J’ai découvert G. Koenig par hasard et lu Voyages d'un philosophe aux pays des libertés (2018) avec une grande curiosité. Plusieurs fois, je fus choqué puis séduit. La langue est belle, simple, complexe pourtant ; des problèmes compliqués sont abordés avec un grand naturel. J’ai hautement apprécié la qualité littéraire assortie de références d’un jeune professeur de 35 ans, moins le parler américain commun d’une série qui semble le fasciner (« Are you a fucking communist ? ») ou à la fin, la panne : « Je ne sais plus quel écrivain expliquait… » Libertarien de gauche, si j’ai bien compris, G. Keonig prône un libéralisme pratique sur des points précis comme la drogue, les prisons. Certains sujets sont un peu plus généraux comme le microcrédit, la tolérance religieuse ou le libre-échange. Premier écueil : celui qui à l’instar de Tocqueville, voulait fuir la spéculation abstraite et le « mépris des faits existants », passe une semaine par-ci, une semaine par-là, voyage en avion payé par Le Point, je suppose, constate avec bonheur la mise en pratique d’intuitions libérales de façon locale puis revient à Paris pour les généraliser à l’ensemble de l’humanité, en laquelle croit encore G. Keonig. La méthode est empiriste mais le philosophe demeure universaliste : il tente même de renouer avec la vieille notion de perfectibilité (de l’être humain), liée vaguement à la notion-mère des philosophes lumineux : le progrès, cependant mal définie (« ceux qui n’ont pas renoncé à l’idée de progrès humain »). G. Koenig se fait plaisir : c’est un excellent journaliste à sa manière (et l’est un peu moins retour au bercail où il affirme qu’on « envoie la police fermer les mosquées »). Il est de cette génération qui, politiquement, assume la transition de la gauche au libéralisme (ça nous change d’Onfray) : mais quand la gauche devenue libérale peine à trouver des formules pour les masses autres que la défense inconditionnelle de l’islam à travers l’anti-racisme, la peur du changement climatique et la maximisation des problèmes écologiques, G. Koenig voudrait l’emmener très loin avec le libertarisme, la « propriété de soi », la tolérance et l’utilitarisme anglo-saxons intégraux, la fin et le dépassement de l’Etat-nation, des « sociétés homogènes et des religions exclusives » au profit d’une communauté fluide d’intérêts individualistes, « aux identités multiples et superposées » sous le couvert d’une loi non pas (soi-disant) aveugle et punitive comme la loi rousseauiste de l’intérêt général mais indifférente et comme suggestive, axiologiquement (soi-disant) neutre. (1) On reconnaît les « cultures en France » du candidat Macron, en passant. Je n’insiste pas sur les gouffres abyssaux séparant les différentes gauches qu’on peut toutes ramener à un jacobinisme enraciné et à un messianisme humanitaire laïcisé, et cette «utopie de toutes nos utopies » (individuelles).
A suivre
(1) « la mesure d’un crime se fonde entièrement sur le tort qu’il cause à la société et non sur l’intention de son auteur ; peu importent les mobiles… » Mais il dit aussi, en conclusion, que la société ne devrait être que « le fruit d’interactions multiples, complexes, en évolution permanente et irréductibles à un quelconque destin commun. » Comment déterminer, dès lors, ce qui est bien et mal au niveau social si chaque individu voit midi à sa porte ?
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