dimanche 4 juin 2023

Le Crépuscule d'une idole par M. Onfray: sujet compliqué

  

Sigmund Freud: un charlatan, un chamane, un praticien, un philosophe?

S. Freud: un charlatan, un chamane, un praticien, un philosophe?

    Je lis M. Onfray dans le désordre... Après avoir commencé une soi-disant "Brève encyclopédie du monde" en trois tomes consistants, poursuivie dorénavant, j'avais remonté plus haut dans le temps par un Traité d'athéologie qui n'en est pas un (2005). Sa bibliographie donne le vertige: le bonhomme n'arrête pas d'écrire et de publier, il a publié une série importante de cédés audio, aussi. Sur le cynisme, le cyrénaïsme, le naturalisme atomiste, Socrate lui-même, Lucrèce ou Nietche (que je ne prise guère, 1), il a laissé des ouvrages sans doute intéressants. En lui se conjuguent la passion de transmettre, le goût d'une compréhension bien ressassée, étale (avec les répétitions de rigueur), la profondeur concomitante de la pensée et une philosophie matérialiste qui colle à la fois à l'époque (superficiellement) mais lui permet également de s'en éloigner, de la saisir dans sa direction opportune. Une grande qualité: M. Onfray, en nietchéen, (1) ne s'illusionne pas sur les systèmes philosophiques qui seraient comme des décrets du Ciel tombés dans une tête inspirée; à l'inverse, c'est l'homme qui fait le système ou la pensée, "le plus souvent une affirmation arbitraire, une lubie, une "intuition"... que les philosophes "défendent par des raisons inventées après coup" (Par-delà le bien et le mal). Le matérialisme nietchéen anti-universaliste, père lointain du déconstructivisme actuel, permet à M. Onfray, déconstructeur lui-même, de passer du mythe, de l'illusion, du dogme révélé et essentiel à l'homme, l'être concret, la vie existentielle et révélatrice. On connaît cependant les dérives profondes de cet anti-universalisme, anti-humanisme in fine.

    Il a aussi un grand défaut: celui de non seulement toujours critiquer mais encore s'en prendre toujours et uniquement malgré les faux-semblants, à la religion chrétienne, à la civilisation judéo-chrétienne ou occidentale et donc, à la marge, à la philosophie académique, instituée,  "idéaliste, spiritualiste, dualiste et pour tout dire chrétienne..." Il s'est essayé lourdement à cet exercice à l'encontre de Jésus, on l'a vu, dans Décadence (2017): il tenta, vainement, à mon sens, de déterminer toute l'histoire de la civilisation européenne à partir d'une fable, d'une non-existence qui le hante finalement; M. Onfray en venait à combattre, tel don Quichotte, des fantaisies dont il tenait férocement à la présence sans l'existence théorique... Parfois, Jésus existe positivement et c'est alors une histoire qui aurait dû avoir lieu mais n'a pas eu lieu... le plus souvent, l'histoire européenne se trouve niée, critiquée amèrement, rejetée parce que chrétienne, c'est-à-dire négative, dérivée d'une fiction... il y a là l'expression d'un léger penchant schizophrénique. Tout le livre peut-être analysé comme le commentaire d'un néant choisi et justifié, ce qui est, certes, surprenant pour l'emploi du temps d'un matérialiste. Dans Sagesse, M. Onfray n'arrivait pas à en fonder une au-delà de la métaphysique dualiste, au-delà de l'histoire chrétienne et retombait dans les philosophies pratiques antiques digérées par les Romains... comme autrefois il n'avait pas réussi à fonder "d'athéologie", c'est-à-dire une doctrine fondée sur une... négation: comment le pourrait-il? Sagesse prolongeait le Traité de 2005 dans la vanité.

    En 2010, Onfray s'attaqua à un autre mythe, selon lui: celui de S. Freud et de la psychanalyse. L'objet du Crépuscule d'une idole: la psychanalyse serait-elle "une illusion indémontrable construite sur des invraisemblances..."? J'abordai moi-même le livre avec un préjugé favorable à Freud, quoique bien faible, celui de tout le monde, pourrait-on dire. J'avais lu quelques ouvrages, il y a longtemps: Introduction à la psychanalyse et Psychopathologie de la vie quotidienne, par exemple. Je croyais et crois encore à la pertinence du complexe d'Oedipe, du moins dans l'aire helléno-chrétienne; ça n'est certes pas un principe scientifiquement établi. J'ai aussi suivi une psychanalyse dans ma jeunesse, bien que mon analyste s'assît face à moi! et ma foi, sans dire que j'étais malade à proprement parler et donc que je fus guéri, cette cure par la parole ne me fit aucun mal et peut-être même du bien (quoique je ne la payai pas). Toutefois, je reconnais aisément que mon expérience ne contredit pas les reproches formulés dans le livre: je n'étais pas formellement malade (ni névrosé), la guérison n'est donc pas détectable, j'ai peut-être finalement perdu mon temps, de l'argent fut peut-être dépensé en vain... "la psychanalyse ne guérit que des gens bien portants", persifle M. Onfray. Si l'on écarte en effet les cas durs, les pathologies lourdes, il reste que la cure par la parole peut avoir un sens, pour l'analysé, surtout dans une période de construction ou de détresse morale. Mais qui a perdu le sens ne peut en trouver un pour soi. Freud lui-même parlait d'un "art de l'interprétation" (et non d'une science) et reconnaissait que "dans les formes les plus graves des troubles mentaux proprement dits la psychanalyse n'arrive à rien sur le plan thérapeutique." (2) Il le reconnaissait sans le reconnaître, évidemment puisque M. Onfray montre, avec raison que les cas présentés dans Cinq psychanalyses, dont certains sont lourds: hystérie, paranoïa, sont tous des ratages bidonnés, cadenassés par une doctrine théorisante et sans sujet réel, paralysante par son mysticisme autoritaire, sophistique, opportuniste. 

     Mais qu'en est-il des autres analysés de Freud, des autres "apôtres" de la psychanalyse de l'époque et de leurs patients, des écoles de cet art, de théoriciens beaucoup plus rigoureux que Freud et de praticiens réellement préoccupés de guérir leurs malades, bref, des milliers de thérapies qui se sont déroulées depuis dans des directions très différentes, avec des praticiens parfois bons, parfois mauvais, de l'hybridation des pratiques, des résultats heureux, d'autres pas? La pratique freudienne qui, prise tel un bloc, ne résiste pas bien, il est vrai à l'analyse d'Onfray, aurait t-elle résisté au temps qui passe, aux milliers de cas qui se présentaient sans jamais dévier, jamais évoluer, en restant à tout jamais théorique en diable et suffisante? C'est impossible: cet art thérapeutique a tout de suite évolué dans le temps. Il y a donc deux écueils dans le pamphlet d'Onfray: il n'y a pas d'étude statistique de la psychanalyse comme il n'y a pas d'étude historique de celle-ci, celle de la période fondatrice par exemple. Tout se fonde sur le cas: S. Freud, comme si celui-ci, d'ailleurs, n'avait jamais été contesté, débordé, utilisé mais dépassé. C'est ce que lui reproche, non sans raison également, Elisabeth Roudinesco dans Mais pourquoi tant de haine? (3)

A suivre...

(1) Faute volontaire: marre de ce nom barbare!

(2) L'intérêt que présente la psychanalyse

(3) Celle-ci relève: "Quand on sait que huit millions de personnes en France sont traitées par des thérapies qui dérivent de la psychanalyse..." et parle aussi des "psychiatres, psychanalystes, psychologues, psychothérapeutes" concernés par l'attaque d'Onfray. Elle dit bien: "des thérapies qui dérivent de la psychanalyse" et qui sont peut-être, aussi nombreuses qu'il y a de (bons) thérapeutes. Son approche est d'emblée beaucoup plus empirique et réaliste que celle d'Onfray, malgré les apparences. Ce petit livre de mai 2010, suit de très près la sortie du Crépuscule d'une idole.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire