samedi 16 mai 2015

Un sacré coquin (2)



La réaction terrible et même un peu stupide de Le Pen père paraît incompréhensible: s'il en a après Philippot, pourquoi attaque t-il sa fille? Pourquoi si tard? Il connaît probablement l'entrisme que pratique Philippot, qui est vice-président depuis 2012. Jean-Marie Le Pen est retiré doublement de la tête du mouvement et de la course à la présidence, depuis 2010-11. Pourquoi publiquement a t-il voulu humilier sa fille alors qu'il ne fait, dans le fond, que contester une mainmise étrangère, voire un changement de ligne vers la gauche étatique qu'il a pourtant assumé, en son temps? Est-ce plutôt une grosse colère cabotine et vite retombée, la dernière lubie d'un président de parti seulement qui voit s'effacer sa carrière, sa vie, l'emprise constante qu'il avait sur ce parti-accordéon...? Je le crois.

Jean-Marie est double. Ses réactions se choquent elles-mêmes et s'annulent. Les journalistes cités précédemment se demandaient perplexes, si Jean-Marie Le Pen avait jamais eu un but politique réel et même réaliste. "Il est le résultat d'un parcours erratique qui lui a en grande partie échappé." C'est à ce titre que j'aime Le Pen: c'est un raté, un raté vivant, fabuleux, comme on en voit dans les films de Kusturica. A la stratégie froide, la carrière, les honneurs finalement venus, il préfère la vie peinarde, les grasses mâtinées et les joutes télévisées, il préfère jouir et exploser plutôt que construire et atteindre patiemment un but. A lui-même, il est un monde, un univers; il a trop de personnalité, elle doit sortir, se répandre, quoi qu'il arrive. Il aime provoquer et brouiller les cartes. Il a suscité la détestation de générations souvent incultes mais son commerce est agréable; tout le monde reconnaît sa culture. "...un homme devenu pessimiste sur la société, fasciné par le miroir de sa propre existence et qui tendrait presque à en faire une oeuvre d'art baroque" disent Pierre Péan et Ph. Cohen.

Comme un sale gosse, "Le Pen révèle aussi une incroyable propension à tout détruire, y compris la grosse PME qu'il a mis vingt-cinq ans à installer sur le marché de la politique...", et c'est bien ce qui s'est passé dernièrement, exactement comme la journée de décembre 1998 à la Mutualité; le parti s'est déchiré et les mégrétistes, les plus nombreux et les plus qualifiés, partirent. Bien sûr, c'est le mystère de ces personnages explosifs, il était qualifié au second tour de la présidentielle près de trois ans après. C'est presque un miracle. Le Pen sait, ce soir-là qu'il est coincé, qu'il n'obtiendra pas un suffrage de plus.

Ainsi, Le Pen s'est répandu, jouissant de la vie mais ne construisant rien, à proprement parler. Il est proche de sa nature comme je l'avais écrit jadis de Mesrine; il essaie moins que les autres de participer au mensonge social. "Il évite une carrière de politicien classique par son côté caractériel"; "Il a toujours préféré être chef de pas grand-chose que de participer à une grande oeuvre." En ce sens, il est même l'anti-Philippot par excellence ou plutôt c'est Philippot le propre-sur-lui qui s'éloigne le plus possible de cette personnalité éruptive. Philippot était jusque-là un technocrate d'un ennui considérable; peut-être va t-il prendre plus de relief depuis que Le Pen lui-même l'a révélé comme son tombeur...

Le vieux politicien Le Pen: à moitié joueur, à moitié prophète. A suivre...

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