mardi 2 septembre 2025

Cioran par S. Sontag (3)

 

Porte-bouteilles par M. Duchamp (original de 1914, perdu); un exemplaire est conservé au centre Beaubourg


Nae Ionescu (1890-1940), le professeur de logique et métaphysique d'Em. Cioran et le "séducteur de toute une génération"


    En terminant son essai par une comparaison bien malheureuse avec... John Cage, il me semble que S. Sontag se dévoile. Certes, on peut faire des rapprochements; Cioran avait l'âme musicale et a écrit que le silence valait mieux que tout (lui, le bavard); certains de ses aphorismes sont à la limite du loufoque. Le fils de pope s'est tôt intéressé au bouddhisme (dans ses articles), J. Cage, à la spiritualité hindoue, au bouddhisme zen ou à la littérature chinoise, au cours des années 1940-50. (1) Mais outre que Sontag ne relève pas ces traits, le soi-disant discours philosophique du bricoleur-bruiteur et non moins fumiste John Cage n'a strictement rien à voir avec Cioran. "Cage envisage un monde dans lequel les problèmes et les tâches de Cioran ont tout bonnement cessé d'exister." Vraiment? Mais c'est le lot de n'importe qui, de la plupart des gens, en tous cas; Cioran éprouva toute sa vie la singularité, l'irréductibilité de sa position. Le discours de J. Cage, qui ne serait "pas moins radical ni moins ambitieux sur le plan spirituel" consiste par exemple, à postuler "la possibilité éternelle d'un comportement infaillible, à cette seule condition que nous l'acceptions comme tel." Ou encore: "Il n'y a que de l'irritation à gagner, à penser qu'on voudrait être ailleurs. Nous sommes ici maintenant." Mais ce charabia égotiste, hyper-relativiste, auto-justificateur, cet épicurisme frelaté mâtiné d'un vernis asiatique, très vite adopté par toutes les stars névrosées de Hollywood, n'est-il pas la justification d'une musique d'une pauvreté insigne, dépourvue d'imagination, de profondeur et d'intérêt? J. Cage "osa", comme M. Duchamp en 1914 osa faire passer un porte-bouteilles pour une oeuvre d'art toute faite; il osa un morceau... vide, une non-composition en somme, encore "joué" stupidement en public devant un piano avec toutes les apparences mondaines... ("4:33" de 1952) Les bruits ambiants ressortent, paraît-il. (2)

    Le XXe siècle et même une partie du XIXe potache, montmartrois, ironique, est le siècle de l'épate anti-bourgeoise (réalisée par des bourgeois), de l'esbrouffe et de la redîte, de la mauvaise éducation érigée en principe et de l'industrie poseuse et rebelle qui en découla, toujours active dans la musique par exemple, qui pille et se repille sans fin; du nihilisme en somme, annoncé par Nietzsche et compilé par M. Onfray...

    S. Sontag a t-elle bien compris Cioran finalement? "Ce que cette comparaison fait apparaître clairement, c'est la place essentielle que Cioran accorde à la volonté et à sa capacité à changer le monde." Pardon? Cioran qui ne voyait guère plus oisif que lui qu'une prostituée parisienne sans clients... chez qui l'oisiveté, la paresse, l'inaction était un but philosophique, qui le rapprochaient d'ailleurs des épicuriens, de l'école du Tao ou du bouddhisme. (3) "En lisant Cage, on comprend à quel point Cioran est encore prisonnier des prémisses de l'historicisme..." Lui qui a compris à vingt ans ce que c'était que le "perspectivisme historique", qui avait compris "l'anxiété et l'effervescence" artistique de son époque, y avait également contribué! En réduisant Cioran à n'être qu'un épigone de Nietzsche (alors qu'il en a critiqué la théorie du surhomme), en ignorant là aussi les vraies influences du jeune philosophe (Pascal, Dostoïevski, Schopenhauer, G. Simmel, Bergson, L. Chestov puis le professeur N. Ionescu, le philosophe sans oeuvre Petre Tutea), elle en dresse un portrait apparemment fiable mais au fond, superficiel; elle ne comprend pas notamment la profonde méditation qu'a toujours menée Cioran face au temps (et à la mort); son rapport à l'histoire, lié à la gnose et la Genèse.


(1) Le jeune Cioran avait été initié au violon mais n'avait pas continué; c'est surtout dans le Livre des leurres (1936) que sa passion pour la musique éclate (Mozart, van Beethoven, Bach, Haydn, Schubert, Chopin...); "Vous dirai-je le fond de ma pensée? Tout mot est un mot de trop. Il s'agit pourtant d'écrire: écrivons..., dupons-nous les uns les autres." (Lettre sur quelques impassesla Tentation d'exister); "A quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde?" ou "Le spermatozoïde est le bandit à l'état pur." (Syllogismes de l'amertume, 1952); "une blancheur indéfinissable et transcendante créent un état étrange dans lequel le non-être produit un trouble agréable... Je comprends parfaitement alors, le sentiment bouddhiste du non-être..." ('Des modes de contemplation', août 1933);

(2) "Duchamp qui fut impressionniste, puis cézannien, puis fauve, puis cubiste, puis futuriste estime à cette heure que l'art est mort", dit M. Onfray dans Décadence (2017). M. Duchamp entre tout à fait dans la conception que se faisait Cioran de l'artiste contemporain, à l'instar de Picasso, "caractéristique de notre époque (...) par sa mobilité et son esprit protéiforme, par les nombreux courants auxquels il a participé sans être capable de trouver une consistance spirituelle..." ('Oskar Kokoschka', sept.-nov. 1931) Du reste, "4:33" avait déjà été inventé par... Alphonse Allais en 1897: une partition restée vide de la 'Marche funèbre composée pour les funérailles d'un grand homme sourd'.

(3) "Etre et être le présent. Serait-ce une répétition? Seulement si nous pensions qu'il nous appartient, mais puisque ce n'est pas le cas, le présent est libre et nous aussi." Que veut dire ce charabia? Que veut dire être propriétaire du temps ou: le présent est libre? C'est bien sûr une parole forte à vernis asiate de J. Cage. Cioran lui, de son côté, n'a, bien entendu, jamais médité sur la fuite du temps, l'inadhérence consciente au moment présent, la dissociation de l'être d'avec le temps, dans l'ennui, la "chute dans le temps", tous thèmes absents de l'essai de S. Sontag...


dimanche 31 août 2025

Cioran par S. Sontag (2)

 


Osk. Kokoschka, la Fiancée du vent, 1914 (cons. Bâle)


Londres, pont de Waterloo, 1926 (cons. Princeton, Nveau-Jersey)

    Ce qui est curieux et intéressant, c'est que le philosophe roumain, dans ses premiers articles du début des années 1930, qu'ignorait parfaitement S. Sontag, s'est lui-même situé par rapport à un relativisme dissolvant, qu'il appelait, lui, le "perspectivisme historique"; (1) perspectivisme qu'on peut opposer au "vécu naïf" et qu'il associait à "la faillite de la culture moderne, individualiste et rationaliste..." ("L'intellectuel roumain", 27.02 et 1er mars 1931) C'est dans les années 1960 qu'on retrouve ce sentiment chez S. Sontag: "Cette succession de possibilités épuisées, que la pensée et l'histoire elle-même ont démasquées et discréditées, et dans laquelle l'homme se situe maintenant (...), toute cette activité géniale débouche (...), sur le sentiment que nous nous dressons au milieu de ruines de la pensée et que celles de l'histoire et de l'homme lui-même ne sont pas loin." Mais Sontag ne faisait que rapporter une certaine évidence, un épuisement vital et spirituel en Europe depuis longtemps martelé ou théorisé ("jamais les individus n'ont ressenti de façon plus aiguë le besoin d'aide spirituelle.")

    Cioran introduisait d'emblée, dans sa conception du temps, une notion religieuse: "Jadis, l'individu était biologiquement autant que socialement intégré dans la vie. Il était en quelque sorte substantiel (...), fermé aux voies du devenir comme à celles de la dissolution..." ("La psychologie du chômeur intellectuel", 8.05 1931) "Eminemment actif et optimiste", l'homme moderne "est intégré dans le devenir", et à l'inverse, aveugle à "ce qui constitue l'essence de la sensibilité religieuse: l'esprit contemplatif." ("La volonté de croire", 25.02 1931) "Le sens se noie dans le torrent du devenir" dit S. Sontag, en parlant de l'historicisme; on trouve un étonnant accord entre eux deux.

    Cioran allait plus loin, en décrivant l'attitude mentale des intellectuels ou des artistes de son temps; ainsi, le "chômeur intellectuel" ou le jeune philosophe désaxé, le marginal, et bientôt le type banal d'une société relativiste et permissive, "société sans Dieu" (P. Miquel), "est contraint de passer par toutes sortes d'expériences, d'assimiler des contenus de vie sans rapport étroit entre eux..." Ce faisant, il décrivait aussi un certain mode de vie américain typique. Un de ces articles, consacré au peintre expressionniste Oskar Kokoschka, né sujet austro-hongrois, détaille avec une grande finesse cet air du temps "historiciste", relativiste ou plus simplement moderne, chez un artiste qui a éprouvé la "débâcle" de la Grande guerre; ainsi, "Il y a dans toute son oeuvre une insatisfaction permanente, une peur du monde et de l'avenir qui font penser que, dans sa vision, l'homme n'est pas issu du monde, qu'il est tombé, désorienté, dans une existence étrangère à sa nature." On a là l'équivalent pictural de la déréliction propre à l'école philosophique anti-systématique. "Le saut dans le chaos et le néant, essentiel pour cette perspective, élimine toute problématique du formel." ('Oskar Kokoschka', sept.-nov. 1931)

    Cette problématique n'existait pas non plus pour Cioran. Ses livres roumains étaient particulièrement lyriques. (2) "Si l'on parle d'art abstrait chez Kokoschka, c'est seulement dans ce sens qu'on peut le faire, à propos de l'absolu conféré à l'expression"; la prédominance de l'expression, "une expression hautement dramatique", "l'insatisfaction permanente", "une révolte, une expression de tous les éléments dans une tension démente", tous ces termes caractérisèrent aussi bien l'oeuvre roumaine de Cioran que sa personnalité. 

    A suivre...


(1) Sontag parle de "perspective historiciste"...

(2) On compte cinq livres publiés en Roumanie, depuis sur les Cimes du désespoir (1934) au Crépuscule des pensées (1940); mais encore ses articles, rassemblés en partie dans Solitude et destin (2004, en fr.); le texte du Bréviaire des vaincus, écrit en roumain à Paris pendant la guerre, publié en français en 1993 et 2011; deux textes de la même époque, exhumés par Nicolas Cavaillès à la bibliothèque Doucet, publiés en 2019. Il aura fallu plus de trente ans, depuis 1986, pour disposer de l'ensemble de cette oeuvre en français.

vendredi 29 août 2025

Cioran par Susan Sontag (1967)

 


Susan Sontag à Paris, 1972

    C'est à ma connaissance le premier essai consacré à Emile Cioran (1911-1995), philosophe roumain cher à mon coeur, exilé en France en 1937 (puis 1940, encore), écrivant en français à partir de 1949. "Under the sign of Saturn" (Sous le signe de Saturne), le recueil de ces essais, plus particulièrement consacré à Walter Benjamin ou Leni Riefenstahl, fut publié en 1980 puis traduit par le Seuil en 1985. Susan Sontag ne corrigea pas l'erreur qu'elle faisait encore en 1979, dans un entretien à la Quinzaine littéraire, imputant à Cioran une oeuvre exclusivement française.

    "Penser contre soi: réflexions sur Cioran" débute par une sorte de résumé philosophique contemporain. Jusqu'à la Révolution française grossièrement, "la philosophie consistait pour l'essentiel en une vision collective ou supra-personnelle (...) C'est sur (...) sa prétention à pouvoir décrire les "universaux" non-concrets, c'est-à-dire les formes stables qui soutiennent ce monde changeant, qu'a toujours reposé [son] autorité." Puis, "l'histoire a usurpé la place de la nature, et est devenue le cadre décisif de l'expérience humaine." Elle précise encore, que vers le milieu du XIXe siècle, apparut une "forme de conscience" qui prédominait toujours à son époque: l'historicisme; "pour comprendre une chose, nous la situons dans un continuum temporel pluridéterminé." Plus rien n'est absolu ni naturel, au sens déterministe. En écrivant cela, elle était même plutôt en avance si l'on songe à quelqu'un comme M. Onfray, qui est un bon exemple de ce relativisme, de ce sensualisme lourd et détaillé, à travers l'histoire personnelle (S. Freud, saint Paul) ou collective (le christianisme), précarisation d'un absolu ou d'une nature systématique. Elle cerne bien la double conséquence de cette "débâcle": d'une part, la montée des idéologies, "systèmes de pensée agressivement anti-philosophiques", d'où sortiront des débâcles autrement plus catastrophiques; de l'autre, "une nouvelle forme de réflexion philosophique: personnelle, voire autobiographique, aphoristique, lyrique et opposée à l'esprit de système", tendance dans laquelle on reconnaît aisément Nietzsche puis Em. Cioran.

    S. Sontag ignorait donc la période roumaine de l'écrivain ("le seul livre qu'il ait publié, en plus de ses cinq recueils d'essais, est une édition des écrits de Joseph de Maistre..."), et n'étudiait qu'un seul de ces livres publiés en français, la Tentation d'exister (1956). La publication en français de l'oeuvre roumaine de Cioran, du reste, ne se fera pas avant 1986, avec pour commencer, chez l'Herne: des Larmes et des saints, amplement caviardé par l'auteur.

    En dépit de cela, l'essai de Sontag recèle des aperçus justes et originaux, à tel point que j'en ai retrouvé quelques-uns dans le livre de Nicole Parfait, de 2001, Cioran ou le défi de l'être: les implications contradictoires des idées, mises en valeur par l'aphorisme, une existence voulue comme futile, "d'où la conscience prend son appel pour sauter, comme un athlète, dans sa propre complexité"; le développement spinoziste en fin d'ouvrage de Nic. Parfait trouve également son origine dans cet essai ("Nous sommes forcés d'aller jusqu'au bout de la pensée...").

    A suivre...

lundi 23 décembre 2024

Sarah Bernhardt, la Divine


Sarah Bernhardt par Nadar (1864)


    Ces crétins à lunettes d'AlloCiné ont refusé mon article au prétexte (fallacieux) qu'il ne parlerait pas... du film en question! Qu'à cela ne tienne!

3 étoiles sur 5- S. Bernhard la Divine (vu le 19 déc. 2024 à Nevers, ciné Mazarin), par Guill. Niclous; scén.: Nath. Leuthreau; av. Sandr. Kiberlain, Laurent Lafitte (Lucien Guitry), Amira Casar (Louise), Grégoire Leprince-Ringuet (Maurice B.), Sylvain Creuzevault (Edm. Rostand);

    Contrairement à certaines critiques, (1) j'ai trouvé le jeu des acteurs (et comédiens) parfaitement honorable, celui de Sandrine Kiberlain extraordinaire, c'est-à-dire dépaysant. Pourquoi me dis-je, ne jouerait-elle pas une femme idolâtre d'elle-même quoiqu'intéressée aux questions d'actualité (affaire Dreyfus), sérieuse et pensive dans son art (qu'on ne voit pas), autoritaire avec son petit monde artiste-décadent sauf avec son fils, salonnière extravertie, imprévisible, drôle et exigeante, perdue et prête à tout pour un homme somme toute bourgeoisement banal?

    Puis le film, ou plutôt le scénario (féminin), a aussi de gros et petits défauts: à part une minute au début environ, on ne la voit jamais sur scène... ce qui est quand même un comble! On a surtout droit à la Sarah Bernhardt salonnière et amoureuse, débitant les préjugés actuels du féminisme, non les opinions d'autrefois. Toutefois, chose rare dans notre cinéma idéologique, Louise, sa compagne, lui tient la réplique de l'opinion traditionnelle; c'est assez ironique! Plus qu'une maladresse, il y a encore une (double) faute: en 1880, S. Bernhardt part faire une tournée en Amérique; elle y jouera Adrienne Lecouvreur avec un franc succès à New-York par exemple (en français)... La chose est annoncée dans le film... mais pas filmée. Dans sa vieillesse, tel le Tigre, elle parle d'aller soutenir le moral des soldats au front, ce qu'elle fit effectivement (1916): encore une fois, une annonce et pas de scène. Pour une production regroupant Canal+ et TF1, c'est assez mesquin! Bref, on reste le plus souvent dans ses appartements exotiques, chatoyants, remplis de tentures, peintures, bibelots, où passent des animaux sauvages... bruissant des conversations d'un cercle fermé, de murmures amoureux... pas sûr que l'intéressé elle-même, qui fit quasiment le tour du monde, s'y fut reconnue!

(1) AlloCiné est le repaire de pignoufs qui n'ont pas aimé le jeu de tel acteur sans expliquer pourquoi. Seul le Moi alors s'exprime.


lundi 28 octobre 2024

Notre histoire intellectuelle et politique (4)


PA. Taguieff, a eu le mérite de traiter des dérives de la gauche

    Ainsi la gauche allait, sans se définir mais en se trouvant tout de même en sympathie profonde avec le grand mouvement libéral euro-mondialiste, idéologie fatale d'une UE marchande et monétaire. (1) 

    Mais P. Rosanvallon ne veut pas croire à "l'effondrement" de l'idée de progrès, qui est bien une idée systématique, pourtant, une idéologie, donc périssable. Cette idéologie, depuis son origine, la transformation de la nature par l'outillage perfectionné et de l'environnement humain, est directement responsable des problèmes écologiques dont se targuent désormais de manière exclusive, généralisée et obsessionnelle les "progressistes" ou "modernes"; au moment précisément où cet ancien souci de gentilhommes conservateurs, cette vision réactionnaire devient centrale, le "progressisme" se détache de l'humanisme renaissant et promeut une transformation volontaire et fantaisiste de l'homme, un transformisme radical, comme si toute place fixe devait disparaître pour lui, comme si l'homme (renaissant) devenait transparent face aux problèmes immenses posés devant lui. Plus prosaïquement, la gauche essayait alors de récupérer et d'animer un courant jusque-là contraire à ses idées.  "Ce sont en effet bien des mots et des concepts qui nous manquent. Des mots et des concepts qui ne pourront désormais plus être adossés à des garanties de l'histoire... (à) une telle promesse du temps." N'est-ce pas? Rosanvallon cherche, comme d'autres, à ne pas répéter l'erreur de l'histoire-Passion, de l'histoire-parousie dans laquelle un but est assigné à l'histoire humaine, immanente cette fois, à ne pas répéter, non plus, pour lui-même, la geste du militant, de l'intellectuel-partisan, du moine séculier et son "idéologie du salut terrestre." (2)

 L'idée de Progrès, cette "extase de gobe-mouches" (3) saisit encore la moitié des populations occidentales ou presque dont le XXe siècle traversé d'une "grande barbarie éclairée au gaz" n'a décidément pas dessillé les yeux. (4) "En ce qu'elle suppose l'idolâtrie de l'Histoire et le goût de la perpétuelle nouveauté, la croyance au Progrès a ainsi été réduite, par les penseurs pessimistes, à l'expression d'un désir frénétique d'échapper à l'ennui, qui forme le fond affectico-imaginaire de l'existence humaine", écrit PA. Taguieff. Encore faut-il séparer la course au progrès: matériel, technique, exploratoire... de l'idéologie du Progrès, qui était le succédané laïc de la chrétienté, de sa mentalité ordinaire et de son attente millénariste. On voit très bien aujourd'hui que certains groupes, certaines tendances de gauche se placent contre l'évolution de tentatives futuristes, représentée par un Eon Musk par exemple, et défendent des positions aussi bien humaine, sociale et philosophique ou religieuse, étriquées, anti-universalistes, anti-humanistes (au nom de l'écologie),  qui confinent à l'obscurantisme mystagogue, autoritaire ou à un confusionnisme incohérent sur fond ethnomasochiste ou anti-occidental accusé. Le "libéralisme" général de la gauche cache des tendances fixistes rigides (dans l'ordre naturel) comme une tendance chaotique, dans l'ordre humain.

    Chez Rosanvallon "deuxième gauche", la recherche d'une nouvelle piste au progrès moral ne l'éloigne pas vraiment, sur un plan intellectuel, des tabous et blocages de la gauche en général, de la gauche devenue libérale au cours de ces années de "piétinement". Habité par le social, "l'autonomie", vieille lune abstraite, il n'aborde pas la question migratoire (qui pourtant, l'est, sociale puis civilisationnelle); pas plus les dérives sectaires et obscurantistes de militants qui par ailleurs, défendent la transformation radicale de l'homme, ne semblent l'interroger. "Si le social d'identification et d'incorporation décline (celui de l'appartenance et de la conscience de classe, pour faire vite), le social d'expériences partagées, lui, se développe. Cela correspond au fait que la vie des individus est dorénavant autant construite par des situations que par des conditions", poursuit P. Rosanvallon. Je suis frappé par la parenté de cette réflexion avec celles de Gaspard Koenig, découvert récemment. (5) "L'idéal d'autonomie et le projet d'émancipation qui lui sont liés constituent en effet le cadre d'une invention sans fin de l'humanité par elle-même" mais pas "sur le mode linéaire d'un progrès." Tel semble être depuis quelques années le renouveau intellectuel par la gauche (libérale) de la théorie du progrès, non plus théorie trans-historique de la nature humaine, censée s'épanouir dans une phase finale idéale mais théorie anthropologique relative, dont les effets poursuivent et transforment le cours. "La modernité est une histoire" dit Rosanvallon, "une invention sans fin", à la fois (encore et toujours) illimitée dans son possible et aussi, sans but, façon de dire qu'elle est autonome par rapport aux finalités philosophiques qu'on lui prêterait.

    Or, tout ceci, qui reste assez vague, peut se contredire: cette invention a une origine, donc une toute petite partie du monde, de l'humanité et en grande part, les Européens. Son assise, sa diffusion rencontrent mille difficultés et ne sont jamais générales; l'inventivité humaine a d'autre part, servi à combattre et asservir les uns pour grandir les autres; dans ce processus de domination, inextricablement mêlé à la nature humaine, la diffusion de certaines techniques, inventions, trouvailles mêmes étaient assurées à une plus grande échelle (les Romains devenant de bons marins à l'école des Puniques)... à quelque bout que l'on prenne la "théorie du progrès" rendue à sa forme anthropologique et historique simple, on se heurte à un sectionnement spatial, temporel, ethnique, culturel, militaire, administratif etc... qui ne forme pas au bout du compte "l'humanité" rêvée des "progressistes" mais une humanité dont le vrai visage révèle une tendance à l'éclatement, la division sans fin et le conflit (polemos 6). 


(1) L. Jospin a raté quelque chose en disant, en 1999: "Nous ne sommes pas des libéraux... Nous ne sommes pas non plus des sociaux-libéraux... Nous sommes des socialistes et des démocrates, des sociaux-démocrates." L'Hebdo des socialistes, 15 oct. 1999. De fait, le PS devenait au fil du temps et de son passage au gouvernement, mondialo-libéral. Rosanvallon parle empiriquement de social-libéralisme; c'est la même chose. Mais il ne fait pas exactement le lien entre le "mondialisme" ou euro-souverainisme de l'UE et l'écartèlement de la gauche entre ses discours abscons de maîtrise du "néo-libéralisme" et sa soumission, de fait, à cette emprise.

(2) M. Winock, le Siècle des intellectuels (1997). On ne voit pas très bien à quoi d'autre pourrait être adossée une telle théorie; si l'on consent à perpétuer l'idée que l'homme progresse continuellement parce qu'il a des ressources universalisables, on est fatalement amené à y voir un destin, une finalité puis un but politique. Dans tous les cas, l'histoire est un instrument.

(3) Edgar A. Poe, cité par Baudelaire, dans PA. Taguieff, du Progrès (2001)

(4) Baudelaire, "Edgard Poe, sa vie et ses oeuvres" (1855) dans Oeuvres complètes; cité par PA. Taguieff.

(5) Quand G. Koenig considère: "Pour ma part, je me sens tout à la fois français (de nationalité et surtout de langue), londonien  (la ville où je vis avec ma famille), normand (d'origine), athée (de conviction), orthodoxe roumain (par mon mariage) etc. Aucune de ces tribus ne revendique de prééminence...", et philosophe sur la diffraction supposée bénéfique du moi, P. Rosanvallon se contente lui d'une constatation de nature sociologique.

(6) Sans une idéologie forte et conséquente (voire conquérante), aucune de ces parties ne peut l'emporter naturellement, du seul fait de son génie anthropologique... seule l'idéologie humano-techniciste avait inventé la notion fausse que les progrès, dans les différents domaines, se fécondaient les uns les autres: "La nature seule n'a mis aucun terme à nos espérances", disait Condorcet. "Il est clair que, dès ses premières élaborations au XVIIe siècle, l'idée de progrès enveloppe des références à l'accroissement du savoir, à l'augmentation du pouvoir humain, à la marche vers le bonheur ainsi qu'à l'amélioration des dispositions morales." PA. Taguieff

jeudi 26 septembre 2024

Notre histoire intellectuelle et politique (3)


 J. Derrida (1930-2004), prophète d'un avenir sombre, destructeur, d'un principe "indifférent au contenu" mais actif

    Les socialistes abandonneront ainsi leur programme dépassé dès l'origine, sans abandonner complètement leurs références marxistes et révolutionnaires pour passer au culte de "l'Europe". (1) On arrive désormais à cet engourdissement des années 1980 dont parle Rosanvallon, cette modernité molle déterminant les consciences, dessinant des contours négatifs à l'idée du Progrès. "Le principal est que l'Europe avance", écrivait Fr. Mitterrand dans sa lettre de campagne de 1988 avant de dresser le drapeau bleu étoilé aux côtés du drapeau national lors des voeux du 31 décembre. Face au développement du national-populisme ou national-souverainisme, traité par l'auteur, (2) le centro-centrisme européiste, tel qu'il s'est peu à peu constitué, sorte de trou noir des partis majoritaires ("l'UMPS" en son temps), se contentait de la "vision minimaliste et purement négative d'une Europe-sauvegarde dont la décomposition serait considérée comme génératrice de chaos." C'était déjà vrai avec Fr. Mitterrand ou J. Delors qui fourbissaient alors au profit de l'UE force arguments virtualo-économiques, ça l'est encore plus depuis 2017: Emm. Macron, littéraire lui aussi, se fit non-seulement élire avec des slogans complètement niais mais dès l'origine, il bénéficia de l'habitude du rejet automatisé du camp national, censé représenter l'effondrement total, le chaos général dans un monde désormais "ouvert", rejet doublé par l'attitude de Mar. Le Pen, encore arc-boutée contre l'UE et l'euro à l'époque, dans la manière philippiste. 

    Dans cette "démocratie négative" devenue systématique, la gauche s'est engouffrée, soutenant mordicus le parti euro-libéral dont elle est partie mais qu'elle combat à la fois en le fantasmant. La gauche de cette période défendit donc partout un manque ou un rejet de l'identité, n'en ayant pas elle-même. (3)

    Cette évolution qui traduit la perdition des valeurs de progrès (ou de gauche) a été traitée brillamment et profondément par PA. Taguieff mais pas directement par Rosanvallon. Celui-ci, dans un chapitre original, à tonalité littéraire,  s'étend sur une "mélancolie de gauche", fin des années 1980 dans laquelle apparaît la figure de Walter Benjamin, critique littéraire et esthétique, philosophe dont le vague à l'âme, à travers sept décennies, rejoignait celui de notre auteur: "il suffit parfois d'un mot ou d'une expression pour saisir quelque chose que l'on ressent immédiatement comme essentiel" note alors Rosanvallon pour qui, à l'époque, je suppose, "l'idée de progrès avait dorénavant déserté le monde", à peu près comme pour Benjamin au sortir de la Première guerre mondiale, "écartelé qu'il était entre les promesses du matérialisme historique auquel il aurait adhéré et un désir de fidélité aux figures plus traditionnelles du messianisme juif." (4) J. Derrida eut une autre formule peut-être pour exprimer un certain désenchantement propre à la gauche en cette période: "un monde sorti de ses gonds", empruntée à Shakespeare ("A time out of joint"), "dans lequel le renversement du nouvel ordre des choses apparaît hors de portée", poursuit Rosanvallon. Par ailleurs, "...la question travaillée dans ce texte par Derrida est celle des conditions d'une fidélité contemporaine à Marx": (5) on voit très bien alors ce qui séduit notre auteur, ancien militant de l'autogestion à la CFDT et marxiste certes mais défendant une "méthode critique ouverte", marxiste libertaire ou individualiste si je ne m'abuse.

    Il me souvient cependant que M. Onfray avait assez plus ou moins parlé de Derrida. (6) A travers le structuralisme des années 1960, terme barbare en soi, l'Idée précédait la réalité, l'essence surplombait le phénomène, un charabia abscons remplaçait tout discours humanisé donc fragile. "La vérité du monde était moins dans le monde  que dans le texte qui disait le monde" écrivait-il dans Cosmos. "La pensée occidentale dominante est souvent réaliste à défaut d'être réellement réaliste" ou, plus simplement: "Le réel n'a pas eu lieu" pour ces philosophes rive gauche et Californie. (7)

    Je ne peux s'empêcher de penser qu'à gauche, tout au moins, la négativité est productive. Dans ces conférences, J. Derrida "invitait à ne pas rompre avec la promesse révolutionnaire qui la structurait (l'oeuvre de Marx)", et, rompant avec la forme traditionnelle de l'utopie, parlait d'une "espérance messianique absolument indéterminée en son coeur", un "concept étrange" d'un "messianisme sans contenu" ou d'une "indifférence au contenu". Voilà qui sonne comme étrangement commun à notre époque. "Un messianisme sans contenu..." Dans ces moroses années 1990, l'homme n'était-il pas prophétique?  Qu'a réalisé la gauche en France, sinon exactement ce programme du vague et de l'éthéré par la méthode d'une déconstruction acharnée? Le messianisme a survécu mais sans but, attaquant tout sans raison, par  jouissance de détruire mais toujours, du reste, dans l'illusion de la vieille rhétorique émancipatrice. Un contenant sans contenu. (8) 

A suivre

(1) Mieux vaudrait-il dire en tous les cas: la CEE puis l'UE (1er janvier 1993).

(2) Il faut faire la différence entre souverainistes, arc-boutés sur les problèmes de l'UE, sur la souveraineté pure, en général pas favorables même à une remise en cause de l'immigration extra-européenne, et nationalistes, chez qui le problème identitaire est premier.  Depuis 2007, Nic. Dupont-Aignan a ajouté à son souverainisme républicaniste une dose de nationalisme, Fr. Asselineau est resté purement un souverainiste universaliste, constituant une sorte de secte internet sans relais réel; ses ambitions sont immenses: dans la manière, c'est l'anti Dupont-Aignan, sans racines, pérorant sur des problèmes abstraits. De son côté, la diva Philippot, détaché du RN en 2017 qu'il avait contribué à orienter, cumule, sans succès électoral non plus, les interventions militantes sur la base de la "liberté". JM. Le Pen n'a, quant à lui, depuis 2011 et même 2007, pas encore trouvé de successeur bien qu'il y ait de nombreux nationalistes militants.

(3) A la présidentielle de 2017, le PS faisait 6,4% au premier tour, avec Hamon, à celle de 2022, 1,8% avec Hidalgo. Bien que battu en 2017 au premier tour, l'UMP fut plus long à s'effondrer: 4,8% en 2022 avec Pécresse.

(4) Cette mélancolie concerne "des milieux intellectuels d'extrême-gauche" mais pouvait alors être plus diffuse.

(5) Spectres de Marx (1993), conférences données en Californie.

(6) Dans Cosmos (2015) puis Décadence (2017).

(7) M. Onfray parle du réalisme d'origine platonicienne, terme curieux, en effet, issu du Moyen-âge, puisqu'il évacue l'idée de la réalité pour lui préférer un monde idéal, qu'il nomme, lui, réel. Le réalisme (ou idéalisme) est donc le courant philosophique de ceux qui idéalisent complètement le monde en en séparant et dépréciant un bas-monde, sensible et empirique. Toute l'oeuvre d'Onfray quasiment est une critique de l'idéalisme, un refus radical du transcendantalisme tandis que la civilisation occidentale serait une sorte de "surenchère métaphorique".

(8) C'est certes le nihilisme millénariste dont parle encore Onfray. Le problème de celui-ci dans Décadence, c'est qu'il néantise (moralement) autant le christianisme que la décadence du christianisme (structuralisme par exemple) et ne sait sur quel pied danser. Au final, il oppose ce qu'il considère comme des fictions.

lundi 16 septembre 2024

Notre histoire intellectuelle et politique (2)

 


M. Rocard (1930-2016), Premier ministre de Fr. Mitterrand suite à sa réélection de 1988: "il refusera de franchir le Rubicon et d'affronter Mitterrand..."

    Notre histoire intellectuelle et politique peut se lire en effet, comme une suite au Siècle des intellectuels de Winock (1997), qui se termine précisément à l'orée des années 1980. "Curieusement donc, la progression politique de la gauche, couronnée par sa victoire de 1981, coïncidait avec le retour en force des idées de droite", écrivait Winock. Et Rosanvallon: "En ce début des années 1980, les ambitions respectives des nouveaux économistes et de la nouvelle droite avaient finalement échoué à opérer le retournement d'hégémonie qu'ils avaient projeté." (1) Il y a raccord mais pas accord puisque ce dernier reste "l'intellectuel organique" de la deuxième gauche et non un historien attaché autant aux personnages qu'aux idées comme M. Winock. Certes, il cherche le temps long mais revient toujours à son leitmotiv des années 1970, le "militantisme associatif ou syndical,  qui vise à des actions concrètes". (2) Son point de vue (d'historien-sociologue) reste donc toujours déterminé par l'opposition entre (petite) gauche et (grande) gauche, entre gauche intellectuelle et gauche d'appareil, de pouvoir, avant même les oppositions externes. Il n'en est que plus captivant.

    Aussi pour Rosanvallon une rupture graduelle et profonde se produit-elle à la jonction des années 1980 et suivantes: "jusqu'au début des années 1990, l'Europe participait par ces petites touches d'un quotidien positif." (3) - "Tout s'était passé comme si s'était formée une bulle spéculative d'espérance... J'avais alors compris qu'elle finirait mécaniquement par éclater. Ce qui ne s'est en fait opéré que sous la forme moins perceptible d'un dégonflement progressif, engendrant un scepticisme puis un ressentiment croissant qui se manifesteront pour la première fois avec éclat en 1992..." -  "Nourri par le désarroi citoyen et un sentiment de défiance croissante vis-à-vis de la capacité des partis de changer l'ordre existant des choses, l'intervention populaire s'est du même coup de plus en plus manifestée sous les espèces d'une souveraineté d'empêchement. C'est ainsi au début des années 1990 que j'ai commencé à parler de "démocratie négative."

    Très intéressant est le reproche méthodique qu'adresse P. Rosanvallon à la gauche socialiste au tournant de l'année 1983. "Pouvait-on en sortir et poser autrement la question?" juge t-il. Les socialistes n'ont alors pas assumé "la signification réelle de la cure d'austérité" décidée après une longue tergiversation mitterrandienne. A aucun moment, il n'y eut de vision associée à cette étape (qui, cependant, n'avait pas été prévue). "En fait, la gauche au pouvoir ne s'est pas expliquée, pour ne pas avoir à invalider le cadre mental qui était le sien. Elle a ainsi (...) abandonné des pans entiers de son programme sans un mot, pourrait-on dire..." - "Elle n'a pas su élaborer la distinction entre durer et gérer...", et "pas pu ou voulu devenir une véritable gauche de gouvernement", se muant "en simple gestionnaire de situations objectives." Evidemment, Rosanvallon, en rocardien, attaque le coeur de la mythologie mitterando-socialiste et sa geste empesée de "la rupture": en séparant celle-ci d'une "stratégie du changement social" qu'elle grevait sans la servir, à ses yeux, Fr. Mitterrand eut perdu son aura, mélange "d'habileté politicienne" et de "rhétorique de gauche". (4)

    Ainsi le réalisme de cette gauche critique s'oppose t-il au volontarisme verbeux (voire littéraire) du candidat socialiste. Mieux: Rosanvallon critique aussi la dérive de cette deuxième gauche dont il était partie, au sein de laquelle "la lucidité finissant par être cultivée en elle-même, sans plus être référée à des objectifs redessinés de transformation sociale et à une vision de l'avenir." Elle prit "les habits du jansénisme", oubliant " sa dimension d'utopie positive." Il eut fallu alors donner un sens "à l'idée de rupture avec le capitalisme." On voit ici en quelque sorte, la limite de l'exercice rosanvallonien; jamais comme Winock ne s'arrête t-il aux hommes, à leur humaine nature, me semble t-il. Les idées doivent se poursuivre et se concrétiser, tels des objets célestes, autonomes. Le problème, c'est qu'elles ne se concrétisent pas ou mal. Leur insertion dans le temps dépasse infiniment le coeur social de sa réflexion. Lui qui voudrait donner un sens précis, méthodique et pédagogique aux choses est dépassé par la situation philosophique de son sujet. Il est en définitive, beaucoup plus critique qu'historien.

A suivre.


(1) Nonobstant le retour de la droite en 1986 et 1993; il est vrai que celle-ci, chiraquienne ou orléaniste, est domestiquée et ne remet pas en cause, hormis une certaine dérégulation, les "acquis" socio-économiques de la gauche, peine de mort abolie, régularisations massives ou recours, là aussi massifs, à l'avortement.

(2) On pourrait dire que M. Winock est quant à lui, marqué par les luttes anciennes des républicains et libéraux, luttes livresques qu'il n'a pas connues, comme l'affaire Dreyfus. Cette distance même caractérise sa manière.

(3) Ca n'est pas ce qu'on voit, ou entend, dans le film Un monde sans pitié (E. Rochant, 1989), avec Hippolyte Girardot, justement parodié par les Inconnus. Film culte, paraît-il, il commence par une destruction en règle de tout horizon collectif pour la jeunesse. "Qu'est-ce qu'on a dans la vie?... les lendemains qui chantent, le grand marché européen? On n'a que dalle!"

(4) Les gouvernements socialistes ou sociaux-libéraux suivants achoppèrent eux aussi sur un non-dit caractérisé, un silence généralisé contredisant les vaniteuses promesses de départ: à vrai dire la même chose depuis 1997: l'afro-islamisation de la France ou babélisation ou subversion migratoire et leurs conséquences sécuritaire, judiciaire et sociale à proprement parler. La droite orléaniste de 2007 ne se saisit pas plus du problème, du reste, l'accentuant au contraire et glorifiant le "métissage". Les promesses dans ce cas sont la "société ouverte", "multiculturelle" (et heureuse), le développement économique à l'échelle de l'UE, la fluidité de l'emploi et des migrations, la survenue de l'être "anonyme et interchangeable" de M. Gauchet dans les classes supérieures et intermédiaires, salarié nomade "ouvert et tolérant": l'envers de la médaille: la communautarisation ethnique et religieuse, les menées islamiques à l'école, le retour de la guerre religieuse (djihad), la sur-délinquance chez les étrangers et immigrés, l'impotence de l'Etat à l'heure de sa marginalisation, le conformisme mondialiste à l'heure des médias hyper-concentrés... Mais Rosanvallon ne traite pas du problème, pas de façon ramassée en tous cas.