dimanche 15 janvier 2023

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (3)


    Le chapitre en question s'ouvre par une remise en cause parfaitement superficielle des "références très imprécises" des auteurs antiques à l'endroit de Jésus: les copies que nous possédons, puisqu' "effectuées quelques siècles après la prétendue crucifixion" seraient douteuses, fallacieuses, réécrites par des moines avides de marquer le triomphe postérieur de l'Eglise. Encore une fois, de façon générale et apriorique, M. Onfray impute à l'Eglise un comportement malin tous azimuts: de ce postulat malhonnête se sert-il pour découler ensuite quelques déductions habiles. Mais faudrait-il comprendre également qu'un texte authentique devrait remonter nécessairement à l'époque de sa première édition voire création? Il le faut comprendre car c'est explicité dans un chapitre ultérieur (Théocraties): "Dans tous les cas de figure, aucun des quatre évangélistes n'a connu, réellement, physiquement le Christ. (1) Dans le meilleur des cas, leur savoir relève du récit mythologique et fabuleux rapporté de manière orale puis transcrit un jour, entre les années 50 de l'ère commune (2) - les épîtres de Paul, et la fin du Ier siècle - l'Apocalypse. Pourtant, aucune copie des Evangiles n'existe avant la fin du IIe siècle ou le début du IIIe s. Nous datons l'oeil sur les prétendus faits, en croyant à priori ce que les textes racontent."

    Que dire alors des plus anciens manuscrits de Virgile, postérieurs de six siècles au poète, ou de ceux de Platon, postérieurs de treize siècles! Platon n'existerait-il pas? Un scribe habile l'aurait inventé pour manipuler le bon peuple? La passion anti-chrétienne d'Onfray repose bien souvent sur des bizarreries anti-logiques qu'il suffit alors de pousser à bout. Complètement absorbé par elle, il veut appliquer au Christ et au christianisme de fausses généralités qu'il ne prend pas la peine d'éprouver à d'autres sujets...

    Ensuite, Onfray réduit la non-existence de Jésus, déjà bien réduit, à la résistance à l'oppression romaine; ce symbole, cette idée n'est éventuellement qu'un nom qui devait advenir dans un contexte préétabli: "Jésus nomme le refus juif de la domination romaine." Il est stupéfiant de voir comment M. Onfray ne comprend rien à Jésus et tient précisément à n'en faire qu'un nom, un symbole, contrairement aux faits têtus, de l'histoire. (3) Jésus ne vient justement pas comme un énième chef politique auto-proclamé aux pouvoirs de thaumaturge et prend bien soin de séparer pouvoirs temporel et spirituel. Jamais il ne prit la tête d'un mouvement de contestation, malgré le succès, jamais il ne visa la domination romaine. "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu...", "Mon royaume n'est pas de ce monde...": comme si ces citations n'étaient pas archi connues, M. Onfray se plaît pourtant à les aveuglément ignorer.

    Sa démarche est proprement anti-historique, on pourrait dire nominaliste, vertueuse, psychologisante, féminine. Il traduit la mentalité de l'époque avant tout, celle d'une société susceptible en diable, drapée de l'auréole du faible et de l'incapable, surplombant les siècles, acharnée dans sa décadence à nettoyer le passé trop mâle de ses impuretés tout en proclamant l'absence d'absolu... M. Onfray ne se frotte pas à l'histoire mais en reste aux mots: c'est également le cas de la gauche avec la réalité.

    Finissons-en. "Quel est l' auteur de Jésus? Marc. L'évangéliste Marc, premier auteur du récit des aventures merveilleuses du nommé Jésus. Probable accompagnateur de Paul de Tarse dans son périple missionnaire. Marc rédige son texte vers 70. Rien ne prouve qu'il ait connu Jésus en personne, et pour cause! Une fréquentation franche et nette aurait été visible et lisible dans le texte. Mais on ne côtoie pas une fiction... Tout juste on la crédite d'une existence à la manière du spectateur de mirage dans le désert qui croit effectivement à la vérité et à la réalité de l'oasis aperçu dans la fournaise. L'évangéliste rapporte donc dans l'incandescence hystérique (!) de l'époque cette fiction dont il affirme toute la vérité, de bonne foi." 

    Ce paragraphe est d'abord probablement complètement faux historiquement. Engoncé dans sa bibliographie dépassée, ses certitudes, son ignorance de l'exégèse, M. Onfray suit "le modèle standard": "L'évangile de Marc, étant le plus court et contenant le moins de faits et de discours, serait le plus ancien. Il daterait des environs de l'an 70." JC. Petitfils le remet en cause, en synthétisant plusieurs recherches (qui ne sont pas exactement récentes) pour arriver à un nouvel échafaudage des Evangiles: c'est un proto-évangile araméen de Matthieu, , écrit au début des années 60, qui aurait irrigué les autres et lui-même, placés eux aussi à la même époque (de 62 à 64). En effet, si Jésus annonce la destruction du temple de Jérusalem, aucune référence à l'accomplissement de cette prophétie en 70 par les armées de Titus, n'apparaît dans les Evangiles: il est donc plus logique de situer tous les textes avant cette date. Luc, dans les Actes des apôtres, ne parle pas non plus de la mort de Pierre et de Paul, survenues en 65-67, pense t-on. (4)

    Les Evangiles furent écrits à peu près au même moment mais pas aux mêmes endroits ou pour les mêmes raisons; Là encore M. Onfray, qui ne fait aucune recherche historique fine et ne contextualise pas, passe à côté de l'élaboration de ces textes. Dans Marc, écrit pour un public romain, nous trouvons la description proprement pédagogique d'un rite juif, que les Romains ignorent: "Les pharisiens et tous les juifs ne mangent pas s'ils ne se sont pas lavés les mains jusqu'au coude, tenant la tradition des anciens; et ils ne mangent pas au retour de la place publique avant de s'être aspergés d'eau..." Matthieu, lui, reproduit le reproche adressé à Jésus par les pharisiens de ne pas se laver les mains avant de manger du pain mais ne commente pas le problème en question car l'auteur est alors un scribe syrien et son public syro-palestinien est familier du rite juif. Par la même occasion, on s'aperçoit que le récit de Marc, écrit en grec comme les autres, possède moins de tournures sémitisantes que Matthieu, est d'un grec plus poli; il est donc logique de le placer après Matthieu. Mais tout ça sans doute venait d'un coup de chaud attrapé dans quelque désert et le savoir de Marc relevait-il "du récit mythologique et fabuleux."

    Matérialiste, M. Onfray n'a fait aucune recherche de type réaliste sur le matériau des Evangiles parce qu'il les avait déconsidérés par avance. Ils forment précisément un mirage en bloc pour lui. (5) Il n'arrive pas alors à donner corps à un complot évangéliste, à sa propre fiction en fait: en ignorant la méthode rigoureuse de l'histoire, il suppose pour commencer que tout est faux dans les Evangiles, la vie de Jésus, et ensuite, fait mine de commenter avec quelque autorité littéraire ce qu'il a proprement dénaturé.

(1) C'est faux concernant Matthieu et Jean.

(2) M. Onfray s'amuse en effet, un peu à la manière révolutionnaire, à parler seulement de "notre ère" ou de "l'ère commune".

(3) JM. Salamito avait repéré cette façon de faire: d'abord postuler l'absence de réalité de Jésus (à travers l'art, par exemple), ensuite, la développer en ayant l'air savant. "Nous allons voir que Michel Onfray s'attaque à des moulins qu'il a lui-même bâtis, renverse des décors de théâtre qu'il a lui-même peints."

(4) On a déjà vu que des paragraphes entiers reposent sur des prémisses fausses chez M. Onfray: Paul aurait inventé l'eucharistie, aucun des évangélistes n'aurait connu le Christ, Marc à Rome serait le premier auteur des Evangiles vers 70 sans avoir parlé de Pierre, mort dans cette ville...

(5) "Les premiers chrétiens se retrouvaient chaque premier jour de la semaine pour recevoir le pain de l'eucharistie. Situés à l'intérieur de la tradition missionnaire, les récits oraux se sont élaborés en Eglise, dans le cadre du culte partagé... On a peu idée dans nos sociétés modernes de l'importance de la mémorisation de l'Ecriture dans le monde hébraïque, à savoir des chapitres ou des livres entiers (...) les premiers disciples de Jésus ont annoncé et enseigné la Bonne Nouvelle par la répétition continuelle de ses paroles et des actions, conservées selon le rythme caractéristique, les effets et les moyens mnémotechniques de la poésie hébraïque..." JC. Petitfils. Traduit par M. Onfray, cela donne: "leur savoir (aux évangélistes) relève du récit mythologique et fabuleux rapporté de manière orale."

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