vendredi 12 mars 2021

Qui est névrosé?

 


 Le livre Décadence de Michel Onfray (2017) en irrite certains, en ravit beaucoup d'autres; en tout cas, c'est un franc succès dans les commentaires.

 Ne pouvant pas faire court et concis, M. Onfray nous livre dans un pavé de 600 pages environ sa vision de l'histoire judéo-chrétienne après nous avoir livré une vision cosmique en 532 pages et avant de livrer une autre vision philosophique en quelques centaines de pages supplémentaires. Le tout, sans rire, fait partie d'une "brève encyclopédie du monde".

 De même la bibliographie de M. Onfray est interminable: il passe son temps à écrire ou même à enregistrer sa voix, ainsi la Contre-histoire de la philosophie en... vingt-six cédés. La Contre-histoire de la philosophie scripturaire compte neuf tomes. M. Onfray est contre: ce qui est une bonne façon de se faire connaître en France ou de grandir. (1) Ce faisant, il devient lui-même... contré par d'autres qui lui contestent sa place de mandarin installé, de philosophe populaire, d'auteur à succès car, en sus dans ce pays, on n'aime pas le succès. M. Onfray a donc de quoi réfléchir sur ces vagues éternelles de contestation qui s'appuient les unes sur les autres.

 M. Onfray est-il un philosophe du reste ou un intellectuel, un dogmatique ou un libertaire, un Candide détaché des choses ou un chrétien tourmenté par la transcendance, un névrosé?


 1) l'idéologie anti-chrétienne

 Grosso modo, Décadence, ce sont des centaines de pages de mise en accusation de l'histoire chrétienne par un soi-disant philosophe; car M. Onfray, tout détaché qu'il est des choses de ce monde, ne peut pas, là non plus, pardonner le moindre écart au christianisme, c'est-à-dire précisément à l'Eglise catholique dont il connaît l'histoire heurtée, les us, la doctrine. Il concentre son ire uniquement sur cette Eglise qui selon lui, a fabriqué un faux Messie (sans dire comment) pour ensuite s'écarter systématiquement de son message positif. Sans cesse, il revient à cette impossibilité, cette incongruité aussi bien morale que pratique, qui fonde sa démarche et son livre (ou ses livres, même): l'Eglise a fauté, faute encore par rapport à un Christ qui n'a pas existé, par rapport à un message pur issu d'une "fiction". Peut-on faire moins historique et plus absurde? (2)

 De ce point de vue, M. Onfray est beaucoup plus un intellectuel anti-chrétien qu'un philosophe et le "ressentiment" dont il parle à satiété le concerne en premier lieu. Ainsi, il ne fait pas l'histoire de la civilisation judéo-chrétienne puisque selon lui et selon le point de vue étriqué ethnomasochiste d'une gauche qu'il abhorre pourtant, de civilisation, il n'y a pas: il n'y a que les mauvais côtés, mauvais penchants, turpitudes d'une Eglise qui fit le mauvais choix avec saint-Paul. Tout le reste s'ensuit, dans une inaltérable solidarité du mal. L'Eglise ne lui apparaît pas dans son versant positif, civilisateur sauf à deux reprises: à propos de la musique et du sens de l'histoire. (p. 515, 536) Ca n'est donc pas une histoire au sens plein, pleine d'une humaine et faillible condition mais une histoire morale ratée analysée à l'aune d'une censure sourcilleuse du message d'amour, des Béatitudes, du sermon sur la Montagne et ce, à partir, rappelons-le, d'un personnage qu'il a dit... ne pas exister. Le livre est donc à moitié une idéologie anti-chrétienne, à moitié la turpitude d'un homme tourmenté par le message chrétien le plus pur. 

 M. Onfray fait beaucoup d'efforts pour nier l'existence du Christ ou le poser comme la source des événements les plus affreux en Occident, pour en ternir à la fois la légitimité morale et le prolongement historique. Selon lui, les Evangiles auraient été composés au II siècle, sans précision (p. 111), alors qu'ils remontent aux années 50-60 quand on lit Jean-Christian Petitfils sur le sujet. M. Onfray veut à l'évidence distendre le lien organique qui unissait Jésus à ses disciples, Matthieu et Jean en particulier. A la fin d'un chapitre sur la naissance de l'antisémitisme au sein de l'Eglise, chose qui peut se comprendre historiquement, il fait un lien historique douteux entre le Christ et le dénommé A. Hitler, puisque celui-ci, d'éducation catholique, écrivit qu'il admirait le Christ lorsqu'il chassait les marchands du Temple. Puis, dans un chapitre sur le nazisme, il se fait plus explicite: "Certes, c'est le seul moment où Jésus (qui n'existe pas) utilise la violence physique dans les Evangiles mais hélas, une seule fois suffit! Comment ne pas songer que ce Christ-là annonce Hitler..." Il amalgame également l'antisémitisme hitlérien avec les notes antisémites des évangélistes, tous juifs... Outre que la  "civilisation" est alors coincée entre l'antisémitisme chrétien originel et l'extermination nazie, on comprend que histoire pour Onfray signifie édification morale, qu'il y a des automatismes terribles et irrationnels, à des siècles de différence, non-explicités mais valables, un peu comme les miracles chrétiens, qui abolissent le temps et emportent la raison... 

 Nietzsche, par contre, dans le même chapitre, bénéficie d'un traitement de faveur: des dignitaires nazis s'inspiraient de lui; "C'est hélas, trois fois hélas, parmi cette frange d'illuminés que la référence à Nietzsche fait des ravages..." Nietzsche est excusé parce qu'on s'inspirait de lui, à peu de distance historique près; le Christ et l'histoire d'une "fiction" non, puisqu'ils annoncèrent deux millénaires en avance la folie exterminatrice nazie. D'un côté, il y a l'explication par l'histoire; de l'autre, "l'immanence d'un moralisme politiquement correct" selon ses propres termes. Que fait Onfray sinon épouser le point de vue commun de la gauche ethnomasochiste, anti-chrétienne, anti-européenne, cette mentalité décadente et nihiliste des bobos mondialisés, ses lecteurs? La névrose anti-chrétienne d'Onfray est aussi anti-historique.

A suivre...


(1) Cette posture radicale est celle également de Jean Robin, "journaliste", un autre graphomane et vidéomane, seul contre tous: cette omniprésence de lui-même ne lui a pas réussi jusqu'à présent.  

(2) Le Traité d'athéologie du même Onfray (2005) donnerait les détails de "l'invention de Jésus". Un historien, Jean-Marie Salamito, répondit à Onfray sur la question précisément: Mr. Onfray au pays des mythes (2017). Je me propose de lire les deux ouvrages.

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