colle encore à la peau bien qu'il le combatte quasi systématiquement dans les
médias. Plus profondément, sa négativité fait merveille lorsqu'il s'en prend au
marxisme par exemple, le soubassement intellectuel de toute la gauche moralisante et télévisuelle, ou aux idoles modernes, qui initièrent la gauche
ethnomasochiste, anti-nationale, écolo radicale et islamophile d'aujourd'hui: Lacan, Barthes, Deleuze, Foucault, Derrida sont pour lui, les nouveaux
scolastiques obscurs, des prestidigitateurs à la manière de Freud qui mettent
un écran entre le monde et la pensée afin d'asseoir leur suffisance. (2) "La
structure est aussi mystérieuse que Dieu dont elle prend la place dans la
philosophie française..." Pour cela, Onfray est haï, parce qu'il dévoile
l'incompétence de gourous, chahute "l'intelligentsia parisienne pour
laquelle nommer ce qui est ou risque de venir, c'est être responsable du réel
et de ce qui advient." E. Zemmour en sait quelque chose!
La cohérence de M. Onfray se bâtit en effet sur
ce rejet du réel, cette haine du réel qu'illustrent les adversaires qu'il se donne, penseurs,
philosophes et aussi décideurs. Combien sont-ils qui pourraient être définis
ainsi: "Tous préfèrent conclure que le réel a tort et qu'il faut bien
plutôt changer de réel que d'idées"? Par contrecoup, M. Onfray prétend
incarner le réel, ce qui est assez lourd à porter... pourvu qu'il ne verse pas
dans un système rigide, il sera encore intéressant de le lire!
Je dirais enfin que je n'aime
ni les dogmatiques ni les doctrinaires, qui, derrière leur cohérence rigide,
n'embrassent qu'une petite partie du réel et se voient contraints d'appliquer
toujours les mêmes oukazes à des sujets ou matières qui s'en éloignent
singulièrement. M. Onfray se contredit sur des points importants? Sentant de plus en plus la vie comme un moraliste conservateur, il est de mauvaise foi à l'encontre de la civilisation judéo-chrétienne? (3) Qu'à cela ne
tienne! Ca veut dire qu'il est humain, qu'il est donc faillible, que son
désordre intellectuel ou moral préfigure de nouvelles pensées, une nouvelle
configuration, qu'il est donc ouvert au changement. On ne peut pas "tout" penser et tout rendre cohérent; la vie même échappe à la pensée ou la graphomanie...
(1) Lui-même dit de Cosmos: "j'ai
l'impression que Cosmos est mon premier livre." L'évolution s'est faite
dans les idées mais aussi dans l'écriture. Le langage parlé télévisuel
s'immisce parfois dans Décadence: "...qui montrent
que...", "qui fait que...", "Lui..., il..."
(2) Son livre sur Freud, que je me propose de lire également, le Crépuscule d'une idole (2010) avait produit son effet.
(3) Exemple: "Huntington a analysé l'islam politique en dehors de l'idéologie des partisans et des adversaires. Il a rapporté des faits: démographiquement, cette religion monte en puissance; en s'appuyant sur le Coran qui l'affirme sans ambages, elle clame sa supériorité sur les autres religions monothéistes...; elle fait de l'incroyant un adversaire...; elle ne cache pas son désir de convertir par la force et la violence... Voilà qui a suffi à classer Huntington du côté des islamophobes pour l'intelligentsia occidentale frottée aux huiles essentielles marxistes depuis plus d'un siècle." Or, le point de vue des "adversaires" de l'islam, tel Zemmour à nouveau, rejoint singulièrement celui de Huntington. Affectant de ne pas prendre parti entre réactionnaires et progressistes, islamophobes et islamophiles, Onfray est de facto un réactionnaire islamophobe pour la gauche "immanente" ou "triviale" dont il vient.
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