lundi 8 avril 2024

Un cri dans la nuit (3)

Pablo Picasso, les Demoiselles d'Avignon (1907), fait à Paris, conservé à La Nouvelle-York

    Nous arrivons peu à peu au dénouement: Erich le génie pictural, a tué de sang-froid à la carabine un chiot inoffensif sous les yeux des enfants de Jenny, au prétexte de les protéger de la rage; l'ex-mari de celle-ci, Kévin, ayant suivi le couple improbable dans le Minnesota, se sent pousser des ailes et veut renouer avec elle et ses enfants; on le retrouve mort dans une voiture et dans une rivière, à quelques encablures de la propriété. Une "sévère meurtrissure sur la tempe" ne conduit à rien de précis de la part du médecin légiste, ce qui est tout de même invraisemblable là aussi: la blessure par un objet contondant laisse des traces, parfois matérielles et nulle part, il n'est question de la vitre avant brisée. Mais enfin, le temps des flics-médecins légistes ou de culture scientifique n'était pas encore arrivé! (1)

    Après avoir accouché d'un enfant malingre qu'Erich a rapidement délaissé, Jenny l'algue marine se réveille un beau jour d'hiver minnesottien: "Qui était cet homme capable de lui dire qu'on la prenait pour une meurtrière, de lui demander d'oublier le bébé qu'elle venait d'enterrer quelques heures auparavant?" (chapitre trente-deux) L'habileté "diabolique" de MHC. consiste à... presque réussir sur le plan narratif, à faire passer Jenny pour la meurtrière et faire prévaloir le point de vue d'Erich, le très convenable et prévenant mari... nonobstant la très longue attente que subit le lecteur face à l'indigence intellectuelle et pratique de la femme.

Elle élabore enfin un plan de fuite lors d'une exposition prévue à Houston. Patatras! elle est tellement bécasse qu'Erich le déjoue facilement et part avec les enfants seuls pour en retour, exiger la promesse de son irresponsabilité définitive et éventuellement, de son enfermement psychiatrisé. MHC. pousse ainsi très loin les effets d'une psychologie prédatrice, des effets d'ambiance mais ne peut cacher indéfiniment au lecteur à la fois la passivité irréelle du personnage principal, la nullité de sa vie sociale (2), sa pure transparence, légèreté. Elle n'a prise sur rien pas plus que l'entourage d'Erich. (3) Dès lors celui-ci apparaît comme une figure diabolique et surpuissante ayant manoeuvré tout son monde ad vitam aeternam, "le mal incarné". Privée de ses enfants, Jenny redevient (lentement) une personne douée d'énergie et d'autonomie, de volonté, prête à l'action: les retrouver. Le dénouement  ne sera pas moins étrange que ce couple sans disputes, dominé par un psychopathe.

    Dans l'hiver et la bourrasque minnesottiens, Jenny se rend au chalet, en principe interdit, où le peintre demeure, et finit, en somme, le tour de la propriété (chapitre trente-six). Entrant par effraction dans "une pièce de six mètres sur six", Jenny découvre des toiles encadrées, prêtes à l'envoi, signées Erich Krueger mais d'autres: Caroline Bonardi, la mère du "peintre". Les toiles rangées sont également de Bonardi et le style est le même partout. Survient alors un double dévoilement: "Le même artiste les avait tous exécutés. Erich se bornait à s'approprier l'oeuvre de Caroline." N'est-ce pas également par un trait d'ironie la fin de la supercherie de l'auteur elle-même, qui a basé toute son histoire sur la notoriété absurde d'une peinture provinciale (4) Que serait Erich Krueger sans ses millions, son héritage, ses cimenteries et son bétail de compétition? 

    En résolvant une énigme policière de façon picturale, certes, MHC faisait preuve d'originalité. Mais pourquoi diable a t-elle insisté pour que le criminel se désigne lui-même de façon claire et tout aussi... peinturlurée?  En montant à la soupente, Jenny découvre une toile explicite: le faux peintre-assassin a... peint ses crimes, dans le genre collage réaliste et coloré. Tous ses actes vils sont rendus: c'est bien commode! Mieux: il n'oublie pas de se représenter: "Dans l'ouverture du rideau, le visage d'Erich apparaissait, triomphant, sadique", ou de représenter encore sa doublure: Caroline et sa cape vert-noire. (5) C'est un vrai rapport de police en bédé et en couleurs! et encore une sorte d'apothéose de mauvais goût, de démission littéraire et d'acharnement négatif sur le personnage principal, que la "vérité" écrase d'un seul coup, cette vérité étant elle-même d'un genre caricatural. Toujours dans la veine ironique, MHC retrouve des accents propres à l'art moderne du début du XXe siècle, des Fauves aux Demoiselles d'Avignon de Pablo Picasso, quand la couleur plane puis le trait, la représentation éclatée désorganisait la perception acquise pour mieux faire prévaloir la sensation, le choc sensuel. Jenny, en effet, ne peut s'empêcher de faire écho au "tableau" et "entendit le son rauque qui lui montait aux lèvres, la plainte aiguë, le cri violent de protestation."


(1) Plutôt les années 1990 dans la littérature (Patrica Cornwell) comme à la télé ("X-files", 1993).

(2) Au chapitre trente-cinq seulement, Jenny se fait la réflexion: "Il fallait qu'elle parle à quelqu'un. Elle devait se confier à quelqu'un." Sans blague!

(3) Mark, le vétérinaire, "avec son côté viril et rassurant", chez qui Jenny se rend,  lui avoue: "Erich est dé... déséquilibré... oh! Jenny!" Sans blague! Mais si eux sont naturellement attirés l'un par l'autre, que pouvait bien attirer Jenny chez Erich, hormis la poudre aux yeux de sa richesse? 

(4) Au chapitre trente-huit, l'ancien employeur de Jenny, mr. Hartley se rappelle à elle pour lui signifier que les tableaux achetés dans sa galerie signés EK. sont des faux. De façon pittoresque, MHC. dénonce ainsi l'incompétence de son personnage, nantie d'une licence en art mais aussi sa propre niaiserie affabulatrice, insistant sur "le prix très élevé", "les plus hautes récompenses" de cette peinture honnête de type aquarelle...

(5) L'histoire est évidemment inspirée en partie de Psychose (Al. Hitchcock, 1960) ou l'appropriation post-mortem de la mère par un fils dérangé. Malheureusement, MHC. décrédibilisera encore plus son histoire en érigeant Erich comme assassin de sa propre mère à dix ans...

vendredi 29 mars 2024

Un cri dans la nuit (2)

    


    Je n'abandonne que temporairement le cours de mon introspection picturale car le sujet de la peinture reparaîtra lors du dénouement, d'une manière bien étrange d'ailleurs. A un problème de départ en succède un autre: la faiblesse de caractère de Jenny, sa personnalité plate et amorphe jusqu'à l'enlèvement de ses enfants; dès le chapitre six, la voilà embarquée avec ses deux filles dans le Minnesota. Quelle jeune femme installée à la Nouvelle-York au début des années 1980, travaillant dans le monde de l'art, mère de deux fillettes, plaquerait tout pour un pseudo-artiste de province, même riche à millions? Ah ça, il présente bien! Dès la première rencontre, il l'emmène déjeuner dans un restaurant fameux puis la retrouve en soirée dans la rue, bardée de ses filles, n'ayant pu monter dans un bus: il est allé jusqu'à chercher l'adresse de Jenny chez sa nounou... Et monsieur s'invite: "Je vous accompagne à l'intérieur", alors qu'elle souhaitait lui dire bonsoir. Elle habite Murray-hill (1), pas loin de la Gare centrale, qui forme le point de mire de la nuit du Renard. L'histoire aurait pu s'arrêter là, qui ressemblerait à des tas d'histoires sordides de filles étranglées et volées.

    Soit: l'héroïne n'a pas un caractère très entreprenant. "Il a donc vraiment envie de rester, songea Jenny." Tout au long du huis-clos minnesotien, soit des chapitres six à trente-trois, elle trouvera toujours des excuses à son grand peintre, dont les bizarreries, le caractère maniaque et obsessionnel, les colères froides, la jalousie maladive, l'emploi du temps exclusif s'imposent et croissent au fil des pages. "Ce qui doit être sera. C'est du moins ce que je crois", exprime t-elle en guise d'au-revoir au soir de la première rencontre. Il a déjà fait opportunément la connaissance de l'ex-mari de la dame, Kévin, un vrai artiste, lui, fauché, égoïste dans le style grand dadais, un "air de bel adolescent dans son luxueux pull-over de ski", qu'Erich déteste immédiatement. (2) Autant Jenny est longue à la détente, ne sait jamais rien assurément, laisse faire, autant Erich sait tout d'instinct et immédiatement, trouve toujours à agir dans ses intérêts stricts. Ni une, ni deux: au bout d'une semaine, lui qui voyage facilement par les airs, propose non seulement le mariage à la jeune femme mais aussi l'adoption pleine et entière de ses enfants! En attendant, il l'éblouit à distance ou pas par une débauche d'argent: elle ne circule, elle et ses enfants, plus qu'en limousine; lui, l'emmène, le week-end, dans des restaurants chics, apprivoise les filles par des cadeaux et des sorties... La Cendrillon écervelée, habillée soudainement par Raphael, Magli et Vuiton, et qui a reçu en guise de fiançailles "un solitaire taillé en émeraude", signe son emprisonnement les yeux fermés. (3)

    Avançons: dans son huis-clos minnesotien, aucun signe n'est suffisamment inquiétant pour Jenny l'ectoplasme. Elle, qui somnolante, s'était imaginée dans la "Cadillac Fletwood bordeaux" du maître peintre, à la sortie de l'aéroport, pouvoir "arranger la maison" va vite se rendre compte qu'on ne touche à rien: le moindre petit déplacement d'objet est insupportable au maître absolu des lieux. Il ne fait pas d'esclandre mais remet tout à sa place, la nuit venue (chapitre dix-sept). "Que fabriquait-il?... Erich était monté chercher le carton des rideaux. A présent, il remettait les meubles à leur place initiale." C'est presque une touche d'humour involontaire: le maître le plus absolu est le domestique le plus zélé et vice versa.  Mais comment un être aussi déséquilibré, débile, étrange et invivable, n'aurait-il jamais éveillé les soupçons dans son entourage: l'ami d'enfance devenu vétérinaire, l'intendant, le palefrenier, la femme de ménage, la voisine...? Les maigres relations sociales en présence d'Erich sont convenues, étriquées, indicibles, le magnat campagnard passe lui-même peu de temps avec sa femme, sinon pour alourdir l'atmosphère. "Troublante", "bizarre", celle-ci ne transforme jamais la pure et simple Jenny, remplie d'amour surnaturel mais vide de tout le reste. Dès le premier soir de son arrivée, son mari empressé lui passe sa nouvelle chemise de nuit, alors qu'elle s'apprêtait à en porter une de son choix: c'était celle de la mère d'Erich, naturellement, "en satin couleur d'aigue-marine". "Interdite", glacée probablement au fond d'elle, Jenny n'exprime rien pourtant; elle n'est que pensée diffuse, molle, vite remplacée par un artifice positif. "Erich était un amant réservé, tendre et attentionné." Le lendemain, elle se réveille seule puis constate que son mari a fini la nuit dans une chambre d'enfant de dix ans, la sienne autrefois... "Peut-être avait-il envie de lire?"

A suivre...

(1) Apparemment un quartier abordable à cette époque.

(2) Que serait un livre de Mary Higgins Clark sans les descriptions capillaires et vestimentaires appropriées?

(3) Lors d'une cérémonie civile de mariage improvisée, sans témoin, Jenny manque de dire qu'elle prend pour époux... Kévin et non Erich. Celui-ci, décidément trop intelligent pour elle, le remarque. Mais cette bourde est bienvenue: elle humanise le personnage. Kévin, qui n'intervient que ponctuellement, est le personnage le mieux esquissé pourtant et possède une intuition simple dont son ex-femme est dépourvue.

mardi 19 mars 2024

Un Cri dans la nuit (Mary H. Clark, 1982)

 

'A Cry in the night' (1982), publié en France l'année suivante

    'Cry' comme substantif ne veut pas nécessairement dire "cri" mais éventuellement "appel au secours", une "forte vocalisation" venant d'un enfant ou d'un animal ou encore une prière. Bien que l'héroïne, perdue la nuit dans une forêt glacée du Minnesota, se mette à crier à l'aide, le titre retenu en français est un peu simplificateur. Elle se met aussi à prier lorsque ses enfants auront été enlevés par son mari...

    Ce livre se place dans les premiers romans de MHC., après la Maison du Guet (1975) et La nuit du Renard (1979), que j'ai lus. Where are the children?, le titre anglais de la Maison du Guet, est plus explicite; un ex-mari pédophile refait surface dans la vie de Nancy, en Nouvelle-Angleterre, sous une fausse identité: il lui enlève les enfants qu'elle a eus depuis d'un autre homme... Dans un Cri dans la nuit, l'enlèvement des enfants est plus une péripétie mais le thème du mari psychopathe demeure; la situation est inversée: le "bon" mari est placé avant dans l'histoire, c'est le nouveau qui, d'une certaine manière, masque son identité lui aussi avant de révéler peu à peu sa vraie nature, une fois sa capture faite. A chaque coup, le tueur psychopathe prend soin d'accuser, par divers moyens, sa femme ou son ex-femme des crimes que lui, a commis.

    Contrairement à la Maison du guet d'ailleurs, le style narratif du Cri dans la nuit est celui d'un roman classique, à l'encontre du style qui deviendra sa référence: une succession de tableaux plutôt courts illustrant des personnages, actions et lieux divers. Toute l'action est ici centrée sur une héroïne, Jenny, jeune néo-yorkaise employée dans une galerie d'art, chargée de deux filles en bas-âge, "une femme divorcée chef de famille" comme elle le dit à Erich, un plouc richissime du Minnesota, président honoraire de cimenteries, qui soi-disant, a un coup de pinceau terrible, avec des titres d'oeuvre terre à terre comme Souvenir de Caroline (sa mère), Labours de printemps ou Moisson. On imagine la révélation au début des années 1980 à la Nouvelle-York, plus préoccupée je suppose par Keith Haring ou Jean-Michel Basquiat, les graffitis, la télévision, la mode ou la publicité. (1) 

    Le seul intérêt de la peinture d'Erich Krueger est le rapprochement effectué entre Caroline, mère du peintre-éleveur de bétail, représentée devant sa maison, sur une balancelle, au soleil couchant, et la jeune néo-yorkaise. Celle qui a une licence en art s'extasie: "Magnifique. Absolument magnifique", avant de tomber, complètement absorbée, sur l'auteur lui-même. Quoi de plus épatant qu'une rencontre commençant comme un accident? Erich est bien sûr stupéfait par la ressemblance à sa mère et lui met le grappin dessus immédiatement.

    MHC., la narratrice, discerne encore une trace de mélancolie dans ce tableau-ci, "une impression particulière de solitude autour de la jeune femme." Mais l'appréciation sert à l'histoire bientôt ténébreuse du roman et non au monde de l'art. Là est le premier hic du récit: la platitude des descriptions artistiques et l'absence de crédibilité du meilleur peintre du dimanche du Minnesota. (2) Or, le rapport des Américains à la nature en cette période ne se résume pas à une admiration champêtre outrée, loin de là.


Andrew Wyeth, le monde de Christine ('Christina's world', 1948)

    Le tableau obsédant d'Andrew Wyeth, que Mary Higgins avait pu voir d'ailleurs au musée d'Art moderne de sa ville, illustre l'éloignement gigantesque entre la nature et l'homme, dans une période de domination géopolitique sans pareille des Etats-Unis, du reste. Une jeune campagnarde en robe simple, mauve  pâle, est posée sur le rebord du tableau, contemplant douloureusement son monde, sa vie, la campagne d'immenses champs vert-gris, ponctués de ces vieilles maisons de bois caractéristiques de l'Amérique pionnière. Sa position la tient éloignée mais tournée encore vers ce monde-ci, elle en est la prisonnière. La nature, qui remplit le tableau, n'est pas du tout encensée pour ce qu'elle est. Le personnage en question, Anna Christina Olson, une amie du peintre, était handicapée et ne pouvait se déplacer qu'en rampant. L'observateur cependant, ne perçoit pas qu'elle est peut-être en train de regagner la maison. Contrairement aux apparences du reste, la scène est située en bord de mer, dans le Maine.

Autre exemple fameux: un tableau plus précoce encore, de 1930, signé Grant Wood: 'American gothic', conservé à Chicago.


Cette fois, c'est la photographie humaine, sociale du monde paysan qui est dépeinte; la maison de bois typique, avec véranda, est à l'arrière-plan, une ferme aux pans de bois rouge apparaît vers la droite et quelques arbres en fleur parsèment le décor. On distingue même une étroite flèche de clocher. Le couple de fermiers du Midouest pose fièrement, l'homme en salopette puis veste du dimanche, arborant une fourche, la femme, aux cheveux blonds scandinaves est plus évasive, quoique fermée à la représentation. En médaillon apparaît probablement une ancêtre. Le caractère gothique du tableau provient de la fenêtre supérieure à meneaux formant ogives mais aussi de la description picturale quasi ethnologique des personnages. Comme dans le tableau précédent, un détail prend ici une dimension nouvelle. Originaire lui-même d'une famille paysanne de l'Iowa, Wood s'est défendu d'avoir voulu caricaturer ce monde des petits fermiers; c'est pourtant l'impression que fit le tableau et fait encore. Dans l'élongation des traits à la manière eyckienne, leur caractère placide et moral, la vision décorative de leur univers, le peintre affiche une distance ironique d'avec ce monde des petits fermiers blancs des Grandes plaines, renfermés dans leurs certitudes, leur puritanisme et leur patriotisme de clocher même si la crise de 1929 les toucha durement. La nature n'est donc pas plus célébrée que dans Le monde de Christine.
    Il faudrait remonter aux années 1830-40 et à l'école de l'Hudson pour trouver un rapport fasciné et naïf aux grands paysages, à l'expressivité de la nature brute. Bref, dans ses pauses aéronautiques, l'ex-stewardesse MHC. n'ouvrait probablement jamais un ouvrage en histoire de l'art...

A suivre

(1) On a une bonne idée de l'ambiance artistique néo-yorkaise et plus précisément celle de Greenwich-village, dans Esclaves de NY (1989), film de James Ivory, certes plus tardif mais toujours pertinent, à mon sens. 

(2) Une fois dans le Minnesota, Erich montrera à sa femme une "scène de printemps, un veau nouveau-né à moitié caché dans un creux, la mère attentive à ses côtés..." renfermant selon la narratrice "l'atmosphère d'une scène de la Nativité" (sans rire), ou bien une des toiles qu'il compte exposer à Houston: la Pourvoyeuse ("un nid en haut d'un orme")... "L'extraordinaire talent" de l'artiste "savait à la fois saisir la simplicité de la vie quotidienne et les émotions qu'elle suscitait."

samedi 2 mars 2024

Voyages d'un philosophe aux pays des libertés (2)


Le Kérala, paradis pour bobos décontractés?

    Il n’y a aucun génie des peuples chez G. KeonigEn Finlande, il ne voit pas que l’ex-détenu devenu professeur de criminologie est un Nigérian (1) ; ça lui évite de se pencher sur l’échec complet de l’immigration extra-européenne dans les pays scandinaves et ailleurs. Si l’on avait inversé les deux systèmes, tout simplement, dit-il page 223, l’Amérique du nord propriétaire serait devenue l’Amérique du sud rentière et pauvre et vice versa. Il poursuit donc la chimère de l’être abstrait chère aux philosophes illuminés du XVIIIe siècle. Pour lui-même, il se définit comme français (de langue surtout), londonien, normand, athée, orthodoxe roumain (de par sa femme) ; l’individu ne serait in fine que l’addition de ces « appartenances singulières », dont la « diffraction » serait même, la garantie « d’une tolérance de tous les instants. » (2) En somme, d’une non-définition, d’un étalage fumeux réservé à une élite, « quelques happy few des milieux économiques et artistiques » comme il le dit du sentiment cosmopolitique étendu de Stefan Sweig d’avant la Grande guerre, il fonde un principe général, comme si toute la France, en passant, habitait Londres et écrivait aussi bien que lui. Il oublie encore une fois que le cosmopolitisme d’avant-guerre était fondé sur la suprématie culturelle européenne comme le faux cosmopolitisme antiraciste actuel est l’alibi de regroupements « frileux » sur base socio-raciale. (3)

« La société ouverte n’est pas aisée » dit-il. Toute son argumentation semble être de la promouvoir par des moyens réfléchis sans nécessairement nier la tendance lourde de la majorité qui se reconnaît dans ses à priori sociaux et politiques, y compris la gauche, qui après avoir provoqué les conditions de cette mise en péril de la majorité, sa fragilité, défend un « statut figé » du féminisme et de l’antiracisme, autrement dit un « discours essentialiste », voire racialiste. L’idéologue chez G. Koenig ne prend pas le pas sur l’intellectuel : c’est une grande qualité. Certaines des expériences qu’il préconise pourraient s’avérer fructueuses, à petite échelle. Le chemin des drogues est une réussite semble t-il, au Colorado mais un  désastre à San Francisco (où la vente de cannabis est devenue légale). Qui sait si le régime libéral des cultes du Kérala (dix-sept langues, des milliers de dialectes) ne tournerait pas à la catastrophe dans n’importe quelle autre partie du monde ou même de l’Inde ? Pourquoi devrait-il donc y avoir une généralisation de ces expériences, au prétexte qu’elles marchent quelque part ?

    Comment fait-on et fait-il pour passer du stade libéral voire libertaire, individuel et utilitariste, pierre angulaire de sa pensée, au stade du "village global" et de "l'unification de l'humanité" à la Kant? Lui-même ne le dit pas. Aurait-il senti la perte de sens vertigineuse qu'implique sa conception plate et horizontale de la société? "La quête de sens surgit lorsque se profile la pure diversité, qui est séparation, scission et incohérence." (PA. Taguieff)

A suivre par la lecture d'autres ouvrages de G. Koenig.

(1) Dont la thèse est en anglais, du reste.

(2) Son attachement normand ou son athéisme ont-ils produit la carte Vitale qu'il utilise peut-être, retour en France ou son permis de conduire?

(3) Comment ne s’en rend-il même pas compte à Londres, ville absolument ségréguée sur les plans social et racial, aussi bien du côté des arrivants que des vieux-Anglais ?

dimanche 11 février 2024

Gaspard Koenig: Voyages d'un philosophe aux pays des libertés

  

    J’ai découvert G. Koenig par hasard et lu Voyages d'un philosophe aux pays des libertés (2018) avec une grande curiosité. Plusieurs fois, je fus choqué puis séduit. La langue est belle, simple, complexe pourtant ; des problèmes compliqués sont abordés avec un grand naturel. J’ai hautement apprécié la qualité littéraire assortie de références d’un jeune professeur de 35 ans, moins le parler américain commun d’une série qui semble le fasciner (« Are you a fucking communist ? ») ou à la fin, la panne : « Je ne sais plus quel écrivain expliquait… » Libertarien de gauche, si j’ai bien compris, G. Keonig prône un libéralisme pratique sur des points précis comme la drogue, les prisons. Certains sujets sont un peu plus généraux comme le microcrédit, la tolérance religieuse ou le libre-échange. Premier écueil : celui qui à l’instar de Tocqueville, voulait fuir la spéculation abstraite et le « mépris des faits existants », passe une semaine par-ci, une semaine par-là, voyage en avion payé par Le Point, je suppose, constate avec bonheur la mise en pratique d’intuitions libérales de façon locale puis revient à Paris pour les généraliser à l’ensemble de l’humanité, en laquelle croit encore G. Keonig. La méthode est empiriste mais le philosophe demeure universaliste : il tente même de renouer avec la vieille notion de perfectibilité (de l’être humain), liée vaguement à la notion-mère des philosophes lumineux : le progrès, cependant mal définie (« ceux qui n’ont pas renoncé à l’idée de progrès humain »). G. Koenig se fait plaisir : c’est un excellent journaliste à sa manière (et l’est un peu moins retour au bercail où il affirme qu’on « envoie la police fermer les mosquées »). Il est de cette génération qui, politiquement, assume la transition de la gauche au libéralisme (ça nous change d’Onfray) : mais quand la gauche devenue libérale peine à trouver des formules pour les masses autres que la défense inconditionnelle de l’islam à travers l’anti-racisme, la peur du changement climatique et la maximisation des problèmes écologiques, G. Koenig voudrait l’emmener très loin avec le libertarisme, la « propriété de soi », la tolérance et l’utilitarisme anglo-saxons intégraux, la fin et le dépassement de l’Etat-nation, des « sociétés homogènes et des religions exclusives » au profit d’une communauté fluide d’intérêts individualistes, « aux identités multiples et superposées » sous le couvert d’une loi non pas (soi-disant) aveugle et punitive  comme la loi rousseauiste de l’intérêt général mais indifférente et comme suggestive, axiologiquement (soi-disant) neutre. (1) On reconnaît les « cultures en France » du candidat Macron, en passant. Je n’insiste pas sur les gouffres abyssaux séparant les différentes gauches qu’on peut toutes ramener à un jacobinisme enraciné et à un messianisme humanitaire laïcisé, et cette «utopie de toutes nos utopies » (individuelles). 

A suivre

(1) « la mesure d’un crime se fonde entièrement sur le tort qu’il cause à la société et non sur l’intention de son auteur ; peu importent les mobiles… » Mais il dit aussi, en conclusion, que la société ne devrait être que « le fruit d’interactions multiples, complexes, en évolution permanente et irréductibles à un quelconque destin commun. » Comment déterminer, dès lors, ce qui est bien et mal au niveau social si chaque individu voit midi à sa porte ?


lundi 31 juillet 2023

Un petit tour à Lormes (2)




 


La cité compte peu d'arbres, par manque de place, en partie. Une vision écologique responsable eut privilégié néanmoins là où c'est possible, la plantation d'arbres afin d'accuser le changement climatique, les canicules répétées notamment et d'offrir, le moment venu, de la fraîcheur. (1) Que nenni: on a planté de... faux arbres, des "arbres morts" comme disent les cons d'écolos. Ces troncs d'arbres disparates sont peinturlurés de couleurs vives et forment encore une fois: des "oeuvres"... "comment rendre hommage et faire un signe à ces branches abandonnées au sol (dans les forêts)?" s'interroge "l'artiste"; on est saisi par l'importance et la pertinence du sujet. Exit l'utilité sociale et civique, on est dans le monde absurde des bobos barbouilleurs et de leurs édiles immatures.

Les bornes à boules délimitant les trottoirs paraissaient sans doute trop ternes au maire qui n'y voyait pas nécessairement, là encore, la stricte utilité; qu'à cela ne tienne! Il les fit recouvrir de peinture à l'acrylique, à l'eau, c'est-à-dire, écolos: ouf, on sera sauvés lors des prochaines canicules! et le passant, souffrant du soleil ardent, pourra admirer ces créations immortelles issues des cours scolaires. (2)

En parlant d'école... il y a encore peu, on pouvait voir sur le mur du gymnase du collège Paul-Barreau (ancien maire) un graffiti gauchiste: "Le travail tue". (3) Depuis la fin avril, Lormes est la victime d'une vague de graffitis à la bombe du même goût; seule l'administration scolaire a réagi, plus un gendarme échauffé. Le supermarché Bien a été copieusement tagué et retagué de la crème des expressions "inclusives" des idéalistes en chaleur. Un bachelier surnoté cherche la phrase universelle qui puisse plaire "à toutes et à tous": une obsession chez les rejetons castrés d'une éducation à l'abandon. Un transformateur à la sortie de la ville porte: "Welcome Réfugié.e.s". Dans la rue du pont-National déjà citée gît la Gendarmerie dont l'implantation remonte à l'Ancien régime; son mur a été tagué aussi: "Stop violences policières", probablement suite à l'affaire du zyva de Nanterre. Et un gendarme, naturellement énervé, a tenté de recouvrir le dernier mot alors que la mairie, depuis tout ce temps, reste inerte. Imaginons des croix gammées, des inscriptions purement racistes ou antisémites à travers la ville: elles n'auraient pas tenu deux jours, sans parler de l'écho formidable qui en eût été donné...  

"La petite cité du futur" comme il est dit bêtement sur internet est donc régulièrement visitée par un groupe d'étudiants ratés à barbichette; leur rage inter-sectionnelle s'étend le long de leurs randonnées humanistes: sur une glissière de virage ("Stop patriarcat, stop coupe ra(z)e, stop féminicides" 4), sur un transformateur à nouveau près de Corbigny ("Nique son père à la guerre"), à Corbigny même, sur le pont de l'Anguison: "Protégez l'eau!", "Nous sommes l'eau"! (5) 

Toutes les guerres contemporaines (Golfe, Serbie, Afghanistan, Libye, Mali, Syrie, Ukraine) conduites par des européens, l'ont été au nom des "droits de l'Homme" par des gouvernements socialistes ou gaucho-mondialistes, pas par des nationalistes, guerres portées le plus souvent sur des territoires musulmans, ces musulmans que nos braves gauchistes schizophrènes adorent voir rappliquer avec leur patriarcat sévère et bien réel. On pourrait creuser aussi bien les mérites volontairement oubliés du patriarcat christiano-européen, dans la protection et la promotion des femmes au cours des siècles ou encore les effets anciens du Progrès (industriel, technique) sur l'environnement depuis le temps libéral du XVIIIe siècle, Progrès tant vanté par nos révolutionnaires en goguette...
Réduits à une pure bouillie émotionnelle, leur cerveau, non stimulé par des années d'inertie scolaire, enregistre seulement des dogmes intangibles, des slogans stupidement contrariés entre eux ou par la réalité... Transformistes imaginaires, ils sont en effet tout et n'importe quoi: de l'air et de l'eau...

(1) Fraîcheur pour les piétons, pour le sol également.

(2) Mais ça ne suffisait pas au goût du maire écolo superficiel, ami des couleurs: il y a un an encore pendaient à travers la cité, des fenêtres des premiers étages... des draps (colorés). A Brassy, commune voisine, c'étaient des nippes usées tendues d'une façade à l'autre sur cordes à linge, y compris à l'église. Le mauvais goût bisounours des édiles ruraux n'a plus de bornes.

(3) suivi d'une espèce de jeu de mots disant à peu près: "L'acné rend force." Le gymnase est aussi la salle polyvalente, d'une laideur explicite, tout comme le collège, en préfabriqué.

(4) Pour eux, évidemment, le seul Patriarcat (blanc) à tendance imaginaire est responsable de tous les meurtres de femmes; pas le Patriarcat bien réel des populations arriérées qu'ils contribuent à faire venir. Le lien de tout ça avec les "coupes ra(z)es" est difficile à saisir...

(5) Les tags de Corbigny et environs remontent au 26-27 juin peut-être, d'après le Journal du Centre.

mardi 25 juillet 2023

Un petit tour à Lormes (1)




Le mannequin érotique dans sa cabine: ou comment remplacer l'utile socialement par du laid fantasmatique et superflu - "Chacun cherche sa joie" dans un monde dévitalisé, sans sens ni repère - un "art" conceptuel s'étale dans la rue, envahit l'espace à défaut d'avoir un contenu


    Lormes est une cité charmante du Morvan; j'aime me promener dans ses rues pentues et passer de la petite butte où se trouvait un ancien château dont les ruelles rappellent le contour à la grosse butte qui la jouxte et au sommet de laquelle croît l'église saint-Alban, pas très vieille. Toute la ville est un moutonnement de buttes épaulées les unes sur les autres, séparées par des vallons dont on a fait des rues: Paul Barreau et du Pré-d'Audon, du pont-National, la route de Narvau qui descend abruptement vers Corbigny, laissant à droite des gorges synonymes. Il fait bon se prélasser à la terrasse du Grand café (1) et, entre un chapelet de cyclistes moule-burnés, bardés d'un inévitable et grotesque casque à bananes, et le bruit fuyant des voitures électriques qui passent, on aperçoit, si l'on est chanceux, quelques déesses nordiques, blondes géantes généralement plates.

La ville attire en effet chaque année une petite colonie néerlandaise qui vient occuper le camping et les abords de l'étang Goulot. Cette invasion régulière est tout à fait bénéfique et supportable. On ne peut que regretter cependant l'architecture déplorable de l'hôtel de ville, en point de mire de la place principale, (2) avec son faux portique décalé; deux travées à gauche, une à droite. La tromperie de l'architecte, qui voulait donner une direction à la place, ne tient pas longtemps. Enfin, c'est une place agréable.

Lormes n'échappe pas à la règle de l'animation bobo; ce ne sont plus les paysans qui amènent la vie un jour de marché mais les touristes à sandales ou des pieds-plats eux-mêmes, les nomades, les désenracinés, les "artistes". Logiquement, les mentalités changent. L'animation, le superflu, le toc et le laid remplacent la production, l'utile, le solide et le goût du beau, qui n'a rien de spontané. Un des exemples les plus frappants est le remplacement, rue du pont-National, d'une antique quincaillerie-arts de la table, en deux vitrines par un "artiste" qui expose, toujours en deux vitrines payées par la ville, sa manie du rose, son bric-à-brac de désaxé stupide et influent. Toujours couvert par la ville, il a installé dans une vieille cabine téléphonique, qu'on pouvait garder telle quelle, un mannequin cyber érotique. Actuellement, il couvre encore d'images de grand format sur tissu acrylique une palissade en face de son magasin, masquant un immeuble démoli (depuis 2021). C'est une exposition, une énième. Monsieur s'étale un peu partout. (3) Pire, avant de toucher à la place, la rue se termine par... deux autres galeries d'art. Reste plus haut l'enseigne d'une ancienne boulangerie...

A défaut d'avoir une population travailleuse, les villes doivent désormais être festives et arborer de petits parapluies colorés d'une façade à l'autre. La couleur a remplacé la sueur. Il n'y a plus l'industrie, la production pour soutenir des "services" qui n'en sont pas. (4) La France est devenue un pays fluide de bobos débiloïdes, toujours en vacances, toujours en train de voyager ou de communiquer, d'acheter ou de vendre. Si la côte Fleurie est le 21e arrondissement parisien, le Morvan (des lacs) en est le 22e. (5) L'artiste-animateur-brocanteur est le prophète du nomadisme improductif. Il fait la fête: enfant gâté, tout lui est dû. Partout où il se déplace, c'est la fête, la joie. Les maires, comme les parents, s'aplatissent devant les enfants gâtés. Celui de Lormes, à la remorque du moindre frisson contemporain, de la moindre publicité, favorise la vulgarité, la nullité inhérentes à ces niches transplantées d'artistes bidons, qui veulent surtout révolutionner les moeurs, imposer leur monde mental à la fois autoritaro-féministe et saturée d'images érotiques, désaxées, déconstruites; ca fait cent ans et plus qu'on subit cette engeance de (petit-)bourgeois anti-bourgeois, depuis Marcel Duchamp... encore les artistes d'autrefois n'avaient-ils pas la prétention de détraquer vainement l'orthographe par souci féministe obsessionnel ou la manie d'envahir le moindre village... ces nouveaux hussards sont des filous, des vendeurs d'alcool frelaté sur les routes d'une France abîmée dans l'individualisme et le libéralisme mondialisé.

A suivre...

(1) Les cons diraient: "sur la terrasse..."

(2) appelée sans originalité... François Mitterrand.

(3) "L'Oeil à facettes", en plus d'être un studio photographique et de vendre quelques vinyles ou un peu de brocante, proposait à l'été 2021 "une master class de deux jours" pour qui voulait  "découvrir les liens forts entre la philosophie et photographie". Sic, comme dit l'autre. L'abus de l'anglais signe le bobo déconstructeur. Cette "formation" champêtre se montait à 120 euros pour dix heures. Dix heures! pour essayer de trouver quel philosophe avait parlé de la photographie après 1827?

(4) A part quelques éleveurs, un agriculteur et un pépiniériste-horticulteur, Lormes ne produit rien; je ne compte aucun artisan. Par contre les gîtes ont fleuri et aussi les symposiums, ateliers d'artiste, galeries d'art, "master class" et pseudo-formations, recycleries et objets vintage, brocantes parisiennes... chaque été, dans le moindre patelin, on ne compte plus les expositions et autres festivals.

(5) Par bonheur, moins de passage cette année... les années rhume-19 (2020-22) furent terribles: voitures, campings-cars, motos, fêtes improvisées... une vraie autoroute!