vendredi 9 juin 2023

Le Crépuscule d'une idole (2)

    


    Je suis, je l'ai dit, prévenu contre M. Onfray; il a une grande compréhension des concepts et des problèmes mais dès qu'il s'agit d'une personne, en l'occurrence, d'un ectoplasme, d'une fiction comme il nomme Jésus, il peut être parfaitement schématique, déréglé, avide de tout détruire. Son rapport à l'histoire est problématique. Il pose au philosophe de l'histoire mais condamne toute une histoire selon les pseudo-schémas d'une gauche décadente et déchaînée contre la geste occidentale dont il s'éloigne lui-même à pas comptés... Ses outrances, ses maniaqueries historico-théoriques ne sont pas sans lien avec le déchaînement de violence anti-occidental à l'oeuvre dans nos sociétés fatiguées et envahies. Il réagit contre l'immanentisme ambiant, en philosophe réaliste, existentiel, (1) bien qu'en théoricien du matérialisme, il ait contribué, ô grandement, à l'avènement de cet immanentisme qui prend plus simplement et hideusement le visage du nihilisme, de l'ethno-masochisme sur un plan politique... En 2017, dans Décadence, peu lui importait le destin de la civilisation européenne: "Le bateau coule; il nous reste à sombrer avec élégance." Récemment, il fit un genre de mea culpa en s'introduisant lui-même dans cette longue histoire occidentale qu'il avait tant critiquée: "...j'ai l'impression d'avoir aussi contribué au nihilisme de mon côté parce que j'ai pensé qu'on pouvait me proposer d'autres valeurs... il y a tout un volet de mon travail qui est un volet de proposition éthique. Mais c'est aussi ridicule que de vouloir arrêter la tempête quand on voit un tsunami qui arrive sur le bateau... c'était très immodeste... De fait, aujourd'hui, je défends une chrétienté que je n'aurais probablement pas défendu il y a trente ans." (2) Ou le philosophe, piètre capitaine, qui se voulait en dehors des choses qu'il animait, avoue, avec certaine élégance, qu'il y avait bien chez lui vanité et prétention juvénile à remplacer (philosophiquement) un fond de civilisation (le bateau)... qu'on ne remplace pas aussi facilement. Les bobos ne veulent pas de la messe mais des valeurs morales romaines non plus; ils veulent jouir, en dehors de tout oukase morale.

    Les questions que je me pose alors sont celles-là: M. Onfray a t-il contribué au nihilisme contemporain en détrônant S. Freud (qui l'avait déjà été); a t-il été immodeste en confondant le devenir de la psychanalyse avec la vie controuvée de son fondateur? Voyons...

    A la première question, je dirais: non car peut-être sans le savoir, à l'époque, M. Onfray le pourfendeur de l'héritage chrétien, s'en prenait à un athée lui-même, le contempteur de la fiction chrétienne, à un inventeur de religion lui-même, un affabulateur, un faux homme de science, le "dieu solaire hédoniste" (3) à un praticien raté et retors, un mari adultère, un philosophe pessimiste caché, un maniaque du symbole et de l'Idée platonicienne anti-sensible. (4) Il y a cohérence alors chez M. Onfray: la psychanalyse est un ersatz, un soubresaut de la grande tradition helléno-chrétienne de "l'anti-monde", du monde supra-lunaire détourné du sensible: "La psychanalyse s'active dans la caverne platonicienne, elle disserte sur des idées, elle tourne le dos à la vérité des objets du monde."

    Le philosophe de l'immanence, de la jouissance sensible, du peuple surabondant des bobos avides de vivre et de l'exprimer par la forme, de s'étaler, de bavasser, de voyager, sans plus de formalité, de convenance s'en prenait là à une vache sacrée du XXe siècle (attaquée bien des fois, on l'a dit). Cette fois, ce n'était plus une "fiction" lointaine, n'ayant pas écrit et dont le témoignage historique passait pour mince mais une figure proche, ayant laissé de nombreux textes, dont le succès avait imprégné toute la culture contemporaine. En attaquant Jésus (dans le Traité d'athéologie), M. Onfray faisait un exercice laborieux, inactuel, lâche de destructuration civilisationnelle tardive; c'était lui le nihiliste, lui qui participait au siècle de "la pulsion de mort" (exercice répété dans Décadence), lui, qui, joyeusement, envoyait tout paître et tout balader au nom d'un individualisme et d'un matérialisme établis qu'il se contentait de théoriser. Avec S. Freud, c'est différent: il apparaît comme une figure du nihilisme d'époque au philosophe qui pour l'occasion, se place dans une perspective constructive et non plus destructrice. Le fond positif de M. Onfray cherchait encore à s'exprimer à l'encontre d'une figure établie (ce que d'aucuns nomment "le meurtre du père"). Il analyse ici un homme et son oeuvre et l'inscrit dans le nihilisme de "la pulsion de mort" qu'est le XXe siècle"; "ces cent années ont été nihilistes." (5) La psychanalyse "nie en effet la différence de nature entre la santé mentale et la maladie mentale, au profit d'une différence de degré..." Elle aurait donc accompagné le mouvement général. 

A suivre.

(1)... le philosophe de l'existence ne voulait pas de "migrant" chez lui parce qu'il n'avait pas d'horaire, à rebours du philosophe médiatique dont le coeur battait pour ces pauvres hères. "C'est un problème de politique générale": pour le coup, la philosophie existentielle n'existait plus. A France 5, émission inconnue, relevé par le site unpeudairfrais.org (28.10.2016). 

(2) A Matthieu bock-Côté, le Grand rendez-vous Europe 1-C-news, 01/01/2023.

(3) Expression ma foi piquante d'El. Roudinesco; encore faut-il préciser que seul l'intellect est chez M. Onfray hédoniste; toute son expressivité, y compris la toilette, trahit au contraire la tristesse, la monotonie, le pessimisme.

(4) Je note avec délectation que M. Onfray inventera une "impuissance sexuelle" à saint-Paul dans Décadence, chose qu'il reproche précisément pour le temps présent à la Société psychanalytique de Vienne, qui dans sa séance consacrée à Nietche (avril 1908), lui invente une inversion, une fréquentation des bordels masculins, une maladie sexuelle. C'est alors un "assassinat symbolique" destiné à nier toute collusion entre Freud et celui-ci.

(5) C'est assez discutable. Comment trancher nettement entre pulsion de mort et pulsion de vie? Le XXe siècle n'était pas exempt de cette dernière qui biologiquement d'ailleurs, est intrinsèquement liée à la première.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire