jeudi 19 janvier 2023

Le boumeur talentueux assassine une nouvelle fois Oswald

Belle reconstitution en images mais le fond, de la série comme du livre, est paresseux

Mon premier King ! J’ai toujours reculé cette échéance alors même que je m’intéressais systématiquement aux adaptations cinéma et télé tirées de King… J’ai pu faire la différence d’ailleurs entre les deux, œuvre originale et adaptation à propos de 22/11/63 : j’ai d’abord regardé la série, pas tout à fait en entier. Il y avait déjà le même problème que le livre : la forme supplantait le fond. L’assassinat de Kennedy n’était qu’un prétexte à une plongée fantastique dans le passé qui, au long de la série ou du récit, constitue le seul ressort narratif. La passé ne veut pas être changé… voilà ce que ressent le narrateur, Jake Epping devenu George Amberson, dans sa pérégrination fantastique de 2011 à 1958.

Il est vrai que Stephen King peut jouer de ce ressort pendant des centaines de pages. (1) Le talent, le souffle et même la minutie ne lui manquent pas pour colorer cette aventure. Il n’a pas son pareil pour rendre intéressant la destinée d’un type banal, jeune professeur d’anglais du Maine qui ne s’est jamais penché particulièrement sur la mort de Kennedy ou pour réinventer un passé qu’il a personnellement connu, dans ses détails. J'aime aussi les noms de ses écrivains préférés qu'il a égrenés au long du récit comme pour le ponctuer. J'aime moins la traduction en parler comaque, popu et haché pour épater le petit-bourgeois, ou encore la suppression de la négation en français, même dans la narration: comment a fait la traductrice alors que la suppression de la négation en anglais donne nécessairement une affirmation? Pour le reste, la mode des retours dans le passé est une mode pas bien originale (on la retrouve chez Diana Gabaldon et son Etranger ou "Outlander"). L'idée de changer le passé pour rendre meilleur l'avenir est une transposition du messianisme démocratique américain, qui a valu au monde jusqu'ici bien des guerres et des tourments...

    Mais le plus important est tout de même le fond et le fond est paresseux, conformiste, lâche, timoré, faible aux deux points de vue de la connaissance et de l'honnêteté. (2) Ce fond déprécié et négligé devait fatalement rattraper la forme: c'est chose faite page 630, au moment où George Amberson, le professeur d'anglais parachuté dans le passé pour éviter à Kennedy la mort, devait s'assurer un certain soir du 10 avril 1963, que c'est bien Lee H. Oswald qui tira en le ratant sur le général Ed. Walker, à Dallas, un furieux baron anti-communiste. Mais patatras et comme c'est commode! Amberson, qui devait surprendre Oswald en pleine action, se voit obliger de changer ses plans pour sauver le jolie bibliothécaire blonde de son coeur en danger de mort: l'ex-mari dégénéré a rappliqué au Texas. Jusqu'ici, King avait joué des ombres de cette affaire, se demandant parfois si Oswald était coupable; George Amberson menait un semblant d’enquête, avec ses moyens. La soirée du 10 avril devait l'affranchir pour de bon, ainsi que le lecteur par la même occasion.

    Après la page 630, l’ambiguïté disparaît et King fait dépérir son récit par deux artifices qui ajoutent à cette agonie narrative quelques 300 pages : l’hospitalisation et la convalescence de Sadie, la blonde défigurée puis le même doublet pour Amberson, tabassé presqu’à mort par le milieu de Dallas, qui en veut à ses paris un peu trop perspicaces ! De fin août à novembre 1963, le narrateur est un légume qui récupère peu à peu la mémoire : toute cette période hospitalière est donc bien pratique pour laisser filer le temps et abandonner toute idée d’enquête. Moralement, Oswald est déjà condamné. Autant se reporter aux conclusions faussées de la commission Warren.

    La vraie surprise et le véritable intérêt, eût été qu’Amberson, un contribuable quelconque, «un bébé dans les langes » question politique, fasse son apprentissage et découvre peu à peu une partie suffisamment inquiétante de l’envers du décor, celui établi par tous les salauds ayant eu la peau de Kennedy et d’Oswald. Le roman eût été alors un roman d’initiation, aussi troublant sur le plan narratif que passionnant intellectuellement et moralement, sans parler de la garantie d’une certaine honnêteté à la clé. (3) Mais non… cet immense roman est aussi plat intellectuellement et moralement que l’immense rapport de la commission Warren ou que l’immense soi-disant relation de l’évènement par William Manchester (Mort d’un Président, 1967), bourré de détails superficiels, mentor de King en cette histoire ; les trois ouvrages méprisent l’essentiel : les dizaines de témoignages indiquant l’origine de coups de feu depuis le talus herbeux, derrière une palissade blanche, la concordance de nombreux indices innocentant Oswald des deux meurtres qu’on lui impute, son interrogatoire de treize heures non-retranscrit, le rôle de celui-ci en tant qu’agent informateur du FBI, son rôle très trouble en URSS, le crime évidemment mandaté de Ruby, les fautes plus que coupables de la garde rapprochée du Président, le montage invraisemblable des mensonges officiels, les nombreuses négligences, confiscations et disparitions de preuves matérielles,  la haine viscérale des Kennedy chez les exilés cubains anti-castristes, chez les sudistes anti-communistes type Walker… tout ceci aurait pu constituer une matière fascinante, bien plus que le simple aller-retour dans le passé.

    Aveugle, St. King ne relève pas les grosses contradictions de l'affaire qu'il décrit pourtant: comment se fait-il qu'un "pauvre égaré" comme Oswald ait autant de facilité à rebondir? (4) Qu'il ne s'intéresse pourtant à aucun de ses travaux, passant de la reprographie spécialisée à la manutention de livres scolaires? Qu'un simple ouvrier américain instable mais parlant le russe, (5) voyage sans peine jusqu'en URSS en pleine guerre froide, n'ait aucun souci pour revenir même après ses déclarations et gesticulations proprement anti-américaines à l'ambassade? Qu'il fréquente à Dallas, le gratin russe en exil? "George de Mohrenschildt, un géologue pétrolier spéculant sur les concessions pétrolières. Un homme menant une vie de play-boy, principalement grâce à l'argent de sa femme. Comme Marina, c'était un exilé russe mais contrairement à elle, il venait d'une famille noble... C'était l'homme qui allait devenir le seul ami de Lee Oswald durant les quelques mois qui lui restaient à vivre." King ne voit pas la contradiction bien qu'il l'écrive. (6) Que viennent faire ensemble un "jeune Américain aigri qui (...) croyait passionnément en un système que ces gens d'une classe sociale supérieure avaient rejeté avec tout autant de passion"? La contradiction est dans une même phrase cette fois!

    Stephen King voulait faire un roman de science-fiction, sur la densité du temps perdu et retrouvé, pas un roman de politique-fiction. L’aspect moral du livre se contorsionne et se perd dans le bon sens pratique bonhomme qu’éprouve d’ordinaire l’Américain moyen: comment faire pour améliorer les choses ? C'est à ce sens racorni que s'est borné King, en négligeant du reste l'autre versant de l'âme américaine, l'idéalisme. 

(1) Stéphane Roy pour les puristes?

(2) Un écrivain n'est pas tenu de chercher et relater la vérité, certes...

(3) Certes, encore une fois, King expose ses raisons on pourrait presque dire de bonne fois, dans la postface. Le problème, c'est qu'elles sont nulles, superficielles, purement conformistes. Ruby aurait tué Oswald le dimanche 24 au matin uniquement parce qu'il se trouvait à côté du commissariat, envoyant de l'argent à l'une de ses danseuses. Tout serait dû finalement à un "effet papillon" ou simplement au hasard. De la même manière, il note lui-même que W. Manchester ne donna aucune raison sérieuse à l'agissement meurtrier supposé d'Oswald. Les deux abolissent la volonté des personnages, ils sont le jouet de forces inconscientes (façon de parler d'un complot qui se fait tout seul, comme la commission de la Chambre des Représentants en 1978). 

(4) King, autant que Manchester charge la barque d'Oswald: "ce hargneux petit fils de pute" est un raté, un louseur, un mari violent, "un homme déjà obsédé par la célébrité et mentalement instable", bien que rien n'indique qu'il ait désiré la célébrité, qu'au contraire, c'était un discret, un taiseux, il "avait le profil type d'une recrue des Services secrets: issu d'une famille de militaires, il était en plus discret et silencieux de nature, et d'une intelligence au-dessus de la moyenne." (Garrison) Manchester et King s'en tiennent, eux, à des présupposés bien minces.

(5) W. Manchester ne s'y trompe pas, cette fois: le russe d'Oswald était même meilleur que celui de Ruth Paine; c'est "la seule chose qu'il avait réussi à faire - apprendre le russe..." Le but de Paine toutefois était de séparer Oswald de sa femme, afin de l'isoler, le plonger dans l'inquiétude, le tourment, en faire la proie du complot en préparation. Manchester décrit la scène mais ne la comprend pas: "A la fin de septembre, Ruth alla chercher en voiture Marina et la petite June et les ramena au Texas. Le foyer de Lee Oswald était définitivement brisé. Il n'avait jamais possédé grand-chose; maintenant, il n'avait plus rien. Ce fut pour lui un moment critique et Ruth remarqua qu'il avait "l'air très sombre"...

(6) Sans aucune base réaliste et tout bon sens envolé, King va jusqu'à faire de de Mohrenschildt un héraut anti-raciste et anti-fasciste qui appelle fraternellement Oswald "camarade"! Bien que collant aux conclusions de la commission Warren, Manchester s'était démarqué des présupposés anti-communistes qui avaient grandement alimenté la presse, en faisant d'Oswald un être flasque, sans conviction arrêtée. King replonge carrément dans l'air et l'ire anti-communiste de l'époque et façonne à nouveau un Oswald aux convictions communistes sincères.

dimanche 15 janvier 2023

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (3)


    Le chapitre en question s'ouvre par une remise en cause parfaitement superficielle des "références très imprécises" des auteurs antiques à l'endroit de Jésus: les copies que nous possédons, puisqu' "effectuées quelques siècles après la prétendue crucifixion" seraient douteuses, fallacieuses, réécrites par des moines avides de marquer le triomphe postérieur de l'Eglise. Encore une fois, de façon générale et apriorique, M. Onfray impute à l'Eglise un comportement malin tous azimuts: de ce postulat malhonnête se sert-il pour découler ensuite quelques déductions habiles. Mais faudrait-il comprendre également qu'un texte authentique devrait remonter nécessairement à l'époque de sa première édition voire création? Il le faut comprendre car c'est explicité dans un chapitre ultérieur (Théocraties): "Dans tous les cas de figure, aucun des quatre évangélistes n'a connu, réellement, physiquement le Christ. (1) Dans le meilleur des cas, leur savoir relève du récit mythologique et fabuleux rapporté de manière orale puis transcrit un jour, entre les années 50 de l'ère commune (2) - les épîtres de Paul, et la fin du Ier siècle - l'Apocalypse. Pourtant, aucune copie des Evangiles n'existe avant la fin du IIe siècle ou le début du IIIe s. Nous datons l'oeil sur les prétendus faits, en croyant à priori ce que les textes racontent."

    Que dire alors des plus anciens manuscrits de Virgile, postérieurs de six siècles au poète, ou de ceux de Platon, postérieurs de treize siècles! Platon n'existerait-il pas? Un scribe habile l'aurait inventé pour manipuler le bon peuple? La passion anti-chrétienne d'Onfray repose bien souvent sur des bizarreries anti-logiques qu'il suffit alors de pousser à bout. Complètement absorbé par elle, il veut appliquer au Christ et au christianisme de fausses généralités qu'il ne prend pas la peine d'éprouver à d'autres sujets...

    Ensuite, Onfray réduit la non-existence de Jésus, déjà bien réduit, à la résistance à l'oppression romaine; ce symbole, cette idée n'est éventuellement qu'un nom qui devait advenir dans un contexte préétabli: "Jésus nomme le refus juif de la domination romaine." Il est stupéfiant de voir comment M. Onfray ne comprend rien à Jésus et tient précisément à n'en faire qu'un nom, un symbole, contrairement aux faits têtus, de l'histoire. (3) Jésus ne vient justement pas comme un énième chef politique auto-proclamé aux pouvoirs de thaumaturge et prend bien soin de séparer pouvoirs temporel et spirituel. Jamais il ne prit la tête d'un mouvement de contestation, malgré le succès, jamais il ne visa la domination romaine. "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu...", "Mon royaume n'est pas de ce monde...": comme si ces citations n'étaient pas archi connues, M. Onfray se plaît pourtant à les aveuglément ignorer.

    Sa démarche est proprement anti-historique, on pourrait dire nominaliste, vertueuse, psychologisante, féminine. Il traduit la mentalité de l'époque avant tout, celle d'une société susceptible en diable, drapée de l'auréole du faible et de l'incapable, surplombant les siècles, acharnée dans sa décadence à nettoyer le passé trop mâle de ses impuretés tout en proclamant l'absence d'absolu... M. Onfray ne se frotte pas à l'histoire mais en reste aux mots: c'est également le cas de la gauche avec la réalité.

    Finissons-en. "Quel est l' auteur de Jésus? Marc. L'évangéliste Marc, premier auteur du récit des aventures merveilleuses du nommé Jésus. Probable accompagnateur de Paul de Tarse dans son périple missionnaire. Marc rédige son texte vers 70. Rien ne prouve qu'il ait connu Jésus en personne, et pour cause! Une fréquentation franche et nette aurait été visible et lisible dans le texte. Mais on ne côtoie pas une fiction... Tout juste on la crédite d'une existence à la manière du spectateur de mirage dans le désert qui croit effectivement à la vérité et à la réalité de l'oasis aperçu dans la fournaise. L'évangéliste rapporte donc dans l'incandescence hystérique (!) de l'époque cette fiction dont il affirme toute la vérité, de bonne foi." 

    Ce paragraphe est d'abord probablement complètement faux historiquement. Engoncé dans sa bibliographie dépassée, ses certitudes, son ignorance de l'exégèse, M. Onfray suit "le modèle standard": "L'évangile de Marc, étant le plus court et contenant le moins de faits et de discours, serait le plus ancien. Il daterait des environs de l'an 70." JC. Petitfils le remet en cause, en synthétisant plusieurs recherches (qui ne sont pas exactement récentes) pour arriver à un nouvel échafaudage des Evangiles: c'est un proto-évangile araméen de Matthieu, , écrit au début des années 60, qui aurait irrigué les autres et lui-même, placés eux aussi à la même époque (de 62 à 64). En effet, si Jésus annonce la destruction du temple de Jérusalem, aucune référence à l'accomplissement de cette prophétie en 70 par les armées de Titus, n'apparaît dans les Evangiles: il est donc plus logique de situer tous les textes avant cette date. Luc, dans les Actes des apôtres, ne parle pas non plus de la mort de Pierre et de Paul, survenues en 65-67, pense t-on. (4)

    Les Evangiles furent écrits à peu près au même moment mais pas aux mêmes endroits ou pour les mêmes raisons; Là encore M. Onfray, qui ne fait aucune recherche historique fine et ne contextualise pas, passe à côté de l'élaboration de ces textes. Dans Marc, écrit pour un public romain, nous trouvons la description proprement pédagogique d'un rite juif, que les Romains ignorent: "Les pharisiens et tous les juifs ne mangent pas s'ils ne se sont pas lavés les mains jusqu'au coude, tenant la tradition des anciens; et ils ne mangent pas au retour de la place publique avant de s'être aspergés d'eau..." Matthieu, lui, reproduit le reproche adressé à Jésus par les pharisiens de ne pas se laver les mains avant de manger du pain mais ne commente pas le problème en question car l'auteur est alors un scribe syrien et son public syro-palestinien est familier du rite juif. Par la même occasion, on s'aperçoit que le récit de Marc, écrit en grec comme les autres, possède moins de tournures sémitisantes que Matthieu, est d'un grec plus poli; il est donc logique de le placer après Matthieu. Mais tout ça sans doute venait d'un coup de chaud attrapé dans quelque désert et le savoir de Marc relevait-il "du récit mythologique et fabuleux."

    Matérialiste, M. Onfray n'a fait aucune recherche de type réaliste sur le matériau des Evangiles parce qu'il les avait déconsidérés par avance. Ils forment précisément un mirage en bloc pour lui. (5) Il n'arrive pas alors à donner corps à un complot évangéliste, à sa propre fiction en fait: en ignorant la méthode rigoureuse de l'histoire, il suppose pour commencer que tout est faux dans les Evangiles, la vie de Jésus, et ensuite, fait mine de commenter avec quelque autorité littéraire ce qu'il a proprement dénaturé.

(1) C'est faux concernant Matthieu et Jean.

(2) M. Onfray s'amuse en effet, un peu à la manière révolutionnaire, à parler seulement de "notre ère" ou de "l'ère commune".

(3) JM. Salamito avait repéré cette façon de faire: d'abord postuler l'absence de réalité de Jésus (à travers l'art, par exemple), ensuite, la développer en ayant l'air savant. "Nous allons voir que Michel Onfray s'attaque à des moulins qu'il a lui-même bâtis, renverse des décors de théâtre qu'il a lui-même peints."

(4) On a déjà vu que des paragraphes entiers reposent sur des prémisses fausses chez M. Onfray: Paul aurait inventé l'eucharistie, aucun des évangélistes n'aurait connu le Christ, Marc à Rome serait le premier auteur des Evangiles vers 70 sans avoir parlé de Pierre, mort dans cette ville...

(5) "Les premiers chrétiens se retrouvaient chaque premier jour de la semaine pour recevoir le pain de l'eucharistie. Situés à l'intérieur de la tradition missionnaire, les récits oraux se sont élaborés en Eglise, dans le cadre du culte partagé... On a peu idée dans nos sociétés modernes de l'importance de la mémorisation de l'Ecriture dans le monde hébraïque, à savoir des chapitres ou des livres entiers (...) les premiers disciples de Jésus ont annoncé et enseigné la Bonne Nouvelle par la répétition continuelle de ses paroles et des actions, conservées selon le rythme caractéristique, les effets et les moyens mnémotechniques de la poésie hébraïque..." JC. Petitfils. Traduit par M. Onfray, cela donne: "leur savoir (aux évangélistes) relève du récit mythologique et fabuleux rapporté de manière orale."

samedi 24 décembre 2022

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (2)

    

Image du Mandylion, censé être l'image miraculeuse du visage du Christ sur un linge, probablement le suaire de Turin (icône du Xe siècle, monastère sainte-Catherine, Sinaï)

    M. Onfray est un libérateur: autant dire un imposteur. "Mais nous ne confondons pas non plus l'idée d'intérêt privé avec celle de bonheur: c'est là un autre point de vue qu'on rencontre fréquemment; les femmes de harem ne sont-elles pas plus heureuses qu'une électrice? La ménagère n'est-elle pas plus heureuse que l'ouvrière? (...) Il n'y a aucune possibilité de mesurer le bonheur d'autrui et il est toujours facile de lui déclarer heureuse la situation que l'on veut lui imposer." Divine Simone de Beauvoir, qui écrivait là, dans le Deuxième Sexe (1949), quelque chose de vrai et profond qu'elle n'a jamais respecté! Tous les libérateurs, inspirés du libéralisme et des idées générales, de Voltaire et Rousseau à A. Soral voire le piteux Jean Robin, ont voulu imposer aux autres une situation qu'ils imaginaient parfaite dans sa généralité, dans son abstraction. (1) Tous les libérateurs s'inspirant des "immortels principes" de 1789 et plus loin, des idées philosophiques en vogue dans ce siècle, sont des imposteurs. (2)

    Un certain nombre de lecteurs ont bien vu que ce livre n'était aucunement un traité positif mais un pamphlet, encore une fois. M. Onfray est incapable de sortir de sa négativité et de proposer, comme il dit, quelque chose. Son dada féroce est l'anti-christianisme: il n'en sort pas. "Déjà coupables de croire en un Jésus mythique, d'écouter un apôtre névrosé, d'être antisémites, d'avoir éclipsé la philosophie et de détester la vie, les chrétiens de l'Antiquité, toujours pris en bloc, sans la moindre nuance, sont aussi accusés d'avoir, tels les Vandales, usé de violence partout où ils passaient", comme le résume Jean-Marie Salamito, professeur d'histoire du christianisme antique à la Sorbonne, qui répondit ainsi au vert pamphlet Décadence d'Onfray par un manuel vif et succint. (3) Les faiblesses, ficelles et procédés douteux voire grossiers d'Onfray y sont exposés méthodiquement: bibliographie dépassée, contournement du sujet (évangiles apocryphes contre Evangiles canoniques), conception délirante: l'art chrétien comme soi-disant paravent à l'inexistence de Jésus(4) superficialité et trivialité de la démarche, particulièrement en ce qui concerne les corporalité et matérialité de Jésus, (5) négation de personnage (Marie, Jean-Baptiste, différentes sectes juives), invention de personnage (saint Athanase Memorandum), spéculation gratuite (Miltiade le Sophiste et Apollinaire de Hiérapolis dont Eusèbe cite seulement le titre d'un ouvrage, le même, qu'on peut traduire par Aux Juifs ou Contre les Juifs, seraient évidemment, de purs cornichons antisémites), confusion entretenue entre antijudaïsme et antisémitisme, connaissances dépassées ou confuses (Nazareth serait le village natal de Jésus; Paul aurait inventé l'eucharistie!)... le chapitre sur Paul est particulièrement gratiné et: "Si notre auteur s'évertue à décrire Paul comme un être physiquement et psychologiquement disgracié,  c'est pour mieux le désigner comme le grand responsable de tout ce qui, à ses yeux, rend le christianisme détestable"; (6) on pourra trouver encore des considérations de médicastre vaseux, (7) de psychologue en pantoufles (Paul le névrosé névrose le monde),  mais aussi des mathématiques théologales débiloïdes (8) etc... à n'en plus finir. Celui qui veut contrer Onfray se voit forcé de faire une liste interminable à la Michel Onfray!

    Bref, tout le catalogue des attaques d'Onfray contre le christianisme constitue le vade-mecum du militant "gaucho-progressiste" contemporain, (9) avec le systématisme, la hargne et la pointe d'hystérie qui conviennent: toute l'histoire est alors revue à l'aune des féminisme, sémitophilie, pacifisme et anti-autoritarisme débridés et exaltés propres à la gauche.  Dans ce livre, Décadence, que je lus d'abord, Onfray promettait à rebours qu'il avait dans un traité d'athéologie, "précisé les détails (...) sur l'invention de Jésus." Mais il ne se donna pas la peine de démontrer quoi que ce soit: il n'a que des affirmations, assertions péremptoires basées sur des concepts assez vaseux ou inopérants tels que la "pulsion de mort", la "haine", la "névrose", "l'hystérie cristallisée": ce jargon pseudo-psychanalysant situe M. Onfray au niveau d'une banalité militante assez affligeante. Dans le chapitre "La construction de Jésus", après avoir nié en deux paragraphes tout ce qui peut concerner le passage terrestre de Jésus-Christ, (10) il déroule en fait ce qu'il déroulera en plus grand dans Décadence, à savoir le nouveau catéchisme anti-chrétien façon M. Onfray. Le présupposé emporte tout:  le christianisme est une association de malfaiteurs. "On comprend dès lors que les documents existants relèvent la plupart de faux habilement exécutés." Des copistes, "sectateurs zélés du Christ", à la suite du remplacement du papyrus par le parchemin, auraient ainsi fait "des choix entre les documents à sauver et ceux qu'on renvoie au néant" et établi "des éditions d'auteurs antiques dans lesquels on ajoute ce qui fait défaut, en regard de la considération rétrospective des vainqueurs..."

    Soit, ceci est probablement vrai par exemple pour le texte de Flavius Josèphe (Antiquités juives, années 90) citant Jésus ("A cette époque vécut Jésus, un homme exceptionnel/sage..."). Mais ça n'est là qu'une considération formelle. Aussi bien JM. Salamito que JC. Petitfils donnent le texte dans une version exégétique, dans laquelle on reconnaît des passages ajoutés. Une fois retranchés, ces passages donnent un texte plus clair qui ne perd rien de sa qualité historique, au contraire: Jésus est nommé, c'est un homme exceptionnel et "quand Pilate, sur une accusation des hommes les plus hauts placés parmi nous (ou: de nos premiers citoyens), l'eut condamné à la croix..." Il y a donc trois personnages nommés: Jésus, Pilate et le Sanhédrin, naturellement connus par le seul historien juif du Ier siècle. Voilà: on peut être copiste au IIIe siècle, faire des ajouts tout en gardant le texte initial... De plus, sM. Onfray avait lu un historien solide comme JC. Petitfils, il eût appris alors que la version initiale de Flavius Josèphe se retrouvait, à peu de choses près, dans le texte d'un historien arabe et chrétien du Xe siècle. N'importe, M. Onfray ira jusqu'à prétendre, de façon apriorique là aussi, que des copistes de bonne foi ont alors inféré l'existence de Jésus dans les textes de Tacite ou de Suétone! Rien n'arrête ce furieux dans le mode hypothétique...


(1) "Le bonheur est une idée neuve en Europe", déclarait pour sa part à la tribune de la Convention Saint-Just, le 3 mars 1794, quelques mois, lui aussi, avant de passer sur la planche... "rendre le peuple heureux", "pour l'avantage de l'humanité", "Que l'Europe apprenne que vous ne voulez plus un malheureux ni un oppresseur sur le territoire français", "que cet exemple (...) y propage l'amour des vertus et le bonheur": ce bouillant jeune homme de 26 ans n'avait qu'une rhétorique vertueuse à la bouche tout en animant la tyrannie comitarde la plus implacable.

(2) On a fait des livres plaisants citant pour les moquer de nombreuses prévisions infondées de râleurs, pleurnicheurs et autres conservateurs catastrophistes devant le progrès; à la crise écologique cependant qui dure depuis les années 1970, devenue évidente et même angoissante dans les jeunes générations, bilan de 240 ans environ de "révolution industrielle" a succédé la crise politique du régime moderne, depuis notamment l'assassinat de Kennedy (1963), dans laquelle perce de plus en plus la critique des idées abstraites et celle du système représentatif, qui lui, s'étire sur près de 250 ans.

(3) Monsieur Onfray au pays des mythes, parut juste après Décadence, en 2017.

(4) "Mais aucun croyant ne fonde l'historicité de Jésus sur des fresques médiévales ou des statues baroques", réplique Salamito.

(5) Deux sommets drolatiques de Décadence sont atteints lorsque d'une part, M. Onfray estime que Jésus n'ayant dans la littérature qui le concerne, ni uriné ni déféqué une seule fois, il ne faut pas croire à son passage terrestre; d'autre part, en vient à considérer que puisque les Evangiles ne se lisent pas comme un guide gastronomique palestinien, il faut là encore nier l'existence du "symbole", de la "fiction".

(6) Onfray eut pu critiquer l'aspect universaliste que donna Paul au christianisme et y voir une forme d'abus sémantique du message christique mais ça n'est pas ce qu'il fait.

(7) "Comment le docteur Onfray parvient-il à diagnostiquer chez l'apôtre "une impuissance sexuelle avec turgescence impossible?" 

(8) "L'Eglise est pour lui le corps qu'il n'a pas eu; c'est aussi le corps que Jésus n'eût pas (...) Un faux corps plus un corps débile, cela donne un corps mystique, celui de l'Eglise qui est communauté. L'Eucharistie est le lieu de cette transmutation des corps épars en un corps mystique." M. Onfray s'avère incapable de comprendre la religion (chrétienne) autrement qu'avec un jargonnage pseudo-psychanalysant sans patient...

(9) Expression savoureuse de Jean Messiha.

(10) "L'existence de Jésus n'est aucunement avérée historiquement": par une douzaine de textes quasi contemporains (années 50 et 60), si, compilés dans le Nouveau Testament. M. Onfray veut négliger l'apport historique de ces textes mais ne construit en contrepartie aucune thèse solide. "Une pièce de tissu dont la datation au carbone XIV témoigne qu'il date du XIIIe siècle de notre ère et dont seul un miracle aurait pu faire qu'il enveloppe le corps du Christ plus de mille ans avant le cadavre putatif!" Tu l'as dit, bouffi! Comment le linceul de Turin, une image plane anatomiquement exacte, relatant de face et de dos exactement le supplice d'un crucifié, sur laquelle on n'a trouvé ni contour, ni trace de pinceau, ni pigment coloré, pas d'effet directionnel, serait-elle une simple copie? "L'image - à peu près tous les chercheurs sont d'accord sur ce point - s'est produite par émanation à distance, par projection orthogonale, faisant disparaître tout aspect latéral", dit Jean-Christian Petitfils (Jésus, 2011), qui a lu les exégètes sur le sujet, au contraire d'Onfray. Les tests au carbone XIV, de 1988, ont été dépassés depuis.

Le Mandylion offert au roi Abgar V d'Edesse, censé être l'impression miraculeuse du visage du Christ vivant sur un linge; icône du Xe siècle, monastère sainte-Catherine, Sinaï. Le Mandylion était probablement le suaire de Turin, transporté dès le Ier siècle à Edesse, caché dans une niche de la porte de l'Ouest puis vénéré dans l'église Hagia sophia comme icône. Il fut transporté à Constantinople en 944.

dimanche 11 décembre 2022

Traité d'athéologie: bréviaire pour bobos incultes (1)

  


    Michel Onfray est partout, se répand partout; Amazon fait sa publicité sur le nombre de traductions dont il bénéficie, sur une ouèbe télé mise en place par l'auteur qui, il est vrai, n'a jamais écrit sur le silence, la discrétion, l'oubli, la lecture, la méditation, des choses qui me semblent aller comme un gant au philosophe. Mais il eut écrit sur ces choses qu'il ne les aurait pas pratiquées. Ses lectures personnelles sont publiques; à chaque livre ou presque, il ajoute une bibliographie commentée, poursuivant de fait le livre, généralement (trop) long. Il y a encore sa revue. M. Onfray écrit comme il parle, parle comme il écrit; c'est un robinet, un puits, une onde permanente, un train fou. Il veut être présent dans la philosophie, dans les médias, la presse, lors les campagnes électorales. Il donne désormais son avis sur tout, sur rien. A t-il même du temps pour lui, pour réellement penser et pratiquer ce qu'il dit choisir et aimer? Comment être cynique aujourd'hui, au sens antique, d'ailleurs? M. Onfray vit-il en épicurien, cherchant le plaisir limité? La gloire, l'influence n'étaient-elles pas rejetées par l'école du Jardin? Dans Sagesse, il n'a répondu à rien, par rapport à lui-même, par rapport aux autres pensées qu'il a défiées. (1) Tout est toujours en chantier avec lui. Il est devenu une fantasmagorie politico-médiatique à travers laquelle se lit l'insatisfaction fondamentale du soi-disant philosophe hédoniste. Alors, heureux de vivre en molécule (envahissante) parmi les molécules?

    J'aime lire M. Onfray mais je m'aperçois qu'il est creux parfois, qu'il ne creuse pas son sujet, qu'il suit une ligne schématisée (dans l'histoire, particulièrement), qu'il revient sans arrêt aux mêmes rengaines (l'anti-christianisme), qu'il commet des erreurs grossières, qu'il refuse la contextualisation, partant qu'il en reste à la littéralité textuelle, qu'il ne philosophe pas, qu'il est malhonnête quant à ses propres défis... Sa mauvaise foi, particulièrement à l'endroit du christianisme, sa superficialité, sa prétention universaliste, son rationalisme anachronique, son schématisme idéologique, son vain désir de gloire populaire campent le personnage autant que sa curiosité illimitée, sa capacité pédagogique, ses éclats de lucidité (sur la philosophie contemporaine particulièrement). Il y a un (autre) sujet qui a échappé encore à M. Onfray, lui qui voudrait tout dire et tout embrasser, c'est celui de son propre phénomène, intellectuel, éditorial, médiatique. Il ne le maîtrise pas, lui qui croit qu'avec la raison, on atteint à la maîtrise de la vie ou de la société...

    En lisant le Traité d'athéologie (2005), je me rendis compte d'une chose simple: M. Onfray est un rationaliste dans le genre bête et méchant comme on n'en fait plus. Exactement comme ces bourgeois libéraux du XVIIIe siècle, ces "philosophes", il croit à l'avènement de l'âge de raison, à la supériorité de la raison sur le reste (sans démonstration, en pure affirmation) et se met dans la poche, en toute affirmation là aussi, l'intelligence, le réel, l'attrait des livres, l'amour du prochain et des femmes, la tolérance et tutti quanti contre la méchanceté et l'obscurantisme purs et simples: le monothéisme. D'un côté le matérialisme hédoniste: le bonheur pour tous (pour soi?); de l'autre, l'idéalisme (platonicien, judéo-chrétien, kantien) qui suppose un au-delà de la physique: attention, danger de retomber en enfance, de croire à des fables! donc de ne pas affronter la mort avec le seul sens tragique qui convienne...

    Certes, le sens tragique manquait à tous ces benêts libéraux illuminés ou à leurs exécutants: ce n'est pas le moindre mérite de la Révolution de le leur avoir rappelé: Condorcet, ce "niais cultivé", poursuivi par ses pairs, dut se résoudre au suicide en prison au lieu de périr par l'échafaud (1794). (2) M. Onfray ne met-il pas pour autant ses pas dans ceux de ces illuminés, complètement fascinés par la seule raison, tant du point de vue individuel que collectif? "La crédulité des hommes dépasse ce qu'on imagine... Plutôt des fables, des fictions, des mythes, des histoires pour enfants, que d'assister au dévoilement de la cruauté du réel qui contraint à supporter l'évidence tragique du monde (...) Car de l'angoisse existentielle personnelle à la gestion du corps et de l'âme d'autrui, il existe un monde dans lequel s'activent, embusqués, les profiteurs de cette misère spirituelle et mentale. Détourner la pulsion de mort qui les travaille sur la totalité du monde ne sauve pas le tourmenté et ne change rien à sa misère, mais contamine l'univers... L'empire pathologique de la pulsion de mort ne se soigne pas avec un épandage chaotique et magique, mais par un travail philosophique sur soi (...) Non pas la foi, la croyance, les fables mais la raison, la réflexion correctement conduite. L'obscurantisme, cet humus des religions, se combat avec la tradition rationaliste occidentale." Et plus loin, de façon plus claire: "D'où un retour à l'esprit des Lumières qui donnent leur nom au XVIIIe siècle." En quelques phrases, nous ne trouvons que des affirmations orgueilleuses qui étaient celles des Lumières, abâtardies lointainement chez le jeune gauchiste à barbichette: 

-la raison (ou la science) s'oppose supérieurement à la croyance (autrefois: la superstition); celle-ci est fatalement une aliénation personnelle ainsi qu'une institution injuste et rétrograde; il faut s'affranchir du passé et de la tradition. (3) 

    Nouveauté onfrayenne post-freudienne: le sentiment religieux serait issu d'une "pulsion de mort"... là aussi devenue depuis longtemps une idée gauchiste toute faite: "le croyant a peur de la mort". (4) "Tant que les hommes auront à mourir, une partie d'entre eux ne pourra soutenir cette idée et inventera des subterfuges", dit de façon plus élégante par Onfray. "La terreur devant le néant, l'incapacité à intégrer la mort comme un processus naturel, avec lequel il faut composer (...), mais également le déni, l'absence de sens en dehors de celui qu'on donne, l'absurdité a priori, voilà les faisceaux généalogiques du divin." La terreur devant le néant n'a, à ma connaissance, pas habité l'homme avant le XIXe siècle; à l'inverse, toutes les sociétés d'avant l'ère industrielle "intégraient la mort comme un processus naturel" (voir la mortalité infantile élevée, par exemple). On peut évidemment faire comme Onfray ou les philosophes du XVIIIe et postuler un homme pur, nu, le bon sauvage, non contaminé par la civilisation...

    Je souligne que M. Onfray qui ne croit pas à la "fable" de l'existence de Jésus, gobe par contre sans sourciller la version officielle des attentats du 11 septembre; il évoque cet évènement à plusieurs reprises pour souligner, lui, l'hétérogénéité incohérente de l'islam. (5) Et la fable de la balle magique, traversant Kennedy et lui remontant par la gorge avant de toucher encore deux, trois fois le sénateur installé par devant, y croit-il?

    Le raisonneur n'est pas plus raisonnant que les autres. Ca fait un moment qu'on le sait ou qu'on s'en doute. Qui pourrait se prévaloir de la seule raison, qui pourrait nier, négliger les élans du coeur depuis Rousseau, Hugo ou Lamartine, l'imagination, l'intuition, les instincts comme composant l'humanité? Qui pourrait nier depuis cette époque "naïve et niaise" l'apport de l'inconscient, l'insuffisance dramatique et même la fausseté de la raison comme boussole collective, la contradiction factuelle de tous les plans sur la comète de la raison? M. Onfray peut-être pour qui seul le croyant est "naïf et niais" et qui voudrait recommencer le plan des Lumières tracé par Kant: "On peut et l'on doit souscrire au projet, toujours d'actualité: sortir les hommes de leur minorité; donc vouloir les moyens de réaliser leur majorité... avoir le courage de se servir de son entendement; se donner et donner aux autres, les moyens d'accéder à la maîtrise de soi; faire un usage public et communautaire de sa raison dans tous les domaines..."; (6) majorité, raison, maîtrise de soi: de belles chimères au même titre qu'autrefois: la science, les lumières, la liberté, l'égalité, la souveraineté, tout de suite démenties dans le sang des passions révolutionnaires, l'intérêt des Etats et des nations, la croissance terrifiante des moyens de destruction, l'accaparement de la "démocratie" et de la chose publique par des factions, des comités, la technocratie, la médiacratie, l'anonymat terrible du citoyen à la merci du développement bureaucratique de l'Etat qui donna la société totalitaire... Mais, pour Onfray, chose bien commode, le nazisme, obsession immature chez lui, procède quasi directement du catholicisme et même de saint Jean! Le lien n'est donc probablement pas très clair chez le nouvel agité du bocal entre les proclamations prométhéennes des Lumières et ses différentes étapes pratiques, toutes au service d'un nouvel homme pourtant, enfin libéré de toutes les traditions du passé... (7)


(1) Il est vrai que, dans cet ouvrage, Epicure en prend pour son grade, tant M. Onfray, criticologue-né et anti-tout, ne peut s'empêcher de frapper cette soi-disant idole.

(2) "Voici Condorcet, qui voit l'esprit humain s'avançant, d'un pas ferme, dans la route de la vérité, de la vertu, du bonheur, vers une époque, où il n'y aura plus, sous le soleil, que des hommes libres ne reconnaissant pour maître que leur raison." André Tardieu, Le Souverain captif (1936)

(3) On croirait presqu'entendre Voltaire: "La domination des prêtres de la religion chrétienne, qui osent faire parler Dieu et sont un composé de fanatisme et de fourberie, est le plus humiliant des despotismes."

(4) Alors que dans les situations à risque, ce sont les plutôt les socialistes et féministes parisiens, les relativistes et autres nihilistes qui détalent comme des lapins, qui reviennent avec des ballons et des fleurs. Ensuite, M. Onfray dirait que dans le nihilisme actuel, il n'y a pas assez d'athéisme.

(5) "il existe autant de textes dans ce même livre pour donner raison au combattant armé ceint du bandeau vert des sacrifiés à la cause (...), aux kamikazes précipitant des avions civils sur les tours de Manhattan..." Un avion commercial de 186 tonnes maximum aurait-il suffi à chaque fois à faire tomber à la vitesse de la chute libre une tour d'acier (135 000 tonnes) et de béton (90 000 t.), qui n'était pas en flammes, près d'une heure plus tard au minimum? La tour n°7 dans le secteur tomba elle aussi à la même vitesse, sans même avoir été percutée. Quant au scénario relatif à l'avion commercial percutant soi-disant le Pentagone, il est encore plus grotesque.

(6) Cerise sur le gâteau: "ne pas tenir pour vérité révélée ce qui provient de la puissance publique"!

(7) "Bon par nature, perfectible par destination, l'homme raisonnable sera doté des attributs qui définiront son caractère: liberté, égalité, souveraineté." André Tardieu. M. Onfray n'affirme pas l'homme bon par nature, à ma connaissance mais gâté par la religion, ce qui revient au même; il postule un état de perfection naturelle à partir duquel la raison, simple fonction matérielle, se développerait harmonieusement. Seule l'intervention d'hommes méchants explique alors la perversion de l'état naturel: "Dès lors je ressens ce qui monte toujours du plus profond de moi quand j'assiste à l'évidence d'une aliénation: une compassion pour l'abusé doublée d'une violente colère contre ceux qui les trompent avec constance. Pas de haine pour l'agenouillé mais une certitude de ne jamais pactiser avec ceux qui les invitent à cette position humiliante et les y entretiennent."

Caricature traditionnelle du "siècle des Lumières": la religion, bedonnante, y est en bonne place dans la représentation de "l'oppression". "Il faut espérer que (le) jeu là finira bientôt", eau-forte de 1789.

vendredi 10 juin 2022

L'art bobo-plouc existe

 


Brassy, dans le Morvan, n'est pas un village très beau. Son église est même plutôt moche; le choeur est enflé par rapport à la nef. Il y a quelques jolies maisons... ne parlons pas de la salle polyvalente. 

Mais la préoccupation principale du maire, c'est de faire du bruit, d'animer, de faire venir du monde, du bobo, du parisien, de l'étranger et les ploucs alentour, fascinés sans doute par l'énergie du maire et "l'animation" des lieux. A l'image du fluide et superficiel Président, le maire de Brassy voudrait faire venir tout le monde dans son village afin de réaliser le "vivre-ensemble" dont il rabâche l'importance dans son bulletin municipal. Des ploucs motorisés, des travestis et des militants de l'indifférenciation au même moment, le même week-end: pourquoi pas! Le bruit et la connerie ambiante en même temps, comme dirait l'autre; après tout, vont bien ensemble.

La gauche voulait élever et instruire l'homme autrefois. Qui songe à élever et instruire désormais? Qui songe à l'homme d'ailleurs quand se multiplient les professeureuhs et les autriceuhs et quand pullulent les ajouts en -e et -s à des mots devenus illisibles et imprononçables? A la campagne, on ne vient pas se reposer, contrairement à ce que vantent encore les dépliants touristiques: la campagne est devenu le terrain de jeu des citadins. Un maire digne de ce nom et digne de la culture ambiante, c'est-à-dire de pas grand chose, se doit d'être à la remorque des désidératas des citadins mondialistes, cosmopolites, déconstruits, asexués, théoriquement déchaînés contre le terroir et l'enracinement, pratiquement avides de tout envahir, contrôler, expérimenter, changer en "bien", comme dirait Ruquier. "Le bien des gens", telle est la boussole théorique et politique des bobos et des gogos. Là où les citadins sont, du reste, le changement est. Va pour Brassy, village non pas incendié par les Allemands en 1944 mais ravagé périodiquement par une foule d'imbéciles communiant dans un bruit indistinct, l'horizon indépassable de l'animation, les théories les plus absurdes.  Il y a aussi le bruit très localisé des sans-gêne qui prennent la campagne pour une boîte de nuit; la campagne n'appartient plus à personne sauf à ceux qui s'y déplacent ponctuellement. On anime aujourd'hui, quand on est un politicien quelconque: et pour tous les goûts, tous les secteurs et tous les segments électoraux.

Le maire garde un petit cachet plouc tout de même: ah, on a sa sensibilité rurale! Dans le village, qui se concentre en une place, on a tendu une corde à linge de l'église à une des maisons et devinez quoi: du linge pend dessus depuis déjà belle lurette. De l'art plouc en somme. Lors de la "Mad Jacques", course cycliste qui, au mois de juin, partie de Dijon vient précisément se finir à Brassy, on fait les choses en grand; et tout le village est parsemé de bouts de ferraille de vélo accrochés les uns aux autres pour former pyramide ou chose encore plus laide. C'est le maire de Brassy, il est comme ça! Il a presque inventé l'art bobo plouc à lui seul, un genre rural dans la catégorie sérieusement citadine de l'animation contemporaine.

Gageons que les nouveaux instituteurs du monde rural, travestis et autres théoriciens du sexe à la manque vivifieront les faces rougeaudes de nos édiles; de nouvelles formes d'art bobo-plouques sont à prévoir!

dimanche 12 décembre 2021

Un film sur Gustave Eiffel


Mon bonheur serait complet si Eric Zemmour gagnait la prochaine présidentielle. En attendant, je suis allé voir le film de Martin Bourboulon consacré à Gustave Eiffel, le fameux ingénieur français (né à Dijon en 1832, mort à Paris en 1923), auteur du viaduc du Garabit (Cantal), de la statue de la Liberté de Nouyork (1) avec Bartholdi et, bien sûr, de la tour immortelle de 300 mètres qui ne devait servir à rien d'autre qu'à augmenter l'attractivité et le prestige de la capitale à l'occasion du centenaire de 1789. 

Tout ça est représenté dans le film: la partie politique (Philippe Hérisson joue le ministre Lockroy de l'Industrie et du Commerce) avec en arrière-plan, le désir de revanche depuis Sedan, la réputation de l'ingénieur (le film commence avec l'achèvement en 1886 de la statue de la Liberté), le désir de surpasser l'obélisque de Washington (de 169 m.) et donc d'égaler la nouvelle nation industrielle américaine, les problèmes techniques du moment... L'Exposition universelle de 1889, décidée par Jules Ferry, devait être la vitrine du savoir-faire français; la tour, en métal, fut ébauchée dès 1884 par des collaborateurs d'Eiffel.

C'était l'époque lointaine où la République triomphante s'enorgueillissait d'industrie; le film sort à une autre époque dans laquelle l'industrie française a été ravagée par "l'élite de la gauche française... (qui) avaient pour nom Lamy, Camdessus, Peyrelevade, Lagayette... (et qui) avaient une approche religieuse du libre-échange", sensé "apporter la richesse et le bonheur aux déshérités, sans oublier la paix." "Ils estimeront que les millions d'esclaves dans les pays pauvres et le développement massif du chômage et de la précarité dans les pays riches n'en étaient que des effets collatéraux, inévitables et négligeables." (2) Le film sort donc à contresens ou même vient annoncer une reprise en main de type populiste des Etats-nations européens désindustrialisés.

Cet effet-là est grand, est joyeux, comme dirait Nietzsche: j'ai vu, sur grand écran, ce qu'on ne voit jamais dans les milliers de films bobos subventionnés: le génie de l'industrie française centré sur un homme au profil ô combien paternaliste et autoritaire, le monde ouvrier en action (3), l'interaction même des deux lorsqu'Eiffel promet qu'il n'y aurait pas de mort sur le chantier ou reprend en main un début de grève: on est là très loin des théories marxistes et marxisantes de l'opposition irréductible des classes et de la mythologie pseudo-ouvriériste diffusée par la bourgeoisie militante. Le bourgeois Eiffel était au contact quotidien de ses ouvriers et comme le note admirablement d'ailleurs P. Gaxotte: "Au milieu du XIXe siècle, les concentrations prolétariennes, avec leurs uniformités collectives, sont encore limitées aux régions minières et aux centres textiles du Nord et du Haut-Rhin. Dans son immense majorité, l'ouvrier français reste un compagnon, un artisan ou un travailleur en chambre... Il existait aussi un très grand nombre d'associations de secours mutuels qui groupaient, dans diverses villes, les orfèvres, les mécaniciens, les boulangers, les gantiers, les tisseurs, les ouvriers du bâtiment... Les nouveaux ouvriers n'arrivent pas dans les villes ni assez vite, ni en assez grand nombre à la fois pour faire tout de suite masse et s'enfermer sans appel dans la lourde compagnie de leurs semblables. S'ils forment une classe, c'est une classe ouverte, aérée, d'où l'on sort. Ils ont des relations personnelles d'amitié ou de bon voisinage avec les artisans et avec les petits bourgeois qui déteignent sur eux." (4) 

Horreur pour les rebellocrates multiculturels ou les critiques demi-professionnels du cinéma pullulant sur Allo-ciné: non seulement voilà-t'y qu'un film français glorifie un ingénieur français et sa tour métallique, glorifie l'industrie française mais en plus, le monde ouvrier y est représenté comme coopérant à l'édification de cette tour, coopérant avec fierté à la gloire technique française! C'en est trop! Sans trop de surprise, toute la presse lue par les "employés de bureau hermaphrodites" (5) et les hommes-soja bouffeurs de tofu, n'aima pas le film: Télérama, Marianne, les Inrockuptibles, les Cahiers du Cinéma, le Nouvel Observateur, le Monde, le Figaro... Les criticologues-nés et leur prose sensément alléchante sur Allo-ciné s'obnubilèrent d'une peccadille: le film était raté parce qu'on parlait trop de cette romance sur le retour entre l'ingénieur et un amour bordelais de jeunesse.

"Malheureusement nos attentes s'effondrent lorsqu'on se rend compte que "Eiffel" se concentre essentiellement sur la relation de l'ingénieur avec Adrienne Bourgès..." - "Une romance sur un vague fond de construction de la Tour Eiffel quand il eut fallu que ce fût l'inverse..." - "Eiffel" nous promettait de nous raconter la construction de la Tour..." - "Cependant, on regrette de n'avoir pas plus appris sur  l'ouvrage..."

Mais bande de nazes, jamais le cinéma bobo subventionné ne parle d'industrie, de France qui gagne, d'ingénieur français ou d'ouvriers fiers de leur travail! Jamais! Dans quel film auriez-vous déjà vu les deux scènes suivantes, purement techniques: celle de la stabilisation des piles de la tour en sous-sol par l'effet de la pression de l'air chassant l'eau du fleuve et celle de la rencontre millimétrée de ces piles au niveau du premier étage, toujours par un système de forces et contre-forces, utilisant le sable et l'air comprimé? Et puis, si vous n'êtes pas content, il y a sûrement un documentaire passionnant rempli d'images d'époque sur Youtoube!

Bien sûr, le film présente des défauts ou plutôt un défaut de taille: la fin de non-recevoir brutale des Bourgès à Gustave au mariage qu'il voyait déjà noué avec la bordelaise éprise au prétexte que chez les Bourgès, on ne fréquente pas de "type". Mais les deux familles sont des bourgeois affairés représentant typiquement le siècle et Bourgès fournit le bois dont Gustave a besoin pour sa passerelle sur la Garonne; Eiffel est dès cette époque reconnu comme un excellent et inventif ingénieur. Cet arrêt soudain de leur alliance n'a aucune explication sérieuse.

Peut-être le film eût-il dû insister sur la sottise et l'étroitesse d'esprit de ces artistes, écrivains et journalistes opposés à l'édification de la tour; on retrouve ces idiots pérorant à toutes les époques.

Le film est encore intéressant et même rare par l'évocation en filigrane de la vilenie de la presse, qui se retourne facilement contre le projet d'Eiffel ou encore du soutien de l'Etat (6) dans un pays qui n'aime pas l'industrie (excepté l'automobile), comme le dit Zemmour, là aussi: "ils ont associé l'usine à un monde de souffrance, d'exploitation, de saleté et de bruit; l'usine, pour les Français, c'est Germinal." (2)

Les acteurs sont très bien, Romain Duris est exceptionnel.


(1) ou de la Nouvelle-York pour faire puriste.

(2) E. Zemmourle Suicide français (2014)

(3) qui n'est jamais que théorique chez les gens de gauche.

(4) P. GaxotteHistoire des Français, 1957

(5) A. Soral

(6) Le soutien de l'Etat fut cependant plus politique que financier, Eiffel prenant à ses frais la majeure partie des travaux. Ultime trahison du cinéma français qui rend hommage à un capitaine d'industrie entreprenant, travailleur, pas marxiste pour un sou et responsable.

Plusieurs plans du film montrent, au-delà de la tour en construction,  l'extravagant et magnifique palais du Trocadéro sur la colline de Chaillot, une sorte de gare aux relents d'embarcadère avec une façade concave à double portique antique côté Seine. Inauguré pour l'Exposition universelle de 1878, il ne devait pas rester, comme la tour mais resta jusqu'en 1935.

dimanche 14 mars 2021

Qui est névrosé? (3)

 


3) les qualités de M. Onfray

 Je pourrais ainsi poursuivre joyeusement et appesantir ma critique, répondant moi-même à l'élan vital qui consiste à bousculer les vieux sous prétexte qu'on est (plus) jeune, mais laissant deviner éventuellement au regard perçant ma nudité, l'anonymat dans lequel je végète, l'envie, la jalousie qui m'anime, ma biographie en quelque sorte. 

 Or, je terminerai cette longue diatribe par un éloge. D'abord, on n'est pas un "imposteur" parce qu'on gagne de l'argent, qu'on a du succès ou qu'on fait partie du "système". Ce complotisme morose et stupide, trop répandu est une "passion triste" ou constante de notre société anciennement catholique dont il reste l'égalitarisme le plus obtus, le masque d'une jalousie sauvage prétexte à toutes les paresses, tous les schématismes. M. Onfray participe légitimement à la vie intellectuelle de la Cité et quoi qu'on en dise, il est un auteur important de l'époque et peut-être même un écrivain. J'ai décelé une inflexion en effet de Cosmos à Décadence, une prose plus sûre, plus riante, une utilisation plus heureuse et enracinée de la langue française, avec quelques accrocs faits au parler du temps. (1) De fait, j'ai lu avec plaisir ces deux livres interminables. M. Onfray a donc quelque chose à dire; ça n'est pas simplement un prosateur ou un dialecticien.

 M. Onfray se place, je suppose, entre la gauche ambiante d'où il vient et le conservatisme plus philosophique que moral, témoin de son évolution. "l'immanence d'un moralisme politiquement correct" lui colle encore à la peau bien qu'il le combatte quasi systématiquement dans les médias. Plus profondément, sa négativité fait merveille lorsqu'il s'en prend au marxisme par exemple, le soubassement intellectuel de toute la gauche moralisante et télévisuelle, ou aux idoles modernes, qui initièrent la gauche ethnomasochiste, anti-nationale, écolo radicale et islamophile d'aujourd'hui: Lacan, Barthes, Deleuze, Foucault, Derrida sont pour lui, les nouveaux scolastiques obscurs, des prestidigitateurs à la manière de Freud qui mettent un écran entre le monde et la pensée afin d'asseoir leur suffisance. (2) "La structure est aussi mystérieuse que Dieu dont elle prend la place dans la philosophie française..." Pour cela, Onfray est haï, parce qu'il dévoile l'incompétence de gourous, chahute "l'intelligentsia parisienne pour laquelle nommer ce qui est ou risque de venir, c'est être responsable du réel et de ce qui advient." E. Zemmour en sait quelque chose!

 La cohérence de M. Onfray se bâtit en effet sur ce rejet du réel, cette haine du réel qu'illustrent les adversaires qu'il se donne, penseurs, philosophes et aussi décideurs. Combien sont-ils qui pourraient être définis ainsi: "Tous préfèrent conclure que le réel a tort et qu'il faut bien plutôt changer de réel que d'idées"? Par contrecoup, M. Onfray prétend incarner le réel, ce qui est assez lourd à porter... pourvu qu'il ne verse pas dans un système rigide, il sera encore intéressant de le lire! 

 Je dirais enfin que je n'aime ni les dogmatiques ni les doctrinaires, qui, derrière leur cohérence rigide, n'embrassent qu'une petite partie du réel et se voient contraints d'appliquer toujours les mêmes oukazes à des sujets ou matières qui s'en éloignent singulièrement. M. Onfray se contredit sur des points importants? Sentant de plus en plus la vie comme un moraliste conservateur, il est de mauvaise foi à l'encontre de la civilisation judéo-chrétienne? (3) Qu'à cela ne tienne! Ca veut dire qu'il est humain, qu'il est donc faillible, que son désordre intellectuel ou moral préfigure de nouvelles pensées, une nouvelle configuration, qu'il est donc ouvert au changement. On ne peut pas "tout" penser et tout rendre cohérent; la vie même échappe à la pensée ou la graphomanie...


(1) Lui-même dit de Cosmos: "j'ai l'impression que Cosmos est mon premier livre." L'évolution s'est faite dans les idées mais aussi dans l'écriture. Le langage parlé télévisuel s'immisce parfois dans Décadence: "...qui montrent que...", "qui fait que...", "Lui..., il..."

(2) Son livre sur Freud, que je me propose de lire également, le Crépuscule d'une idole (2010) avait produit son effet.

(3) Exemple: "Huntington a analysé l'islam politique en dehors de l'idéologie des partisans et des adversaires. Il a rapporté des faits: démographiquement, cette religion monte en puissance; en s'appuyant sur le Coran qui l'affirme sans ambages, elle clame sa supériorité sur les autres religions monothéistes...; elle fait de l'incroyant un adversaire...; elle ne cache pas son désir de convertir par la force et la violence... Voilà qui a suffi à classer Huntington du côté des islamophobes pour l'intelligentsia occidentale frottée aux huiles essentielles marxistes depuis plus d'un siècle." Or, le point de vue des "adversaires" de l'islam, tel Zemmour à nouveau, rejoint singulièrement celui de Huntington. Affectant de ne pas prendre parti entre réactionnaires et progressistes, islamophobes et islamophiles,  Onfray est de facto un réactionnaire islamophobe pour la gauche "immanente" ou "triviale" dont il vient.