Nous arrivons peu à peu au dénouement: Erich le génie pictural, a tué de sang-froid à la carabine un chiot inoffensif sous les yeux des enfants de Jenny, au prétexte de les protéger de la rage; l'ex-mari de celle-ci, Kévin, ayant suivi le couple improbable dans le Minnesota, se sent pousser des ailes et veut renouer avec elle et ses enfants; on le retrouve mort dans une voiture et dans une rivière, à quelques encablures de la propriété. Une "sévère meurtrissure sur la tempe" ne conduit à rien de précis de la part du médecin légiste, ce qui est tout de même invraisemblable là aussi: la blessure par un objet contondant laisse des traces, parfois matérielles et nulle part, il n'est question de la vitre avant brisée. Mais enfin, le temps des flics-médecins légistes ou de culture scientifique n'était pas encore arrivé! (1)
Après avoir accouché d'un enfant malingre qu'Erich a rapidement délaissé, Jenny l'algue marine se réveille un beau jour d'hiver minnesottien: "Qui était cet homme capable de lui dire qu'on la prenait pour une meurtrière, de lui demander d'oublier le bébé qu'elle venait d'enterrer quelques heures auparavant?" (chapitre trente-deux) L'habileté "diabolique" de MHC. consiste à... presque réussir sur le plan narratif, à faire passer Jenny pour la meurtrière et faire prévaloir le point de vue d'Erich, le très convenable et prévenant mari... nonobstant la très longue attente que subit le lecteur face à l'indigence intellectuelle et pratique de la femme.
Elle élabore enfin un plan de fuite lors d'une exposition prévue à Houston. Patatras! elle est tellement bécasse qu'Erich le déjoue facilement et part avec les enfants seuls pour en retour, exiger la promesse de son irresponsabilité définitive et éventuellement, de son enfermement psychiatrisé. MHC. pousse ainsi très loin les effets d'une psychologie prédatrice, des effets d'ambiance mais ne peut cacher indéfiniment au lecteur à la fois la passivité irréelle du personnage principal, la nullité de sa vie sociale (2), sa pure transparence, légèreté. Elle n'a prise sur rien pas plus que l'entourage d'Erich. (3) Dès lors celui-ci apparaît comme une figure diabolique et surpuissante ayant manoeuvré tout son monde ad vitam aeternam, "le mal incarné". Privée de ses enfants, Jenny redevient (lentement) une personne douée d'énergie et d'autonomie, de volonté, prête à l'action: les retrouver. Le dénouement ne sera pas moins étrange que ce couple sans disputes, dominé par un psychopathe.
Dans l'hiver et la bourrasque minnesottiens, Jenny se rend au chalet, en principe interdit, où le peintre demeure, et finit, en somme, le tour de la propriété (chapitre trente-six). Entrant par effraction dans "une pièce de six mètres sur six", Jenny découvre des toiles encadrées, prêtes à l'envoi, signées Erich Krueger mais d'autres: Caroline Bonardi, la mère du "peintre". Les toiles rangées sont également de Bonardi et le style est le même partout. Survient alors un double dévoilement: "Le même artiste les avait tous exécutés. Erich se bornait à s'approprier l'oeuvre de Caroline." N'est-ce pas également par un trait d'ironie la fin de la supercherie de l'auteur elle-même, qui a basé toute son histoire sur la notoriété absurde d'une peinture provinciale (4) Que serait Erich Krueger sans ses millions, son héritage, ses cimenteries et son bétail de compétition?
En résolvant une énigme policière de façon picturale, certes, MHC faisait preuve d'originalité. Mais pourquoi diable a t-elle insisté pour que le criminel se désigne lui-même de façon claire et tout aussi... peinturlurée? En montant à la soupente, Jenny découvre une toile explicite: le faux peintre-assassin a... peint ses crimes, dans le genre collage réaliste et coloré. Tous ses actes vils sont rendus: c'est bien commode! Mieux: il n'oublie pas de se représenter: "Dans l'ouverture du rideau, le visage d'Erich apparaissait, triomphant, sadique", ou de représenter encore sa doublure: Caroline et sa cape vert-noire. (5) C'est un vrai rapport de police en bédé et en couleurs! et encore une sorte d'apothéose de mauvais goût, de démission littéraire et d'acharnement négatif sur le personnage principal, que la "vérité" écrase d'un seul coup, cette vérité étant elle-même d'un genre caricatural. Toujours dans la veine ironique, MHC retrouve des accents propres à l'art moderne du début du XXe siècle, des Fauves aux Demoiselles d'Avignon de Pablo Picasso, quand la couleur plane puis le trait, la représentation éclatée désorganisait la perception acquise pour mieux faire prévaloir la sensation, le choc sensuel. Jenny, en effet, ne peut s'empêcher de faire écho au "tableau" et "entendit le son rauque qui lui montait aux lèvres, la plainte aiguë, le cri violent de protestation."
(1) Plutôt les années 1990 dans la littérature (Patrica Cornwell) comme à la télé ("X-files", 1993).
(2) Au chapitre trente-cinq seulement, Jenny se fait la réflexion: "Il fallait qu'elle parle à quelqu'un. Elle devait se confier à quelqu'un." Sans blague!
(3) Mark, le vétérinaire, "avec son côté viril et rassurant", chez qui Jenny se rend, lui avoue: "Erich est dé... déséquilibré... oh! Jenny!" Sans blague! Mais si eux sont naturellement attirés l'un par l'autre, que pouvait bien attirer Jenny chez Erich, hormis la poudre aux yeux de sa richesse?
(4) Au chapitre trente-huit, l'ancien employeur de Jenny, mr. Hartley se rappelle à elle pour lui signifier que les tableaux achetés dans sa galerie signés EK. sont des faux. De façon pittoresque, MHC. dénonce ainsi l'incompétence de son personnage, nantie d'une licence en art mais aussi sa propre niaiserie affabulatrice, insistant sur "le prix très élevé", "les plus hautes récompenses" de cette peinture honnête de type aquarelle...
(5) L'histoire est évidemment inspirée en partie de Psychose (Al. Hitchcock, 1960) ou l'appropriation post-mortem de la mère par un fils dérangé. Malheureusement, MHC. décrédibilisera encore plus son histoire en érigeant Erich comme assassin de sa propre mère à dix ans...