Belle reconstitution en images mais le fond, de la série comme du livre, est paresseux
Mon
premier King !
J’ai toujours reculé cette échéance alors même que je m’intéressais
systématiquement aux adaptations cinéma et télé tirées de King… J’ai pu faire
la différence d’ailleurs entre les deux, œuvre originale et adaptation à propos
de 22/11/63 : j’ai d’abord regardé la série, pas tout à fait en
entier. Il y avait déjà le même problème que le livre : la forme
supplantait le fond. L’assassinat de Kennedy n’était qu’un prétexte à une
plongée fantastique dans le passé qui, au long de la série ou du récit,
constitue le seul ressort narratif. La passé ne veut pas être changé… voilà ce
que ressent le narrateur, Jake Epping devenu George Amberson, dans sa
pérégrination fantastique de 2011 à 1958.
Il
est vrai que Stephen King peut jouer de ce ressort pendant des centaines de
pages. (1)
Le talent, le souffle et même la minutie ne lui manquent pas pour colorer cette
aventure. Il n’a pas son pareil pour rendre intéressant la destinée d’un type
banal, jeune professeur d’anglais du Maine qui ne s’est jamais penché
particulièrement sur la mort de Kennedy ou pour réinventer un passé qu’il a
personnellement connu, dans ses détails. J'aime aussi les noms de ses écrivains
préférés qu'il a égrenés au long du récit comme pour le ponctuer. J'aime moins
la traduction en parler comaque, popu et haché pour épater le petit-bourgeois,
ou encore la suppression de la négation en français, même dans la narration:
comment a fait la traductrice alors que la suppression de la négation en
anglais donne nécessairement une affirmation? Pour le reste, la mode des
retours dans le passé est une mode pas bien originale (on la retrouve chez Diana Gabaldon
et son Etranger ou "Outlander"). L'idée de changer le passé pour
rendre meilleur l'avenir est une transposition du messianisme démocratique
américain, qui a valu au monde jusqu'ici bien des guerres et des tourments...
Mais le plus important
est tout de même le fond et le fond est paresseux, conformiste, lâche, timoré, faible aux deux points de vue de la connaissance et de l'honnêteté. (2) Ce fond déprécié et négligé devait fatalement rattraper la forme: c'est chose
faite page 630, au moment où George Amberson, le professeur d'anglais parachuté
dans le passé pour éviter à Kennedy la mort, devait s'assurer un certain soir
du 10 avril 1963, que c'est bien Lee H. Oswald qui tira en le ratant sur le
général Ed.
Walker, à Dallas, un furieux baron anti-communiste. Mais patatras et
comme c'est commode! Amberson, qui devait surprendre Oswald en pleine action,
se voit obliger de changer ses plans pour sauver le jolie bibliothécaire blonde
de son coeur en danger de mort: l'ex-mari dégénéré a rappliqué au Texas.
Jusqu'ici, King avait joué des ombres de cette affaire, se demandant parfois
si Oswald était coupable; George Amberson menait un semblant d’enquête, avec
ses moyens. La soirée du 10 avril devait l'affranchir pour de bon, ainsi que le
lecteur par la même occasion.
Après la page 630,
l’ambiguïté disparaît et King fait dépérir son récit par deux artifices qui ajoutent
à cette agonie narrative quelques 300 pages : l’hospitalisation et la
convalescence de Sadie, la blonde défigurée puis le même doublet pour Amberson, tabassé
presqu’à mort par le milieu de Dallas, qui en veut à ses paris un peu trop
perspicaces ! De fin août à novembre 1963, le narrateur est un légume qui
récupère peu à peu la mémoire : toute cette période hospitalière est donc
bien pratique pour laisser filer le temps et abandonner toute idée d’enquête.
Moralement, Oswald est déjà condamné. Autant se reporter aux conclusions faussées
de la commission Warren.
La vraie surprise et le
véritable intérêt, eût été qu’Amberson, un contribuable quelconque, «un bébé
dans les langes » question politique, fasse son apprentissage et découvre
peu à peu une partie suffisamment inquiétante de l’envers du décor, celui
établi par tous les salauds ayant eu la peau de Kennedy et d’Oswald. Le roman
eût été alors un roman d’initiation, aussi troublant sur le plan narratif que
passionnant intellectuellement et moralement, sans parler de la garantie d’une
certaine honnêteté à la clé. (3) Mais non… cet immense roman est aussi plat
intellectuellement et moralement que l’immense rapport de la commission Warren
ou que l’immense soi-disant relation de l’évènement par William Manchester (Mort
d’un Président, 1967), bourré de détails superficiels, mentor de King en cette histoire ; les
trois ouvrages méprisent l’essentiel : les dizaines de témoignages
indiquant l’origine de coups de feu depuis le talus herbeux, derrière une
palissade blanche, la concordance de nombreux indices innocentant Oswald des
deux meurtres qu’on lui impute, son interrogatoire de treize heures
non-retranscrit, le rôle de celui-ci en tant qu’agent informateur du FBI, son
rôle très trouble en URSS, le crime évidemment mandaté de Ruby, les fautes plus que coupables de la garde rapprochée
du Président, le montage invraisemblable des mensonges officiels, les
nombreuses négligences, confiscations et disparitions de preuves matérielles, la haine viscérale des Kennedy chez les
exilés cubains anti-castristes, chez les sudistes anti-communistes type Walker…
tout ceci aurait pu constituer une matière fascinante, bien plus que le simple
aller-retour dans le passé.
Aveugle, St. King ne relève pas les grosses contradictions de l'affaire qu'il décrit pourtant: comment se fait-il qu'un "pauvre égaré" comme Oswald ait autant de facilité à rebondir? (4) Qu'il ne s'intéresse pourtant à aucun de ses travaux, passant de la reprographie spécialisée à la manutention de livres scolaires? Qu'un simple ouvrier américain instable mais parlant le russe, (5) voyage sans peine jusqu'en URSS en pleine guerre froide, n'ait aucun souci pour revenir même après ses déclarations et gesticulations proprement anti-américaines à l'ambassade? Qu'il fréquente à Dallas, le gratin russe en exil? "George de Mohrenschildt, un géologue pétrolier spéculant sur les concessions pétrolières. Un homme menant une vie de play-boy, principalement grâce à l'argent de sa femme. Comme Marina, c'était un exilé russe mais contrairement à elle, il venait d'une famille noble... C'était l'homme qui allait devenir le seul ami de Lee Oswald durant les quelques mois qui lui restaient à vivre." King ne voit pas la contradiction bien qu'il l'écrive. (6) Que viennent faire ensemble un "jeune Américain aigri qui (...) croyait passionnément en un système que ces gens d'une classe sociale supérieure avaient rejeté avec tout autant de passion"? La contradiction est dans une même phrase cette fois!
Stephen King voulait
faire un roman de science-fiction, sur la densité du temps perdu et retrouvé,
pas un roman de politique-fiction. L’aspect moral du livre se contorsionne et
se perd dans le bon sens pratique bonhomme qu’éprouve d’ordinaire l’Américain
moyen: comment faire pour améliorer les choses ? C'est à ce sens racorni
que s'est borné King, en négligeant du reste l'autre versant de l'âme
américaine, l'idéalisme.
(1) Stéphane Roy pour les puristes?
(2) Un écrivain n'est pas tenu de chercher
et relater la vérité, certes...
(3) Certes, encore une fois, King expose ses raisons on pourrait presque dire de bonne fois, dans la postface. Le problème, c'est qu'elles sont nulles, superficielles, purement conformistes. Ruby aurait tué Oswald le dimanche 24 au matin uniquement parce qu'il se trouvait à côté du commissariat, envoyant de l'argent à l'une de ses danseuses. Tout serait dû finalement à un "effet papillon" ou simplement au hasard. De la même manière, il note lui-même que W. Manchester ne donna aucune raison sérieuse à l'agissement meurtrier supposé d'Oswald. Les deux abolissent la volonté des personnages, ils sont le jouet de forces inconscientes (façon de parler d'un complot qui se fait tout seul, comme la commission de la Chambre des Représentants en 1978).
(4) King, autant que Manchester charge la barque d'Oswald: "ce hargneux petit fils de pute" est un raté, un louseur, un mari violent, "un homme déjà obsédé par la célébrité et mentalement instable", bien que rien n'indique qu'il ait désiré la célébrité, qu'au contraire, c'était un discret, un taiseux, il "avait le profil type d'une recrue des Services secrets: issu d'une famille de militaires, il était en plus discret et silencieux de nature, et d'une intelligence au-dessus de la moyenne." (Garrison) Manchester et King s'en tiennent, eux, à des présupposés bien minces.
(5) W. Manchester ne s'y trompe pas, cette fois: le russe d'Oswald était même meilleur que celui de Ruth Paine; c'est "la seule chose qu'il avait réussi à faire - apprendre le russe..." Le but de Paine toutefois était de séparer Oswald de sa femme, afin de l'isoler, le plonger dans l'inquiétude, le tourment, en faire la proie du complot en préparation. Manchester décrit la scène mais ne la comprend pas: "A la fin de septembre, Ruth alla chercher en voiture Marina et la petite June et les ramena au Texas. Le foyer de Lee Oswald était définitivement brisé. Il n'avait jamais possédé grand-chose; maintenant, il n'avait plus rien. Ce fut pour lui un moment critique et Ruth remarqua qu'il avait "l'air très sombre"...
(6) Sans aucune base réaliste et tout bon sens envolé, King va jusqu'à faire de de Mohrenschildt un héraut anti-raciste et anti-fasciste qui appelle fraternellement Oswald "camarade"! Bien que collant aux conclusions de la commission Warren, Manchester s'était démarqué des présupposés anti-communistes qui avaient grandement alimenté la presse, en faisant d'Oswald un être flasque, sans conviction arrêtée. King replonge carrément dans l'air et l'ire anti-communiste de l'époque et façonne à nouveau un Oswald aux convictions communistes sincères.
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