samedi 2 mai 2015

La vie génialement castrée de Will (1)



J'ai revu ce film sur Youtube: Good Will Hunting, de Gus Van Sant, sorti en 1997. Ca fait déjà une paye. En fait, je l'ai déjà vu plusieurs fois mais je n'avais pas fait attention à un truc important. Et pour cause...

Les Québécois ont traduit par Le destin de Will Hunting. Pourquoi pas? Mais déjà, le nom Hunting (chasse) a quelque chose d'étrange. C'est bizarre de s'appeler chassant... Bref, deux des acteurs principaux sont aussi les scénaristes: Matt Damon (Will) et Ben Affleck alias Chuck ou Chuckie. Ce sont deux copains du même quartier pauvre de Boston (South Boston). Les premières images montrent un jeune homme assis en train de lire dans une chambre: c'est Will. Puis une vieille guimbarde se traînasse mollement dans une rue défoncée et s'arrête devant un pavillon et son petit jardin entouré d'une grille et envahi de meubles ou d'objets divers: Chuckie, habillé sportivement, en sort pour aller frapper à la porte. Il emmène son pote au boulot, probablement d'abord à la station de métro la plus proche. Les images suivantes en effet montrent une salle de cours: le professeur Lambeau (nom français!), professeur de mathématiques, badine avec ses élèves, tous plus mondialisés les uns que les autres, à propos d'un problème ardu qu'il a inscrit au tableau et aussi en dehors de la salle, dans un couloir. Celui de ses brillants étudiants, qui payent tous très cher leurs études, qui le résoudra aura certainement un avenir doré devant lui. Puis l'on voit le couloir, deux étudiants devant le problème recopié sur un tableau et un mec en uniforme avec son balai-serpillère et un sceau roulant. Will travaille au M.I.T. en tant qu'agent de nettoyage, on dirait en France, voire homme de ménage.

En France, on ne voit jamais les classes sociales représentées au cinéma et pas tellement dans le cinéma américain non plus; la plupart des films tournent autour de la seule classe moyenne. Le célèbre Institut est séparé de Boston par la rivière Charles, que l'on voit à un moment, alors que le soir tombe, autant que le non moins réputé Fenway park illuminé où s'entraînent les Red Socks.

Pendant quarante minutes, Matt Damon et Ben Affleck, vingt-cinq, vingt-sept ans à l'époque, ont écrit un bon film. Will travaille chez les rupins, on dirait puis traîne avec ses potes dans son vieux quartier. Où est le problème? C'est un auto-didacte qui lit beaucoup, une tête et un mec baraqué; tout ça n'est pas trop invraisemblable. C'est lui qui résout successivement, sans se déclarer, les deux problèmes ardus du professeur de mathématiques affichés dans le couloir de l'université. Mais avec ses copains, ils boivent des coups, partagent les mêmes filles, se battent ensemble. Ils aiment le bèsebol. Ses copains sont des ouvriers manuels. Le quartier est ouvrier, à côté du port. Où est le problème? Il faut tous les psychanalyser? Pendant quarante minutes, on ne sait pas que Will est orphelin, est complexé, buté, susceptible et autres conneries psychologisantes. On ne sait pas qu'il a été un enfant maltraité (qui deviennent rarement des génies, du reste).

La scène du bar est une étape. Ca n'est qu'une soirée banale dans un bar d'étudiants. Cette fois, les quatre de South Boston décident de faire une virée du côté des richards et des têtes d'oeuf (Bow street à Cambridge). La scène entre l'étudiant prétentieux à la queue de cheval et Will est d'une grande violence sociale, rarement exprimée au cinéma ou même dans la vie:
-Le triste avec toi, c'est que dans cinquante ans, tu te mettras à penser par toi-même. Tu réaliseras deux choses dans la vie: un, arrête de la ramener, tu n'es pas à la hauteur. Deux: tu as dépensé 150 000 dollars pour tes études à la con alors que pour un dollar cinquante d'amende de retard, tu pouvais apprendre la même chose à la bibliothèque municipale.
-Oui mais moi, je serai diplômé. Et toi, tu serviras des frites à mes gosses sur l'autoroute lorsqu'on partira en vacances de Noël.
Will se marre: C'est possible! Mais au moins, j'aurai de la personnalité. Et puis, si tu as un problème, on peut régler ça dehors, hein?
L'autre recule: Non, il n'y a pas de problème... C'est coule.
-C'est coule? Coule.

Pourquoi, dés lors, Will n'est-il pas resté "original", un type avec de la personnalité, attaché aussi bien à ses copains d'enfance qu'à ses bouquins empruntés à la bibliothèque? Pourquoi ne sort t-il pas avec une nana de son quartier? Ah, je sais, la vie n'est pas simple. Tout change. On voudrait garder ses copains et ce sont les copains qui se barrent. On voudrait baiser à tour de bras et on s'en dégoûte; on voudrait être marié et stable et on n'arrête pas de se disputer. On projette sans arrêt des entreprises; l'une chasse l'autre.

Le reste du film n'est qu'une entreprise de rachat du génie de Will qui doit pour ce faire, devenir un Américain comme les autres, c'est à dire en gros, se féminiser. Avec l'aide d'un "psy" pas ordinaire (Robin Williams), Will doit comprendre qu'il n'est pas fait pour cette vie ordinaire qui pourtant n'apparaissait pas comme si désagréable. Nous étions partis avec une histoire à connotation sociale bien menée, pas banale, entre les pontes d'un côté, les petits de l'autre (scène du garage); la ville de Boston mais aussi la vie apparaissait comme complexe. Puis le film bascule dans la mentalité moyenne américaine, autant dire féminisée; terminés les classes sociales, il n'y a plus qu'Amour et Narcisse qui comptent. Le pivot du changement, c'est le professeur, si l'on peut dire: il sort Will de prison à la suite d'une bagarre pour en faire un émule en mathématiques mais la condition, c'est que Will doit se faire psychanalyser, en tout et pour tout. Il doit exprimer ses émotions et tout le blabla, d'autant plus qu'une fille plus délurée que les autres (Minnie Driver) lui a tapé dans l'oeil la soirée du bar. Au cours du film surviendra une scène de déchirure entre les deux amants puis tout rentrera dans l'ordre: Will deviendra un génie et rejoindra sa copine partie en Californie. Au début, il n'était pas ouvert à l'amour, il était fermé, ce que je n'avais pas compris personnellement; à la fin, ça y est: il est bien féminisé, tamponné Américain pur porc et il court après une banale étudiante masculinisée, elle (qui fait des blagues vicieuses).

Will et ses copains. Le génie se révèle sous les apparences d'un balayeur. A suivre...

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