vendredi 29 août 2025

Cioran par Susan Sontag (1967)

 


Susan Sontag à Paris, 1972

    C'est à ma connaissance le premier essai consacré à Emile Cioran (1911-1995), philosophe roumain cher à mon coeur, exilé en France en 1937 (puis 1940, encore), écrivant en français à partir de 1949. "Under the sign of Saturn" (Sous le signe de Saturne), le recueil de ces essais, plus particulièrement consacré à Walter Benjamin ou Leni Riefenstahl, fut publié en 1980 puis traduit par le Seuil en 1985. Susan Sontag ne corrigea pas l'erreur qu'elle faisait encore en 1979, dans un entretien à la Quinzaine littéraire, imputant à Cioran une oeuvre exclusivement française.

    "Penser contre soi: réflexions sur Cioran" débute par une sorte de résumé philosophique contemporain. Jusqu'à la Révolution française grossièrement, "la philosophie consistait pour l'essentiel en une vision collective ou supra-personnelle (...) C'est sur (...) sa prétention à pouvoir décrire les "universaux" non-concrets, c'est-à-dire les formes stables qui soutiennent ce monde changeant, qu'a toujours reposé [son] autorité." Puis, "l'histoire a usurpé la place de la nature, et est devenue le cadre décisif de l'expérience humaine." Elle précise encore, que vers le milieu du XIXe siècle, apparut une "forme de conscience" qui prédominait toujours à son époque: l'historicisme; "pour comprendre une chose, nous la situons dans un continuum temporel pluridéterminé." Plus rien n'est absolu ni naturel, au sens déterministe. En écrivant cela, elle était même plutôt en avance si l'on songe à quelqu'un comme M. Onfray, qui est un bon exemple de ce relativisme, de ce sensualisme lourd et détaillé, à travers l'histoire personnelle (S. Freud, saint Paul) ou collective (le christianisme), précarisation d'un absolu ou d'une nature systématique. Elle cerne bien la double conséquence de cette "débâcle": d'une part, la montée des idéologies, "systèmes de pensée agressivement anti-philosophiques", d'où sortiront des débâcles autrement plus catastrophiques; de l'autre, "une nouvelle forme de réflexion philosophique: personnelle, voire autobiographique, aphoristique, lyrique et opposée à l'esprit de système", tendance dans laquelle on reconnaît aisément Nietzsche puis Em. Cioran.

    S. Sontag ignorait donc la période roumaine de l'écrivain ("le seul livre qu'il ait publié, en plus de ses cinq recueils d'essais, est une édition des écrits de Joseph de Maistre..."), et n'étudiait qu'un seul de ces livres publiés en français, la Tentation d'exister (1956). La publication en français de l'oeuvre roumaine de Cioran, du reste, ne se fera pas avant 1986, avec pour commencer, chez l'Herne: des Larmes et des saints, amplement caviardé par l'auteur.

    En dépit de cela, l'essai de Sontag recèle des aperçus justes et originaux, à tel point que j'en ai retrouvé quelques-uns dans le livre de Nicole Parfait, de 2001, Cioran ou le défi de l'être: les implications contradictoires des idées, mises en valeur par l'aphorisme, une existence voulue comme futile, "d'où la conscience prend son appel pour sauter, comme un athlète, dans sa propre complexité"; le développement spinoziste en fin d'ouvrage de Nic. Parfait trouve également son origine dans cet essai ("Nous sommes forcés d'aller jusqu'au bout de la pensée...").

    A suivre...

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